Forcer le changement

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Photo : Isolation Val-Mers. Geneviève Noël, calorifugeuse chez Isolation Val-Mers, a trouvé un moyen efficace de transporter les objets lourds.

Pour aider les femmes à faire leur place sur les chantiers de construction, les employeurs doivent adopter des pratiques pour favoriser leur intégration. Certains ont pris un pas d’avance. Un progrès inspirant même s’il reste du chemin à faire pour accroître le recrutement des femmes.

Haut dans les airs, agile, les deux pieds solidement appuyés sur un échafaudage à plusieurs mètres du sol, harnachée, Sonia Lapointe, 51 ans, se déplace d’un pas sûr, mais toujours prudent. Depuis 6 ans, la quinquagénaire travaille comme manœuvre spécialisée en échafaudage au Groupe IEQ, au Saguenay.

L’ancienne serveuse s’est reconvertie dans la construction. Seule femme de son équipe, elle est à l’aise dans ce nouveau métier. Si ses collègues l’ont regardée d’un air dubitatif au départ, ils ont vite compris qu’ils pourraient compter sur elle autant que sur leurs autres coéquipiers. « Tout le monde dit que je vaux un gars, lance Sonia. Je n’ai pas la force d’un homme, mais j’ai de bonnes méthodes qui permettent de compenser. »

En arrivant dans son poste, elle a dû faire sa place. « Ils avaient peur que je sois moins compétente qu’un homme. Ils ont été gentils, ils n’ont pas essayé de me mettre à bout, mais ils m’attendaient au tournant. Comme j’étais bonne dans mon job et que j’avais l’habitude des relations avec les hommes grâce à mon travail de serveuse, l’intégration s’est bien passée », raconte Sonia Lapointe. Bien sûr, il y a des blagues. « Il ne faut pas être susceptible. Je n’ai jamais chialé, jamais pleuré, mais la présence d’une femme dans l’équipe, ça les adoucit », remarque-t-elle.

Des méthodes différentes et efficaces

L’ambiance sur les chantiers est en train de changer, et c’est pour le mieux. Les coups de gueule et l’intimidation sont de moins en moins tolérés. Les femmes en bénéficient. Les entrepreneurs sont vigilants et le harcèlement psychologique et sexuel est sous surveillance. L’environnement a aussi évolué. « Les posters de femmes nues dans des roulottes sales, c’est terminé », affirme Raymond Brunet, président de Ed Brunet, entrepreneur général.

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Raymond Brunet, président de Ed Brunet, voit plusieurs avantages au milieu de travail mixte : « Les femmes ont des qualités complémentaires à celles des hommes. » 

Les femmes trouvent donc plus facilement leur place dans le milieu. Les entrepreneurs s’ouvrent également et en embauchent plus souvent, ce qui va contribuer à accentuer le changement. Isolation Val-Mers compte 4 femmes sur 22 employés. Toutes sont calorifugeuses et travaillent sur les chantiers, deux sont contremaîtres. « Dans notre milieu, les gens pensent que les femmes travaillent moins et moins vite parce qu’on a des gallons d’enduit et de colle lourds à porter sur plusieurs étages. Mais les femmes trouvent des méthodes. Une de mes employées se sert d’une sorte de palette à roulettes sur laquelle elle peut poser tout ce qui est lourd. Elles trouvent toujours des moyens de s’aider pour faire le travail efficacement », constate Rémi Demers.

Organisées, structurées, minutieuses, loyales, prudentes, disciplinées… Les entrepreneurs qui travaillent avec des femmes leur reconnaissent beaucoup de qualités. Jean-Guy Miousse, directeur de la formation au Groupe IEQ, est favorable à l’emploi des femmes dans la construction. « Elles sont dynamiques, travaillantes et elles respectent bien les consignes de sécurité. Elles poussent même les hommes à faire plus attention. Dans notre métier, où les travailleurs sont en hauteur, c’est un facteur très important », explique-t-il.

Les avantages de la mixité des équipes

Les entrepreneurs voient en fait beaucoup d’avantages à avoir des milieux de travail mixtes. « Les femmes ont des qualités complémentaires à celles des hommes », reconnaît Raymond Brunet. Il apprécie leur « prudence, leur loyauté et leur capacité à demander de l’aide, à consulter », poursuit-il.

Pourtant, il n’est pas encore toujours facile pour les filles de trouver un emploi dans la construction. Même s’il s’améliore, leur taux d’inactivité un an après être entrées dans l’industrie est supérieur à celui des hommes (30 % contre 26 %).
Pour des données plus complètes, voir notre chronique Relations du travail.

Certes, les préjugés concernant leur capacité à faire le même travail que les hommes dans ce domaine persistent. Mais d’autres défis découragent parfois les entrepreneurs à les embaucher. « Les heures de travail sont encore un gros obstacle, croit Raymond Brunet. Ce sont encore souvent les mères qui amènent les enfants à l’école dans les familles aujourd’hui, alors c’est difficile pour elles d’être sur les chantiers à 7 h. Or, c’est compliqué de changer ces horaires. »

Par contre, si les femmes demandent plus souvent des ajustements aux employeurs pour réussir à concilier leur travail et leur famille, les hommes ne sont plus en reste. De plus en plus d’hommes partent en congé de paternité ou, à la suite d’un divorce, doivent composer avec les contraintes de la garde partagée, constate Rémi Demers.

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Isolation Val-Mers compte 4 femmes sur 22 employés.

Besoin d’un coup de pouce

Si les femmes sont de plus en plus bienvenues dans les métiers de la construction, un coup de pouce est encore nécessaire. C’est ce qu’a voulu faire Option Femmes Emploi, à Gatineau. Pendant 4 ans, l’organisme a mené une étude sur les besoins des femmes dans la construction, en a tiré des constats et élaboré des actions à mener.

Ainsi, avant même leur entrée sur les chantiers, les femmes font face à des obstacles. « Si on fait de la promotion pour attirer les filles dans les métiers de la construction et qu’elles sont mal accueillies quand elles entreprennent un DEP, ça ne sert à rien », dit Marianne Lapointe, coordonnatrice de projet à Option Femmes Emploi.

Il faut donc favoriser l’intégration des filles à toutes les étapes de leur parcours vers l’emploi. « Il faudrait peut-être aussi revoir les normes et réglementations, ajoute Marianne Lapointe, car actuellement, un travailleur ne peut avoir sa carte d’apprenti que si un employeur lui assure 150 heures. Mais les femmes ont plus de mal à trouver des entrepreneurs prêts à leur offrir cette garantie. »

Parmi les actions mises en place, il y a eu des bourses d’études et des ateliers dans le milieu scolaire pour soutenir celles qui ont choisi d’entreprendre un DEP vers un métier non traditionnel. Une initiative qui a eu un impact positif sur les inscriptions, se réjouit Marianne Lapointe.

LE SAVIEZ-VOUS ?
L’ACQ a publié un Guide informatif pour favoriser l’intégration des femmes sur les chantiers destiné aux employeurs. Il s’agit d’un outil simple et convivial qui regroupe les informations pertinentes à propos des différents programmes, ressources, mesures réglementaires et avantages concernant l’embauche et l’intégration des femmes.

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