Dossier préfabrication : Passer de l’artisanal à l’industriel

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Photo page d’accueil : Concessionnaire Audi à Anjou. Crédit photo : Canam
Photo introduction : Un projet réalisé par BONE Structure pour Aéroport de Montréal. Crédit photo : BONE Structure

Composants préfabriqués, systèmes constructifs industrialisés, bâtiments modulaires, maisons prêtes à assembler… L’industrie de la construction change ses façons de faire pour adopter de plus en plus un mode de production industriel. Malgré des avancées, le Québec tarde toutefois à prendre réellement le virage comparé à d’autres régions du monde. État de la situation.

Les produits manufacturés gagnent du terrain dans l’industrie de la construction. Dans les secteurs, institutionnel-commercial et industriel (IC/I), plusieurs entreprises ont mis au point des systèmes de construction préusinés. On n’a qu’à penser à BPDL, qui fabrique dans ses usines des éléments de béton architecturaux et structuraux qui sont ensuite transportés sur les chantiers un peu partout en Amérique du Nord. La construction en bois favorise également la préfabrication. Plusieurs systèmes structuraux comme des murs en panneaux, des fermes de toit et des systèmes de plancher sont fabriqués en usine sans parler de la construction modulaire en bois.

Dans l’acier, un des chefs de file est Canam, qui a conçu il y a déjà plusieurs années le système de bâtiments préfabriqués Murox, soit des panneaux de mur préfabriqués permettant une grande flexibilité de conception et un montage rapide. BONE Structure propose, quant à elle, des systèmes constructifs industrialisés qui utilisent des technologies de production empruntées à l’industrie aérospatiale et automobile. L’entreprise, cofondée par Marc-André Bovet et sa conjointe, Michelle Tremblay, opère 12 usines en Amérique du Nord. Elle détient des brevets dans 42 pays et réalise la majeure partie de son chiffre d’affaires sur les marchés d’exportation. Le Québec représente environ 8 % des ventes de BONE Structure.

Pourquoi est-il plus facile pour la PME de 70 employés de s’imposer sur les marchés extérieurs ? « Au Québec, quand on parle de préfabrication, il y a une connotation négative, explique M. Bovet. Pour plusieurs, préfabriqué veut dire de moins bonne qualité. La perception est différente à l’étranger. En Californie (un des principaux marchés de BONE Structure), elle est beaucoup mieux considérée alors qu’en Suède, c’est devenu un standard, plus de 80 % des bâtiments étant préfabriqués. » Pour plusieurs, préfabriqué est aussi synonyme de produit à la chaîne qui réduirait la diversité architecturale. « Nos bâtiments ne sont pas préfabriqués. Ce sont nos composantes qui sont industrialisées. Tous nos bâtiments, résidentiels, multi et commercial léger sont conçus digitalement en design intégré en tenant compte des besoins et du budget de nos clients tout en respectant les principes de dévelopement durable », affirme M. Bovet.

Construire mieux et plus efficacement

Comme d’autres, Marc-André Bovet déplore que le secteur de la construction au Québec ne profite pas plus des avantages de l'innovation et de l'industrialisation (un terme qu’il préfère à préfabrication) alors qu’elle fait face à un défi cit de productivité et à une main-d’oeuvre spécialisée de plus en plus difficile à trouver. « Un autre enjeu et non le moindre, c'est l'aspect énergétique, ajoute M. Bovet. Il faut réussir à construire mieux, plus vite, et s’assurer d'avoir des bâtiments ayant une meilleure efficacité thermique de façon à répondre aux défis énergétiques. »

BONE Structure, qui se spécialise dans la construction de bâtiments résidentiels, des copropriétés de 3 étages ou moins et dans le commercial léger, a réalisé récemment un projet pour Aéroport de Montréal en collaboration avec LEMAY Architectes. Son système de construction en acier léger (jusqu'à 88 % d'acier recyclé principalement) a su plaire au client notamment en raison du court délai de construction. « Aéroport de Montréal avait besoin rapidement de ce bâtiment. En 4 jours seulement, nous avons assemblé la structure, et ce sans produire aucun déchet », raconte M. Bovet.

Selon lui, la plus forte vague de changement viendra du donneur d’ordre. « En bout de ligne, c'est celui qui tire l'usufruit du service ou du produit qui force une industrie à évoluer », dit-il. Il sent une percée du côté des développeurs immobiliers. « Il y a 4 ans, la première question qu’ils nous posaient, c’était combien ça coûte au pied carré. Aujourd’hui, le discours a changé. Le client a plutôt besoin de savoir quand il pourra commencer et finir son projet de construction. En démontrant l'effi cacité de nos systèmes et l'impact sur les échéanciers, on minimise son risque financier », explique M. Bovet qui a été élu en décembre 2017 au top 50 innovateurs au concours HIVE, qui souligne la créativité, la performance et l'innovation dans le domaine du logement. Il s’y retrouve en compagnie, entre autres, d'Elon Musk de Tesla qui, en plus des voitures électriques, développe des toits photovoltaïques (Solar Roof).

12 000
Nombre d’emplois directs dans l’industrie québécoise des bâtiments préfabriqués
Source : Étude sur l’écosystème d’affaires de la construction au Québec, Deloitte, 2016

BPDL repousse les limites du béton préfabriqué

Les usines de BPDL roulent actuellement à plein régime. La demande est forte pour les panneaux de béton préfabriqué de la PME d’Alma, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui mène des projets d’envergure tant au Québec qu’aux États-Unis.

L’entreprise a développé une large gamme de produits qu’elle améliore sans cesse. Elle a mis au point des systèmes hybrides tels que le Slenderwall, soit des murs de béton préfabriqué avec montants d’acier qui permettent de réduire le coût des fondations et de structure. BPDL fabrique aussi de plus en plus de panneaux qui intègrent des composants prémontés comme des fenêtres. Elle l’a fait notamment pour la Résidence des étudiants (phase 4) de l’École de technologie supérieure (ÉTS). Plus de 500 fenêtres ont été installées en usine. « Elles sont livrées chez nous du manufacturier et nous les intégrons aux panneaux en béton, explique Guy Tremblay, directeur technique aux Ventes. Il y a plusieurs avantages à procéder de cette façon. Le coût et le temps d’installation sont réduits, on peut garantir une qualité d’installation puisqu’elle est faite dans les meilleures conditions possible. »

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Résidence des étudiants (phase 4) de l’École de technologie supérieure (ÉTS) faite de panneaux qui intègrent des composants prémontés comme des fenêtres. Crédit photo : BPDL

BPDL propose également ses panneaux Eklips qui sont fabriqués à partir de Béton Fibré à Ultra-Haute Performance (BFHUP) qui sont reconnus pour leur légèreté et leur flexibilité. « Ce sont des panneaux minces en béton renforcé d’une fibre synthétique qui permettent de créer des géométries variées, précise M. Tremblay. Plus légers, ils imposent moins de charges sur la structure. » Les nouveaux stationnements de Place Sainte-Foy, à Québec, sont un bel exemple des possibilités offertes par ces panneaux.
Le projet réalisé, par la firme Coarchitecture, montre une façade composée d’éléments modulaires placés de façon répétitive qui se démarque dans le paysage urbain. « Fabriquer ces panneaux demande beaucoup de travail avec un nombre accru de coffrages, explique M. Tremblay. Ce sont de beaux défis de réalisation. » Des défi s qui se multiplient. « De plus en plus, les architectes veulent créer des bâtiments signature. La beauté du béton est qu’on peut le mouler dans n’importe quelle géométrie », ajoute-t-il.

LES MULTIPLES AVANTAGES de la préfabrication

  • Qualité accrue de la construction
  • Réduction des échéanciers
  • Diminution des résidus
  • Moins besoin de main-d’œuvre qualifiée sur les chantiers (alors qu’elle se fait plus rare)
  • Meilleure santé et sécurité du travail
  • Réduction des coûts de construction
  • Réduction de l’empreinte environnementale

Canam, un pionnier de la préfabrication

Canam a mis sur le marché le système de bâtiments préfabriqués Murox il y a déjà 40 ans. Ce système est constitué principalement de panneaux de mur porteur extérieurs fabriqués en usine et de composantes de charpente d’acier incluant, entre autres, les poutrelles d’acier et le tablier métallique. « C’est un produit que l’on améliore constamment, explique George Poumbouras, directeur, développement des affaires chez Canam-bâtiments. On commence à inclure des finis intérieurs et extérieurs. On fait également de plus en plus l’installation de portes et de fenêtres en usine. »

Canam livre ainsi sur les chantiers des modules imposants, dont la dimension maximale est de 10 pieds de large par 44 pieds de hauteur, qui sont rapidement installés sur la structure d’acier. « Avec notre système, on réduit le temps de travail au chantier de 50 % », soutient-il.

Canam vend principalement au Canada et aux États-Unis. Ce marché se montre plus ouvert face aux systèmes usinés. « Aux États-Unis, le recours à la préfabrication est perçu comme une solution à la pénurie de travailleurs et au coût plus élevé de construction, dit M. Poumbouras. S’il y a encore de la résistance chez certains clients, elle tend toutefois à diminuer », constate-t-il.

Canam continue de faire évoluer son produit pour en améliorer la performance sur le plan de l’efficacité énergétique. « Les normes évoluent ici comme ailleurs. Il y a de nouvelles exigences à rencontrer en matière d’isolation thermique. On a revu nos façons de faire pour offrir un produit encore plus performant », dit M. Poumbouras.

Une occasion d’affaires à saisir

Si l’industrialisation est loin d’avoir atteint son plein potentiel au Québec, d’autres pays ont pris le virage. « Depuis la fin des années 1970, on retrouve au Japon des fabricants qui produisent des petits bâtiments sur des lignes de montage qui sont assez semblables à celles utilisées dans l'industrie automobile, explique Roger Bruno Richard, professeur titulaire à l'École d'architecture de l'Université de Montréal, qui se spécialise dans la conception et le développement de systèmes constructifs. Très peu de ces fabricants sont issus du domaine de la construction, ce sont des fi liales de grands conglomérats industriels comme Toyota qui a créé la division Toyota Housing ou PanaHome, la division résidentielle de Panasonic. »

À l’époque, le marché de l’habitation était en plein essor face à la poussée démographique que connaissait le pays. Les grands fabricants ont saisi cette occasion d’affaires en transposant leurs pratiques au domaine de la construction qui était encore passablement artisanal.

À Singapour, c’est la réglementation qui a favorisé l’industrialisation. « Le gouvernement exige que les bâtiments résidentiels, comme les tours à condominiums, les résidences d'étudiants, les hôtels soient construits avec un système de modules tridimensionnels préusinés, ajoute M. Richard. Dans plusieurs pays européens, les bâtiments complexes comme des hôpitaux sont érigés avec des systèmes constructifs très élaborés. »

LES 5 NIVEAUX d’industrialisation

  1. La préfabrication: fabriquer en usine des systèmes, des composants et même des bâtiments au complet. Le constructeur utilise les mêmes techniques qu’au chantier, mais dans un univers protégé, à l’abri des variations du climat.
  2. La mécanisation : le fabricant intègre des ponts roulants, des outils motorisés ou informatisés qui facilitent le travail de l'ouvrier.
  3. L’automation : des mécanismes sont utilisés pour remplacer l'ouvrier. Chaque poste de travail exécute une tâche de façon répétitive à l’exemple des chaînes de montage dans l’industrie automobile.
  4. La robotique : elle permet d'avoir un outil qui fait des tâches très diversifi ées. « Le robot n'est pas là pour remplacer les opérations artisanales. Il est là pour simplifier et accélérer la production et garantir une meilleure qualité », explique Roger Bruno Richard, professeur titulaire à l'École d'architecture de l'Université de Montréal.
  5. La reproduction : la mise au point de systèmes qui seront utilisés à répétition dans la construction de bâtiments de même type. C’est aussi le développement de produits multiusages, comme des panneaux de béton léger qui sont à la fois isolant thermique, revêtement extérieur et barrière ignifuge. Ils permettent de réduire le nombre d'opérations nécessaires pour l'installation.

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