Construire en mode innovation

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© Coboom
Perdurer dans le temps. Faire face aux crises et aux récessions. Et surtout s’améliorer en continu. Plusieurs études le montrent : les entreprises les plus durables sont celles qui misent sur l’innovation. Une culture qu’on peut instaurer sans dépenser une fortune pour autant. Voici comment.

Qui dit innovation, pense automatiquement technologies. Une définition trop limitée, estime toutefois Catherine Dubé, membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). « L’innovation peut prendre différentes formes, que ce soit en développant de nouveaux produits,nen modifiant son modèle d’affaires, ses processus et même sa façon de gérer les travailleurs », explique la coentrepreneure à la tête de Coboom, firme de services-conseils pour les PME.

Sans compter qu’il ne s’agit pas nécessairement d’inventer un produit qui va complètement révolutionner votre marché. En effet, cette aptitude passe souvent par de petits gestes, lance pour sa part Jessika-Kina Ouimet, conseillère innovation à la Banque de développement du Canada (BDC). Elle cite en exemple la compagnie UPS, qui a décidé d’éviter les virages à gauche dans ses trajets. « Ils ont réalisé qu’en modifiant les itinéraires, même si les distances étaient plus longues, ils gagnaient du temps », décrit-elle. On estime que la compagnie de transport postal aurait réussi à réduire sa consommation d’essence de plus de 40 millions de litres depuis l’instaurationde ces mesures, en 2004 !

Libérer la créativité

Loin d’être réservée aux grandes entreprises avec des budgets importants, cette faculté à secréinventer est à la portée de tous, indique Catherine Dubé. À preuve, Coboom a complètement transformé ses processus pour devenir une « entreprise responsabilisée ». Dans cette firme, la hiérarchie a été aplanie, laissant plus d’autonomie aux travailleurs. Ainsi, les employés participent non seulement au recrutement de leurs collègues, en participant au choix final du candidat, mais ils déterminent également leur… salaire ! En effet, chacun est invité à autoévaluer sa performance en fonction d’une grille salariale préétablie et fait ensuite approuver le tout par ses pairs. Une façon de faire innovante mise en place en 2018.

Bien entendu, ce genre de modèle peut être complexe à reproduire dans une entreprise du domaine de la construction, régie par des normes et des règles en matière de conditions de travail. Mais rien ne vous empêche d’instaurer de tels outils de gestion au sein de vos troupes, explique Catherine Dubé, notamment dans vos bureaux. « On pourrait aussi nommer un superviseur de chantier différent à chaque fois, pour permettre à tout le monde de jouer ce rôle », ajoute-t-elle.

Miser sur l'intelligence collective

En effet, diminuer la hiérarchie constitue un moyen intéressant de miser sur l’intelligence collective de vos troupes. Une des clés pour augmenter l’innovation et la créativité dans une organisation, estiment les experts interviewés. « Il faut réfléchir à une structure d’entreprise, à des processus qui permettent aux gens d’avoir assez d’autonomie pour prendre des risques et de tester leurs idées », explique Philippe Mast, CRHA et cofondateur de CORTO.REV, une firme spécialisée en ressources humaines.

Ce faisant, on s’ouvre à la vision de ses troupes. Une source d’inspiration trop souvent négligée, ajoute-t-il. « Certaines entreprises font appel à de grands cabinets pour comprendre leur marché et ses tendances, mais ce n’est pas nécessaire. En effet, qui est mieux placé que vos employés en contact direct avec vos clients, comme les représentants, pour vous donner le pouls du terrain ? »

Pour mettre à profit les forces de chacun des membres de notre équipe, il faut donc créer des occasions de partage entre les employés. « Bien souvent, on ne connaît pas les gens avec qui on travaille. Mais ça peut être intéressant de savoir que l’un d’entre eux est coach de soccer et a sûrement un bon leadership, souligne Catherine Dubé. Car c’est en additionnant les talents de chacun qu’on peut mettre en branle solutions et idées originales », poursuit-elle.

« Actuellement, il y a tout un courant en management où les travailleurs sont invités, sur une base volontaire, à se rencontrer pour discuter des forces et des faiblesses de l’entreprise, des nouveaux projets, des stratégies à adopter, etc. Le tout se déroule sur les heures de travail. Ce n’est pas du bénévolat, mais bien du travail payé. C’est également un bon stimulant à la motivation et à la conservation de ses troupes », ajoute Catherine Dubé.

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Jessika-Kina Ouimet, conseillère innovation à la BDC.
© BDC

Du côté de la BDC, les employés sont invités à travailler en équipes multidisciplinaires pour développer et soumettre leurs meilleures idées à leur employeur. Chaque année, certaines d’entre elles sont testées. « Cela nous permet d’aller chercher des données sur le terrain, auprès de nos équipes qui sont branchées sur nos clients », explique Jessika-Kina Ouimet. Dans les plus petites entreprises, boîtes à suggestions ou rencontres exploratoires pourraient être de mise.

Philippe Mast conseille pour sa part de mettre à l’horaire des réunions régulièrement, en mode collaboratif. « Plutôt que de faire le suivi des différents projets et chantiers, je suggère plutôt de mettre trois problèmes à régler sur la table. Si tout le monde contribue, les solutions seront beaucoup plus riches », explique-t-il. Le CRHA va plus loin : « les entreprises ont tout avantage à s’allier avec leurs clients pour avoir leur avis sur les projets, car en fin de compte, ce sont eux qui doivent adhérer à ces nouveautés ! »

Une affaire d'équipe

Une erreur commune, en matière d’innovation, est de créer de nouveaux produits, seul dans ses laboratoires. Mais, si l’idée n’est pas développée en équipe, les risques sont grands d’avoir investi temps et argent pour rien. « C’est pourquoi il faut préconiser une approche à petits pas, en testant ses idées avec un projet-pilote ou en instaurant de petits changements. Si cela ne fonctionne pas, c’est plus facile de revenir en arrière et de recommencer, recommande Jessika-Kina Ouimet. Idem en ce qui concerne les processus internes, qui doivent se faire en « coconstruction » avec les employés touchés. » « Certains vont plus loin et travaillent même avec des compétiteurs pour développer de nouveaux services ou produits », ajoute Philippe Mast.



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© INRS

Pour Michel Trépanier, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS UCS) et chercheur associé à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), une chose est certaine : l’innovation ne peut se faire en vase clos. « L’un des éléments-clés, c’est de réunir et d’utiliser une grande diversité de ressources, qu’elles soient monétaires, humaines, technologiques, etc. Les seules entreprises qui réussissent réellement à se réinventer, que ce soit au quotidien ou à long terme, travaillent sur tous les aspects de l’organisation. Imaginez un système d’engrenages qui s’imbriquent les uns avec les autres. Si l’un d’eux bloque, tout s’arrête », illustre-t-il.

Cela commence par des patrons ayant envie d’oser. « Si l’impulsion ne vient pas de la direction, cela ne fonctionnera pas, avertit Philippe Mast. Les dirigeants doivent donc être prêts eux-mêmes à prendre des risques, calculés, et à offrir les ressources à leurs employés pour qu’ils puissent tester des solutions, poursuit-il. Oui, il faut les encadrer, mais surtout leur faire confiance et leur laisser la latitude pour essayer des choses. De même, il faut s’assurer d’offrir une certaine souplesse dans les processus, quand c’est possible. »

Trouver l'inspiration

Pour faire le plein d’idées, il peut être intéressant d’ouvrir ses horizons. « Tout existe déjà. Il suffit de regarder ce qui se fait de bien ailleurs et de voir ce qui pourrait s’appliquer à notre domaine », indique Catherine Dubé. Elle cite en exemple le secteur manufacturier, qui doit composer avec un haut taux d’absentéisme. Pour contrer ce phénomène, certaines compagnies offrent le dîner à leurs employés présents sur place... Une idée intéressante, alors
que les entreprises de l'industrie de la construction ne peuvent se concurrencer sur les salaires. La conseillère suggère aussi de réseauter en dehors de son cercle naturel.

La formation permet également de nourrir son inspiration. Parnexemple, chez Coboom les employés peuvent consacrer 20 % de leur temps à la R et D pour améliorer ses solutions et les expériences vécues par leur client. Ce temps sert à découvrir et explorer différentes avenues originales. Sans aller aussi loin, il est possible d’encourager ses travailleurs à s’inscrire à des cours ou des événements directement liés à leur domaine ou non. De même,
il est recommandé de faire une veille de son industrie, en lisant sur son domaine, ses innovations, les tendances, etc.

« Il faut faire un effort pour ne pas garder ces informations pour nous-mêmes, ajoute Michel Trépanier. Par exemple, un employé qui revient de formation pourrait organiser un « lunch & learn » avec ses collègues de différents services, ou simplement partager ces informations lors d’une réunion. Une formule qui peut être intéressante, puisqu’elle peut stimuler les idées des autres, qu’ils soient en vente, en administration ou sur le terrain. »

Obtenir de l'accompagnement

Plusieurs organisations offrent des services d’accompagnement aux PME qui voudraient adopter des démarches favorisant l’innovation, comme la BDC ou encore CORTO.REV. À l’échelle du pays, l’Association canadienne de la construction (ACC) a aussi mis en place différents programmes dans les dernières années pour stimuler l’innovation – surtout technologique – dans l’industrie. Une façon d’aider les PME à faire face à la pénurie de la main-d’oeuvre.

L’Association tente entre autres de soutenir les entreprises pour l'obtention des crédits à la recherche et au développement auxquels ils ont droit de la part du gouvernement canadien, en plus d’offrir des programmes comme CONtact, qui met en lien entreprises innovantes et compagnies du domaine de la construction. Conférences et webinaires sont également à l’horaire. L’ACC a aussi lancé le Lean Construction Institute of Canada (LCIC) qui organise différentes activités pour favoriser cette approche, qui permet de réfléchir autrement.

« Externaliser ses opérations de recherches et de développement peut également s’avérer une avenue prometteuse, ajoute Michel Trépanier. Par exemple, on peut travailler avec le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à Ottawa ou encore regarder du côté des Centres de recherche et de transferts technologiques. » Sans compter que le gouvernement du Québec offre plusieurs programmes de soutien à l’innovation.

Au final, tout doit être mis en place pour permettre aux employés – et à votre organisation – de développer une certaine agilité face aux changements. « En 2008, les entreprises qui ont le mieux réussi à traverser la crise sont celles qui ont su se montrer innovantes. C’est d’autant plus important dans le contexte actuel », conclut Philippe Mast.

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