COVID-19 : les impacts un an après

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Depuis mars 2020, la pandémie a tout bousculé sur son passage. Et le domaine de la construction ne fait pas exception. Comment les entreprises du secteur ont-elles vécu cette crise et en quoi cela a-t-il modifié leurs projets ? Témoignages et analyses.

Quand les chantiers ont été relancés ce printemps, Broccolini est passée de 0… à 100 000 à l’heure. Il faut dire que l’entreprise compte sur des mandats diversifiés, alors qu’elle construit actuellement trois tours au centre-ville de Montréal ainsi que plusieurs entrepôts et centres de distribution pour des joueurs comme Ikea et Amazon. « La demande est énorme depuis mars pour ce type de projets, affirme le président de Broccolini Construction, Nick Iwanowski. On a des clients qui ont besoin de millions de pieds carrés pour faire face à la nouvelle réalité du commerce en ligne. »

La crise n’a donc pas freiné cette entreprise ayant des bureaux à Montréal, Toronto et Ottawa. Au contraire, puisque Broccolini a vu ses effectifs passer de 330 à 400 en 2020. « On a même souvent dû dire non à certains contrats parce que nos employés étaient déjà occupés à 100 %. Mais nous préférons miser sur une croissance graduelle de nos équipes », soutient le président.

Un des défis pour le constructeur aura été de recruter – et bien accueillir – ces nouveaux employés à distance. « Normalement, quand on embauche, on procède à une entrevue face à face, mais maintenant, tout se fait par Teams. Il y a des gens que je n’ai jamais vus en personne [fin 2020], mais cela semble bien fonctionner », constate Nick Iwanowski.

Pour trouver, l’entreprise s’est rabattue sur les médias sociaux, mais aussi sur le bouche-à-oreille, explique le président. « Chaque année, nous organisons un concours auprès des travailleurs qui nous ont recommandé un nouvel employé. L’an passé, cela représentait environ 20 % de notre recrutement. » Les diplômés constituent également un bassin particulièrement intéressant pour faire le plein de relève, alors que la main-d’œuvre disponible se fait rare.


© Neuf architect(e)

Des hauts et des bas

La croissance chez Broccolini illustre à quel point la crise a affecté différemment les différents secteurs de l’économie et, par le fait même, de l’industrie de la construction. Alors que certains domaines doivent composer avec une forte demande, d’autres sont tout simplement sur pause. « Tous les projets touchant l’hôtellerie qui étaient au stade de la conception ont été repoussés à plus tard, jusqu’à ce que nos partenaires aient une meilleure idée d’où ils s’en vont », note Alexi Lemay, associé à la firme d’architecture et design Lemay Michaud. Idem pour la restauration. « On voit des clients comme Pacini qui se sont placés sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité », ajoute l’architecte.

« Un des impacts de la COVID-19 a été d’arrêter une multitude de projets privés, qui ont été mis en veilleuse », observe pour sa part Pierre Larouche, associé principal chez Lemay, architecture et design. À l’inverse, les contrats publics ont poursuivi sur leur lancée, analyse-t-il. « Avant la COVID-19, le Plan québécois des infrastructures (PQI) comptait plus de 100 milliards de dollars d’investissements sur 10 ans. Et la Coalition Avenir Québec (CAQ) avait aussi annoncé des sommes importantes pour les Maisons des aînés, les écoles et le transport. »

Pour stimuler l’économie, les différents paliers gouvernementaux pèseront sur l’accélérateur pour augmenter la cadence de réalisation de ces projets, déjà identifiés dans le PQI, pense Pierre Larouche. Il cite en exemple la rénovation de l’hôpital de Gatineau, qui a été non seulement devancée, mais bonifiée. « Les prochaines années seront exceptionnelles pour les investissements publics dans les infrastructures », prévoit l’associé principal.

Néanmoins, la crise n’a pas eu d’impact direct sur la façon de concevoir ces infrastructures, estime-t-il, même si une réflexion sur les normes dans les centres de santé était en cours à la fin de 2020. Du côté scolaire, de nouvelles règles de construction ont été édictées, du moins pour les écoles secondaires. La même réflexion est prévue pour les établissements primaires. « Cette redéfinition s’adapte très bien à la distanciation, même si cela n’a pas été pensé pour cela. Cette nouvelle normalisation sera une bonne réponse aux pandémies, tout comme les futures maisons des aînés. »

La construction résidentielle demeure vigoureuse

Au moment d’écrire ces lignes, le centre-ville était encore très affecté par la crise. Une situation d’ailleurs décriée dans une lettre ouverte publiée dans La Presse, début décembre, et signée par 14 grands joueurs de l’industrie, dont la compagnie Devimco Immobilier. Les promoteurs y réclamaient une meilleure concertation entre les différents acteurs, dont l’administration municipale, pour accélérer les projets au centre-ville. Selon les données publiées par le quotidien, Devimco avait alors 300 unités à vendre dans les tours Maestria du Quartier des spectacles. Et, dans Griffintown, le promoteur
immobilier comptait un millier d’unités locatives qui ne trouvaient pas preneur, autant dans des tours en construction qu’à construire.

Aussi signataire de la lettre, Broccolini se questionnait quant à la portion commercialenprévue au projet Victoria sur le parc, une tour en construction à deux pas du centreville. Lancé en 2018, ce gratte-ciel de 58 étages comprendra 400 unités de condos ainsi que 330 000 pieds carrés d’espace locatif. Actuellement, on réfléchit à différentes options pour cette partie, comme inclure des bureaux. Mais est-ce que d’autres espaces de travail sont requis au centre-ville ? Est-ce que nous pourrions plutôt ajouter des appartements ? », se demande Nick Iwanowski.

Crise commerciale

Nick Iwanowski n’est pas le seul à réfléchir à ces questions, alors que la pandémie a donné un coup dur au commerce de détail, notamment en propulsant les achats en ligne. Une tendance déjà amorcée dans l’industrie, mais que la COVID-19 a accélérée, soutient Hugo Gagnon Associé chez Neuf architect(e)s. Alexi Lemay. « Quand la crise est arrivée, plusieurs locataires ont simplement quitté les centres commerciaux ou ont profité de l’occasion pour renégocier leurs baux à taux très avantageux. »

Carolyne Filion

« Quand la crise est arrivée, plusieurs locataires ont simplement quitté les centres commerciaux ou ont profité de l’occasion pour renégocier leurs baux à taux très avantageux. »

Alexi Lemay, associé à la firme d’architecture et design Lemay Michaud

© Lemay Michaud

L’architecte, qui travaille avec Oxford Properties Group, Cadillac Fairview et Ivanhoé Cambridge, indique que la crise a mis sur pause leurs projets de développement pour ces trois grands joueurs. « Toutefois, ils tentent tous de réfléchir aux façons de créer une synergie autour des centres commerciaux pour qu’ils aient plus de clientèle régulière. » Parmi les solutions, celle d’ajouter des parcs d’attractions ou des aires de restauration nouveau genre pour donner un nouveau souffle à ces espaces commerciaux.

Ils envisagent aussi de développer les sites autour de leurs propriétés commerciales. En effet, avec la diminution de l’utilisation de la voiture, l’augmentation de l’offre de transports collectifs et les espaces laissés vacants par la fermeture de grandes chaînes comme Target, plusieurs centres commerciaux se retrouvent avec des ratios de stationnement trop élevés pour leurs besoins. Plusieurs prévoient donc y construire résidences, bureaux
ou commerces de proximité.

D’ailleurs, la firme Lemay Michaud planche actuellement sur trois projets du genre, situés à Québec et Montréal. Un exercice qui requiert une planification à long terme, alors qu’« on parle parfois de 115 000 m2 de stationnement et d’espaces locatifs à redévelopper », précise Alexi Lemay. On ne peut pas uniquement prévoir de mettre une tour ici et des immeubles là. Cela demande une réflexion beaucoup plus vaste, puisqu’il faut penser ces projets sur 5, 10 ou 20 ans. »


Bureaux de Neuf architect(e)s © Alex St-Jean

 Le télétravail change la donne

De leur côté, les propriétaires de tours de bureaux retiennent aussi leur souffle, alors que leurs édifices sont délaissés par les employés, ce qui pourrait avoir un impact sur la configuration des espaces de travail et des immeubles qui les accueillent. Si plusieurs prévoient la fin des bureaux à aire ouverte, la crise pourrait au contraire laisser plus de place au travail collaboratif, pense plutôt Hugo Gagnon, associé chez Neuf architect(e)s.

En effet, la COVID-19 a montré les limites du télétravail pour tout ce qui concerne le coaching, les tâches créatives ou le boulot en équipe. Par contre, les employés ont démontré leur efficacité pour s’atteler au travail individuel à la maison. Les bureaux post-pandémiques pourraient donc refléter cette réalité, en devenant des lieux de rencontre, tout en laissant place à la mobilité, pense l’architecte. « Concrètement, cela pourrait se traduire par le fait d’offrir plus d’espaces de travail collectif, qui sont plus flexibles. De même, les postes personnels pourraient être partagés, en alternance, entre plusieurs travailleurs », ajoute-t-il.

Cette nouvelle configuration ne signifie pas nécessairement des bureaux de plus petite taille, puisque le fait de partager les postes individuels permet d’augmenter – et de varier – les lieux pour le travail d’équipe. Une réflexion déjà amorcée chez plusieurs clients de la firme, indique Hugo Gagnon. « Même si on attend de voir comment la situation va évoluer, on l’envisage nous-mêmes dans nos bureaux de Toronto, Ottawa et Montréal. »

Carolyne Filion

Les bureaux post-pandémiques pourraient donc refléter cette réalité, en devenant des lieux de rencontre, tout en laissant place à la mobilité, pense l’architecte. 

Hugo Gagnon, associé chez Neuf architect(e)s

© Alex St-Jean

 Chantiers ralentis et soumissions

La pandémie a aussi eu un impact direct sur les chantiers. Comme plusieurs autres entreprises du secteur, LGF Construction a dû composer avec des retards dans la livraison de certains produits, comme le matériel de ventilation provenant des États-Unis, ce qui a ralenti certains projets de l’entrepreneur général comptant des bureaux à Carleton-sur-Mer, Québec et Sept-Îles. « Disons que nous avons dû nous montrer créatifs pour trouver des solutions », lance Benoit Dubé, directeur principal. Et il n’est pas le seul puisque 86 % des entrepreneurs du domaine de la construction ont également dû jongler avec des problèmes d’approvisionnement depuis le début de la pandémie, selon un sondage mené par l’ACQ auprès de ses membres et publié cet hiver.

Depuis, LGF Construction a redoublé d’efforts pour s’assurer que les échéanciers seront respectés par tous quand l’équipe prépare une soumission. « Un an plus tard, on commence à comprendre les coûts engendrés par la crise dans nos projets, ce qui nous permet de les inclure dans les appels d’offres », ajoute Benoit Dubé. De même, il sait maintenant comme calculer le coût par travailleurs des mesures de sécurité, comme l’installation de roulottes supplémentaire ou de stations de lavage des mains, précise-t-il aussi.

Il a également fallu prendre en compte les règles de déplacement des ouvriers, alors que l’entreprise pilote des chantiers dans plusieurs régions et provinces. « C’était très compliqué cet été de nous rendre aux îles de la Madeleine, puisque les Québécois ne pouvaient pas s’arrêter au Nouveau-Brunswick, se rappelle Benoit Dubé. Les travailleurs devaient donc rouler 5 à 6 heures pour se rendre au traversier et dormir dans leur voiture ! Disons que nous avons dû jongler avec cette logistique. »

Idem pour les chantiers situés dans des villages de la basse Côte-Nord injoignablesIdem pour les chantiers situés dans des villages de la basse Côte-Nord injoignablespar la route, poursuit-il. « Les villageois sont très réticents à faire entrer des gensde l’extérieur. Il a fallu discuter avec eux pour s’assurer que nous respections leursexigences à cet effet. »

Ventes en ligne

Du côté de Devimco Immoblier, la crise a forcé l’entreprise à faire un virage à 180 degrés pour vendre ses projets immobiliers. Brochures virtuelles, présentations pour expliquer les attraits du quartier et même lancement de projets sur le net : Devimco a rapidement dû s’ajuster pour passer à la vente en ligne. Tout un changement, alors qu’avant la pandémie, les gens « dormaient dehors pour acheter un condo », rappelle Mélanie Daigle, directrice marketing et communications.

« Il a donc fallu se moderniser, surtout dans le contexte du confinement. Notre équipe de vendeurs a reçu de la formation pour mieux utiliser ces nouvelles technologies, indique-t-elle. Maintenant, il est même possible de visiter virtuellement les unités, alors que des cinéastes ont été embauchés pour filmer leurs différents condos modèles », précise-t-elle aussi.

Autant d’outils qui serviront à l’entreprise après la pandémie. « C’est certain que le contact humain est très important, mais les clients apprécient ces technologies. Par exemple, le fait de recevoir la documentation virtuellement leur permet de prendre le temps de regarder les plans, de lire les documents le soir à la maison au lieu de sentir la pression au niveau des ventes. » Si bien que, même si cela allonge un peu le processus, l’entreprise conservera ces nouveautés dans l’avenir.

Carolyne Filion

« Il a donc fallu se moderniser, surtout dans le contexte du confinement. »

Mélanie Daigle, directrice marketing et communications chez Devimco.

© Devimco

Au final, la pandémie aura eu un impact sur tous les aspects du domaine de la construction, que ce soit la mise en chantier, les conditions de travail et même la conception de projets. Toutefois, il faut distinguer les effets à court et à long terme, nuance Alexi Lemay. « Oui, il faut penser à la situation sur 12 à 24 mois, mais aussi réfléchir en fonction de la durée de vie d’un bâtiment, qui s’échelonne plutôt sur des décennies. » Une perspective qui s’applique aussi bien aux projets commerciaux, industriels ou institutionnels. Une histoire à suivre !

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado 

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