Le futur de l'habitation post-pandémique

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Télétravail, confinement, cohabitation familiale ou même isolement : la crise de la COVID-19 a mis la loupe sur différents enjeux concernant l’habitation. Comment la pandémie a-t-elle affecté le marché immobilier et les projets résidentiels ? Tour d’horizon.
© Devimco

Quand on lui demande quel est le changement le plus important apporté par la pandémie, Elian Sanchez répond d’emblée le télétravail. « Actuellement, je vous parle et j’alterne entre le salon et la salle à manger. C’est moins efficace », illustre l’associé principal et cofondateur de l’Agence SIX, une entreprise spécialisée dans la vente et la mise en marché de produits en immobilier résidentiel neuf.

Ainsi, si depuis la démocratisation de l’ordinateur portable, plusieurs développeurs immobiliers avaient délaissé les espaces de bureaux dans leurs projets, la pandémie a renversé la vapeur, analyse-t-il. C’est le cas chez Devimco Immobilier qui a complètement revu ses plans pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Plus concrètement, l’entreprise s’est associée avec la compagnie québécoise de meubles Artopex. « Grâce à cette entente, qui durera au moins un an, le fabricant de Granby nous fournira du mobilier intégré à incorporer dans nos 2000 prochaines unités d’habitation, locatives ou condos », précise Mélanie Daigle, directrice du marketing et des communications.

Se déclinant en trois modèles, la collection propose des espaces de travail rétractables de différentes dimensions ainsi qu’un poste assis-debout. Une façon d’ajouter un espace de bureau sans modifier le nombre de pieds carrés des projets.

Ajout de lounges, de prises de courant et de stations de recharge : l’équipe de Devimco est aussi en train de repenser les aires communes de ses immeubles pour faciliter le travail à distance. De son côté, le développeur immobilier Maître Carré avait déjà l’habitude d’inclure un espace pour poser son ordinateur portable dans ses unités, comme une alcôve. « Mais, c’est difficile pour un couple de deux professionnels de travailler ensemble dans le même quatre et demi. C’est certain que, quand ils sont en téléconférence, ils s’entendent », souligne le fondateur et président de l’entreprise, Hugo Girard-Beauchamp.

C’est pourquoi Maître Carré a décidé de repenser les espaces communs de ses projets. Déjà, des espaces de cotravail seront ajoutés dans un futur immeuble résidentiel qui verra le jour dans l’arrondissement Ville-Marie. Petits bureaux fermés, mais aussi salles de conférences, seront disponibles à la location pour les occupants. « L’idée, c’est d’intégrer des espaces destinés au travail à distance, mais de façon harmonieuse, pour que cela continue d’avoir l’air d’un immeuble résidentiel, précise Hugo Girard-Beauchamp. Mais surtout, nous voulons que ces aires soient flexibles et puissent s’adapter au fil du temps, car la pandémie ne durera pas toujours. » Par contre, la tendance au télétravail elle, risque de perdurer au-delà de la crise, pensent plusieurs experts. D’ailleurs, selon un sondage publié par ADP Canada en septembre 2020, 60 % des Québécois préféraient travailler à distance au moins trois jours par semaine après un retour à la normale.


© Devimco

Besoin d'espace

Avec la crise sanitaire, plusieurs personnes se sont senties coincées entre leurs quatre murs. Elian Sanchez le premier, qui partage un condo comptant autour de 1000 pieds carrés avec sa conjointe. « Avant je trouvais que c’était grand, surtout que j’ai des plafonds de 14 pieds. Mais la pandémie a complètement changé ma perception. C’est pourquoi, estimet-il, les unités de plus petite superficie, assorties de grands espaces partagés, risquent d’être moins populaires, même post-pandémie.

 « Cette tendance aux grandes aires communes a été très forte, il y a 10 ou 15 ans, mais était déjà en train de s’essouffler. Je pense qu’avec la crise sanitaire, cela va accélérer le changement. » En effet, l’associé avait déjà noté que plusieurs avaient modifié ce rapport pour offrir plus d’espace privatif. « Et c’est payant pour les développeurs, puisqu’il faut compter environ 15 % plus d’investissement pour l’aménagement de chaque pied carré, alors que cet espace n’est pas vendu. »

« Cela peut donc valoir la peine d’utiliser une partie de ce budget récupéré pour améliorer le confort des unités, alors que le bien-être n’a jamais eu autant la cote », ajoute-t-il. Alors que plusieurs Québécois se sont mis aux chaudrons en 2020, pourquoi ne pas investir ces surplus pour proposer des comptoirs, armoires et électroménagers de haute qualité ? « La cuisine devient vraiment la pièce maîtresse des condos, affirme le cofondateur de l’Agence SIX. Ce n’est pas optionnel ! »


Les Mariniers© Agence SIX

Sortir de la ville

Ce besoin d’espace a aussi poussé plusieurs Montréalais à quitter la ville pour la banlieue. D’ailleurs, de juin à août, il y aurait eu 41 % plus de transactions dans les régions qui entourent Montréal, selon les données compilées par l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) et rapportées par la Presse Canadienne en septembre 2020. À Montréal, cette hausse était plutôt de 20 %.

« Nous avons observé une accélération du déplacement de la population vers les secteurs hors métropolitains au cours des derniers mois. Il est difficile à l’heure actuelle de déterminer si cette tendance est reliée uniquement à la crise sanitaire ou à un exode réel vers la campagne, mais nous constatons effectivement ce changement », nuance Éric Lemieux, économiste principal à l’APCIQ.

Ce mouvement se répercute sur les ventes. Par exemple, dans le projet Les Mariniers à Beauharnois, les unifamiliales se sont envolées trois fois plus vite que prévu, estime Elian Sanchez. « Avec le télétravail, les gens n’ont plus besoin de vivre à côté de leur employeur. Cela ouvre donc la porte à s’éloigner, surtout que c’est possible d’avoir plus d’espace pour moins cher. » La troisième couronne devient ainsi un terrain propice pour des projets de grande envergure, alors que les maisons unifamiliales se font rares sur le marché. D’ailleurs, l’Agence SIX prévoit lancer en avril prochain un projet comptant quelque 200 constructions de ce type à Châteauguay.

Si les projets immobiliers à l’extérieur de Montréal se vendent comme des petits pains chauds, cela ne veut pas dire que les habitations plus urbaines sont totalement boudées pour autant. D’ailleurs, les transactions ont atteint des sommets dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal en août dernier, avec 4878 ventes résidentielles, selon l’APCIQ. Une bonne performance qui s’est maintenue cet automne.

Toutefois, la demande a été ralentie à Montréal, par rapport à la Rive-Sud, surtout dans des quartiers comme Griffintown, explique Mélanie Daigle. « Cependant, nous avons lancé le projet Auguste & Louis en plein cœur de la pandémie et avons eu un succès fou, alors que 80 % des unités ont été vendues [entre mai et novembre 2020]. » Tout un pari pour ce projet installé au sein du futur Quartier des lumières à Montréal, un nouveau développement qui prendra vie sur les anciens terrains de Radio-Canada. La première phase de ce projet compte 265 unités. « Les gens savent que la pandémie ne durera pas et qu’ils reviendront à une vie normale, alors que la prise de possession est prévue en 2022-2023 », explique la directrice communications et marketing.

Pour Elian Sanchez, ces fluctuations vers la banlieue ne sont pas dramatiques, alors que plusieurs quartiers de Montréal sont en mode vendeurs. « Ces secteurs avaient déjà un manque d’inventaire flagrant. L’exode ne vient donc pas poser de problème. Au contraire, cela devient presque une solution parce que ça va désengorger un peu ces arrondissements. À l’inverse, la demande pour des unités locatives semble en baisse », note-t-il. Ce qui
s’expliquerait notamment par les faibles taux d’intérêt, facilitant l’accès à la propriété. « C’est donc plus intéressant de faire des projets mixtes actuellement, puisque cela s’adresse à deux marchés différents. »

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Elian Sanchez, associé principal et cofondateur de l’Agence SIX
© Agence SIX

Se rapprocher de la nature

« En étant enfermés chez eux, les gens ont réalisé que la proximité avec la nature était importante, analyse aussi l’associé à l’Agence SIX. C’est bon pour la santé, pour la concentration et pour la qualité de vie d’avoir accès à tout ce qui est naturel. Les développeurs ont donc tout intérêt à ajouter des plantes et à utiliser des matériaux naturels comme le bois ou la roche, poursuit-il. Cela devient le nouveau luxe, alors que ces éléments coûtent moins cher que du marbre, par exemple. À tel point que les unités construites à proximité d’un espace vert ont pris de la valeur avec la pandémie, observe-t-il aussi.

La COVID-19 a donc confirmé l’importance de la biophilie, une approche architecturale qui tente d’imiter les conditions d’un environnement naturel, en intégrant lumière et ventilation naturelle, grandes terrasses ou verdure. Un principe qui a guidé Hugo Girard-Beauchamp dans l’élaboration de sa nouvelle gamme de projets résidentiels, le Mellem.

« Lancée en pleine pandémie avec un projet de 254 unités locatives à Brossard, cette marque répond très bien aux impératifs de la crise sanitaire, explique-t-il. Nous voulions rapprocher les occupants de la nature, avec un espace situé près du fleuve. Disons que c’est très bien tombé, alors que les gens voulaient sortir de la ville. » Avec sa place publique, ce complexe officialisé en septembre 2020 tente également de reproduire l’esprit de communauté, petits commerces inclus.

« Mais surtout, l’accent est mis sur le développement durable et la biophilie, poursuit-il. Nous croyons beaucoup à l’agriculture urbaine si bien que le projet de Brossard compte plus de 2000 pieds de plantations. Une analyse de la luminosité naturelle selon l’angle du bâtiment, sans oublier la présence de bois et de verdure, le design et l’architecture et les services ont aussi été pensés pour favoriser le bien-être de sa communauté, précise-t-il. Une philosophie qui guidera également la conception des autres complexes résidentiels signés Mellem. »

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Le Mellem
© Maître Carré

Un espace sécuritaire

Tout ce qui touche la sécurité des résidents pourrait aussi avoir la cote dans les prochains mois. Elian Sanchez cite en exemple la domotique qui rend possible la commande vocale dans les ascenseurs ou l’ouverture des interrupteurs sans contact. « Nous pourrions également voir certains constructeurs miser sur des matériaux antibactériens, comme des poignées de porte en cuivre », ajoute-t-il. De même, des vestibules qui permettent de créer une protection avec l’extérieur pourraient faire leur apparition, estime pour sa part Hugo Gagnon, associé chez NEUF Architect(e)s. 

Mais difficile pour le moment de savoir si ce genre d’aménagement changera réellement la façon de réfléchir l’habitation à long terme. « Je pense que certaines tendances risquent de s’amoindrir avec le temps. Mais, ce que les gens n’oublieront pas, c’est comment ils se sont sentis par rapport à leur espace, à leur accès à la nature, pendant la pandémie. Ce sont des choses qui vont marquer les esprits », conclut Elian Sanchez.

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado

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