Productivité en chantier : s'adapter plus rapidement au changement

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© PrévelLa pénurie de main-d’œuvre observée dans l’industrie de la construction met à mal la productivité de chantier. Dans un monde où tout tourne plus vite et où les attentes sont élevées, il importe de revoir des pratiques. La COVID-19 ne faisant que renforcer cet élan, un virage est à prendre.

Des donneurs d’ouvrage ne se gênent plus pour affirmer qu’ils préfèrent travailler avec des gens qui adhèrent promptement à l’évolution des procédés. Autant en amont qu’en aval d’un projet, ils insistent pour concourir avec des professionnels engagés dans cette réciprocité. Des propos qui ciblent l’amélioration de la productivité et la vitesse d’adaptation dans tout le spectre de la construction.

« La pandémie a permis à l’industrie de démontrer cette vitalité, indique Laurence Vincent, coprésidente de Prével, un des grands développeurs qui cultivent cette sensibilité. Au printemps dernier, lorsque le gouvernement a autorisé la réouverture des chantiers pendant la crise sanitaire, nous avons mis sur pied en un temps record plusieurs mesures pour protéger les travailleurs. »

« Évidemment, ces nouvelles pratiques ont entraîné dans les premiers jours de leur application quelques contretemps à l’horaire. C’est une période d’ajustement nécessaire. Mais nous avons rapidement repris le rythme de travail pour revenir au taux de productivité d’avant la COVID-19. Le virus n’a pas ralenti nos activités de façon significative », précise Mme Vincent.

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Force de l'industrie

« Dans la foulée, nous avons révisé certaines méthodes de planification du travail en amont, en revoyant notamment la logistique des rencontres d’élaboration des projets de construction. Nous sommes passés des réunions de coordination avec les architectes, ingénieurs et autres fournisseurs, en personne, à une dynamique d’intervention virtuelle, avec la production de documents entièrement numériques. Avec la connexion à distance, on se déplace moins et on gagne du temps », fait valoir Laurence Vincent qui stimule depuis longtemps l’appétit du changement.

« Certes, ces méthodes de travail permettent d’accentuer la productivité durant la pandémie. À la rigueur, seul un mode hybride de participation serait parfois souhaité, dans le respect des mesures sanitaires. Mais elles ne remplaceront jamais l’esprit de convivialité que procurent les rencontres réelles, lorsque les architectes, ingénieurs et designers de projets sont véritablement assis autour d’une même table pour discuter et proposer des idées », poursuit Mme Vincent.

« La prestation en ligne possède néanmoins ses avantages. Elle permet à des collaborateurs retenus à la maison ou en voyage d’affaires de prendre part à des réunions d’équipe quand cela ne peut se faire autrement. Cette ergonomie permet entre-temps d’accroître le rendement des entreprises en aplanissant les délais de rencontre. Elle ne nourrit pas cependant le dépassement professionnel, dont les bonnes idées », tranche Laurence Vincent.

Virage technologique

Le développeur qui a entrepris il y a plusieurs années le virage numérique souscrit à l’esprit d’optimisation. « À titre indicatif, nous utilisons le programme Revit. Le logiciel intègre automatiquement, et en temps réel, tous les plans d’un projet partagés entre les gestionnaires clés d’un chantier en lancement ou en exécution. Il y a longtemps que nous travaillons selon cette méthode avec les architectes, ingénieurs et designers de projets. »

« Nous avons également adopté le programme Plan Grid. Cette plateforme d’applications recoupe la coordination de stockage de plans et photos des sites en construction, les spectres de déficiences de chantier unissant les fournisseurs, l’information sur les choix des finis des immeubles à livrer, ainsi que la documentation relative à la clientèle d’acheteurs des unités, un impressionnant lot de données à partager. »

L’entreprise emploie de plus K-Ops, un progiciel servant entre autres à la gestion documentaire massive et aux flux d’approbation des mesures de suivi. « Tous nos professionnels utilisent cet outil. Il permet aux équipes de relais, une fois le projet livré par le constructeur, de soigneusement prendre les commandes de l’immeuble neuf », affirme Mme Vincent.

Laurence Vincent précise que cette formule intégrée d’informatisation édifie l’agilité des projets. « C’est un précieux outil d’information et de coordination. Il aide à répondre rapidement et plus efficacement aux demandes et exigences du client. Il sert la productivité de l’amont à l’aval d’un chantier. Nous préférons nettement travailler avec des partenaires qui utilisent ces procédés informatiques. »


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Gérer l'imprévisible

Au même moment, Catherine Dubé, co-entrepreneur chez Coboom aide à améliorer la productivité sur les chantiers de construction des entreprises de taille plus modérée, des entreprises qui ne disposent pas toujours des outils technologiques ou des ressources professionnelles pour y parvenir. Ce
marché constitue le tiers de la clientèle de la compagnie aussi présente dans les secteurs manufacturiers et des services aux entreprises.

« Nous avons intégré la sphère de l’architecture et du génie de construction à la suite de nombreux appels d’entrepreneurs en quête de solution pour
améliorer leur niveau de productivité et de compréhension de la planification. Nous avons constaté, au terme de plusieurs années dans le domaine, que le plus gros problème d’efficience des entrepreneurs en construction se situe en amont des chantiers. C’est une déficience liée au processus de coordination d’ensemble », souligne Mme Dubé.

« Force est d’admettre que dans le secteur de la construction en mode extérieur, il existe une série de variables de coordination particulièrement différente des autres domaines de production. C’est ce qui rend imprévisible la gestion des chantiers dans bien des cas. Les aléas de la météo constituent un de ces facteurs. Des canicules, des tempêtes de neige et d’autres intempéries peuvent affecter la productivité sur des chantiers », reconnaît-elle.

« De manière tout aussi contraignante, on note la difficulté des entrepreneurs généraux à interpeller les employés des sous-traitants qui ne se présentent pas sur un chantier de construction d’un client, une situation qui échappe parfois aux fournisseurs. Cette réalité décrite par des observateurs du milieu mène souvent, sous l’effet de la répétition, à des retards de livraison de bâtiments. Elle traduit une faiblesse de planification. »


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Mieux prévoir

« Cependant, la nature du temps a peu d’emprise dans la construction hors site. L’environnement abrité est plus facile à encadrer. On le voit dans les usines où des ouvriers peuvent poursuivre le travail sans être gênés par le climat. Des milieux aussi où les équipes relèvent généralement d’un seul employeur, une dynamique d’intervention plus simple à gérer. »

« Dans le contexte d’un chantier extérieur, il est très important de hausser la barre de la planification. De davantage prévoir l’existence des variations de productivité en s’attardant à davantage de détails d’organisation du travail. C’est en fixant des objectifs précis qu’on parvient à accroître la performance. La maturité de la planification est une des premières solutions de rendement d’un chantier », dit Catherine Dubé.

La planification consiste à déterminer la durée d’un chantier, à jalonner le déroulement des opérations. L’exercice permet de savoir si l’exécution du travail s’inscrit semaine après semaine dans les temps alloués. On peut de cette façon rendre compte des écarts de production et en mesurer l’incidence sur le délai de livraison. Le quadrillage des étapes de production aide à bien coordonner l’ensemble d’un chantier.

Cette logistique d’intervention doit aussi comprendre l’analyse des interrelations entre les corps de métier sur un site de travail. Un technicien de sous-traitance peu expérimenté remplaçant au pied levé un spécialiste attendu peut entraîner un retard d’exécution sur un chantier, et exacerber les tensions. Cette réalité nuit considérablement à toute avancée. Il faut alimenter l’esprit de coordination en l’ensachant dans la réflexion dès le départ.

Cerner les enjeux

« Une planification incomplète du travail, à l’instar d’une carence de suivi des attentes journalières ou hebdomadaires sur les chantiers, fait également entrave à la gestion de la productivité, poursuit Mme Dubé, car l’objectif de performance doit être défini pour être mesuré. On ne peut paramétrer et améliorer un processus qu’on ne maîtrise pas. Cette attention est à la base d’un échéancier bien monté, d’une planification lucide. »

Des objectifs clairs et équitables élèvent le degré de motivation des ouvriers. Ils pourvoient au sentiment d’accomplissement. Ces cibles permettent en outre d’identifier des enjeux de formation et de sécurité insoupçonnés sur un chantier. À ce titre, elles présupposent une introspection et l’avènement de solutions de rééquilibre. Le questionnement ouvre la voie à de saines discussions et à l’échange de bonnes idées.

« Ces intrants peuvent accroître de 10 à 15 % la productivité en termes de coûts de main-d’oeuvre sur un chantier, estime Catherine Dubé. Ils contribuent à améliorer des méthodes de travail et à bonifier l’énergie de chantier. Des entrepreneurs qui sous-estiment la portée de la planification consacrent aujourd’hui beaucoup trop de temps à éteindre des feux. Ils doivent maintes fois former des cellules de crise pour se réaligner. »

Il existe des formations sur l’art d’optimiser le temps de travail sur les chantiers et pour prévoir de manière plus rigoureuse les opérations quand on a à coordonner plusieurs corps de métiers dans un même projet. Les connaissances relayées dans ces programmes aident à gérer les imprévus sur les chantiers. Mieux encore, elles fournissent des pistes de réflexion pour améliorer les pratiques.

L’Association de la construction du Québec offre plusieurs cours en ce sens : Cours de gestion d’un projet de construction, Déléguer et responsabiliser, Gestion du temps et des priorités, L’échéancier : un outil indispensable pour gérer vos projets pour n’en nommer que quelques-uns. Vous trouverez plus d’information sur le site de l’organisation au acq.org/formations

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Catherine Dubé, co-entrepreneur, Coboom
© Coboom

Assurer la planification

Alexandre Millette, conseiller sénior en relations de travail à l’Association de la construction du Québec, estime que la maîtrise des nouvelles technologies et l’amélioration continue des méthodes de travail sont au centre des enjeux de réussite des projets. Elles permettent d’oeuvrer efficacement et dans bien des cas plus rapidement que dans les délais normalement impartis. Ce sont des clés de productivité.

À cet égard, en collaboration avec les partenaires de l’industrie, des comités d’experts destinés à améliorer les techniques de travail sur les chantiers de construction sont mis en place. Ces initiatives portent essentiellement sur le perfectionnement des tâches des travailleurs de l’industrie pour assurer une meilleure efficience dans le maintien et le développement des compétences.

L’offensive comporte cependant plusieurs défis. L’un d’eux concerne l’appréciation de l’expertise du travailleur pour maintenir sa diversification d’habilités dans un corps de métier pour que ce dernier soit toujours capable d’exercer l’amplitude de ses fonctions.

À titre indicatif, un charpentier-menuisier peut être appelé à faire du coffrage, à sabler des planchers et à monter des structures. Ce sont des compétences techniques apprises dans la formation initiale du métier. Cependant, cet ouvrier n’a pas toujours l’occasion d’exercer toutes les tâches du métier pour lequel il a étudié, notamment auprès d’un même employeur sur un chantier. Dans ce contexte, avec le temps, il affaiblit sa polyvalence. C’est un cas typique d’industrie.

« Certains entrepreneurs se consacrent à une spécialité. Ainsi, une entreprise de coffrage assigne un charpentier-menuisier à une seule facette de branche de connaissances de son métier. La compagnie ne peut faire converger les efforts de cet ouvrier vers d’autres particularités de tâches enseignées dans son métier initial. Cette réalité favorisera le développement d’une expertise, mais au détriment de l’optimisation des autres aptitudes
professionnelles du charpentier-menuisier », souligne Alexandre Millette.

Explorer le talent

Un travailleur qui changerait donc d’employeur, sans avoir eu la possibilité d’exploiter tout son talent professionnel, pourrait avoir oublié des facettes de sa formation, et avoir perdu sa polyvalence technique. C’est normalement ce qui freine le taux de productivité sur un chantier. Un retour sur les méthodes de travail lui permettra toutefois de rétablir sa diversité de fonctions.

On peut ainsi augmenter la productivité sur les chantiers en affermissant la pluralité des champs de compétences d’un travailleur spécialisé. C’est en étudiant les limites du savoir-faire qu’on améliore les techniques de travail et qu’on s’assure des meilleures pratiques. Ces vecteurs contribuent à accroître la vitesse et la sécurité d’exécution d’un chantier. Ils élèvent la productivité, convient Alexandre Millette.

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado 

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