Villes et construction résidentielle : apprendre à composer avec le changement

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De plus en plus de villes prennent le pas du développement durable, adoptant au passage des règles touchant la construction résidentielle. Comment les promoteurs immobiliers peuvent-ils naviguer à travers ces changements et ces nouvelles contraintes ?

Début 2020, un conflit a éclaté entre la ville de Gatineau et certains entrepreneurs en construction. Ces derniers dénonçaient l’adoption d’un règlement imposant différentes mesures, dont l’installation de toits verts sur toute construction d’une superficie de plus de 2000 mètres carrés. Les promoteurs immobiliers de ce secteur auraient souhaité être plus consultés avant la mise en vigueur de ces nouvelles normes, indique Shawn Côté, vice-président de Décor Pink et président régional de l’ACQ en Outaouais.

Selon lui, la réglementation était incomplète et plusieurs mesures n’étaient pas tout à fait adaptées à la réalité québécoise, comme l’implantation de pavés alvéolés à base de béton qui résistent mal à l’épandage de calcium l’hiver. « De plus, tout ce qui concerne les toits verts était basé directement sur un document de la ville de Toronto, alors que ce n’est pas le même climat qu’ici », précise-t-il aussi.

Loin d’être contre le développement durable, le représentant de l’ACQ aurait souhaité que les constructeurs puissent bonifier le règlement, en proposant différentes mesures environnementales intéressantes dans le contexte, notamment sur l’isolation des immeubles. Autre problème, soulève-t-il, c’est que ces nouvelles obligations étaient effectives sur-le-champ, ramenant une dizaine de projets à la case départ. « Habituellement, lorsqu’il y a une modification au Code national du bâtiment par exemple, nous avons un délai de six mois pour nous adapter. Nous aurions aimé que ce soit aussi le cas cette fois-ci. »

Le litige est allé jusqu’en cour, mais l’ACQ n’a pas eu gain de cause. « Cela nous a donné un sursis de trois mois, mais la juge a tranché en faveur de la municipalité », explique Shawn Côté.

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Shawn Côté, vice-président chez Décor Pink et président de l’ACQ - Outaouais / Abitibi / Nord-Ouest du Québec.© Décor Pink

Un exemple qui illustre bien les relations parfois tendues entre les villes et les entrepreneurs. « Ce genre de situation peut poser problème. D’un côté, il y a un promoteur qui achète un terrain et qui bâtit son projet en fonction de certains paramètres et de l’autre, il y a le législateur, que ce soit les municipalités ou le gouvernement, qui a des impératifs d’intérêt public. Et, ce que détestent le plus les entrepreneurs, c’est quand les règles du jeu changent en cours de route », indique Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, organisme qui fait notamment le pont entre municipalités, promoteurs et citoyens sur les questions d’urbanisme.

Une course à obstacles

Les constructeurs doivent aussi composer avec de multiples couches de réglementation, qui varient d’un endroit à l’autre. Par exemple, les municipalités n’appliquent pas toutes la même version du Code du bâtiment. S’ajoutent les règlements d’urbanisme auxquelles viennent se greffer des plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) ou les programmes particuliers d’urbanisme (PPU) qui édictent des règles précises de construction dans certains secteurs, pour protéger leur côté historique ou patrimonial, par exemple. Sans compter les différentes obligations gouvernementales qui peuvent s’additionner.

Un lourd fardeau sur les épaules des promoteurs, constate Marc Perreault, président de la firme d’urbanisme Empero.

Lui-même urbaniste, il agit justement comme conseiller auprès des entrepreneurs qui doivent naviguer dans cet environnement réglementaire complexe. « Chaque fois qu’un développeur immobilier me contacte, je m’assure d’abord qu’il a les capitaux et les fonds pour passer à travers la phase de prédéveloppement et qu’il est patient, car il n’aura pas les autorisations au moment où il le croit. » Entre l’achat d’un terrain et le moment où s’amorcent les travaux, il faut compter au bas mot un an et demi, deux ans, estime-t-il.

En effet, la liste des obligations est longue, selon Marc Perreault. Il faut parfois mener des études de caractérisation du sol, pour vérifier que le terrain n’est pas contaminé, ou des études environnementales, avec un biologiste. Pour certains projets, des études de circulation, de bruit ou de vibration peuvent aussi être requises. Ce qui peut demander des investissements supplémentaires, pour ajouter un feu de circulation ou un mur antibruit par exemple. « Quand il y a des enjeux environnementaux, c’est un gros point d’interrogation pour les développeurs », illustre-t-il.

En plus de devoir se conformer aux différentes réglementations très normatives, comme le lotissement ou le zonage, certains projets sont soumis à des évaluations plus subjectives, ajoute l’urbaniste. C’est le cas des constructions qui sont prévues dans des secteurs protégés par un PIIA, précise-t-il, ces plans sont aussi soumis à un comité consultatif d’urbanisme (CCU) composé d’élus et de citoyens.

Même si cette instance n’est pas décisionnelle, elle émet des avis sur les projets qu’elle examine. « Cela touche aussi différents éléments, dont des critères comme l’acceptabilité sociale. Par exemple, si on a un écart d’un étage entre les immeubles existants et les plans déposés, le CCU pourrait demander de revoir les hauteurs parce que cela fait de l’ombre dans les cours des voisins ou pour préserver l’intimité, et ce, même si la réglementation permet l’ajout d’un étage », cite en exemple Marc Perreault. Un processus qui peut également s’avérer long et fastidieux, selon lui.

L’application de mesures favorisant le développement durable est une autre tendance lourde qu’observe l’urbaniste. « Là aussi, il y a une part de discrétion et les municipalités sont parfois irréalistes dans leurs exigences. Mais on ne peut pas aller contre la vertu. C’est certain qu’il faut faire attention aux îlots de chaleur, à la gestion des eaux de ruissellement ou à l’efficacité énergétique. » S’il ne remet pas en question la légitimité de ces réglementations et processus, Marc Perreault estime que cela peut être difficile à suivre pour les entrepreneurs, surtout de plus petite taille.

Une nouvelle réalité

Cette tendance ne risque pas de s’essouffler, avertit pour sa part Christian Savard. « Les enjeux environnementaux, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sont devenus des incontournables. À peu près toutes les industries vont subir cette pression, y compris la construction, alors qu’on sait que la façon dont on bâtit nos villes, nos quartiers, nos maisons a un grand impact à ce sujet. » Les entrepreneurs doivent donc adapter leurs stratégies en conséquence.

Parfois, la tentation d’agir rapidement est forte pour les élus, observe-t-il. « Personnellement, je suis de l’école qui préconise plus de dialogue plutôt que moins. Mais, une fois de temps en temps il faut mettre son pied à terre et décider, en fonction de l’intérêt public. Or, s’il faut aussi laisser une certaine période d’adaptation aux promoteurs lors de l’adoption d’un nouveau règlement, il ne faut pas non plus que cela s’éternise, au risque de déraper », explique-t-il.

Il faut aussi faire la part des choses entre les entrepreneurs, qui veulent éviter les délais et les coûts supplémentaires, et les municipalités, qui prennent leurs décisions en fonction de la collectivité. Des positions qui ne sont pas toujours si opposées qu’on le croit. « Certains pensent que les promoteurs ne veulent que faire de l’argent, mais je pense plutôt qu’ils veulent faire le plus beau projet possible, estime Christian Savard. C’est pourquoi il faut instaurer un dialogue qui va nous permettre d’aller plus loin. Mais c’est à nos élus, qui sont le gardien de l’intérêt collectif, de prendre les décisions finales. »

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Christian Savard, directeur général de Vivre en ville.© Vivre en ville

En mode solutions

Est-ce qu’une certaine uniformisation dans la réglementation pourrait aussi aider à minimiser les risques de mauvaises surprises ? Certes. D’ailleurs, le gouvernement se penche actuellement sur une nouvelle stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires. Ce qui pourrait mener à des changements à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, adoptée il y a plus de 40 ans. Entre autres objectifs, cette stratégie vise à « inscrire le développement de milieux de vie durables, sains et de qualité au centre des interventions des acteurs concernés ». Plusieurs consultations des acteurs du milieu sont prévues.

Mais si cette stratégie pouvait jeter certaines bases réglementaires, les villes vont continuer d’avoir une certaine flexibilité quant à leur façon de développer leur territoire, estime Christian Savard. En effet, il serait difficile d’instaurer une seule règle s’appliquant à l’ensemble des municipalités du Québec, de Chibougamau à Montréal, et même à tous les quartiers d’une ville. « On ne gère pas la question des îlots de chaleur de la même façon en ville ou au coeur des Laurentides, illustre-t-il. Mais je comprends tout à fait que ça peut devenir compliqué pour les promoteurs ou pour les professionnels de s’adapter aux règlements de chacune des villes. »

Pour éviter les pièges, il faut bien se renseigner non seulement sur les obligations légales qui incombent aux développeurs immobiliers, mais aussi sur les orientations prises par la municipalité en matière d’urbanisme et de développement durable. Une façon d’éviter de présenter le mauvais projet au mauvais endroit.

De même, les entrepreneurs doivent se montrer flexibles et ouverts à la négociation. Le problème, c’est qu’ils sont souvent attachés à leur projet et ont parfois du mal à accepter les modifications. C’est pourquoi Marc Perreault suggère plutôt de travailler avec un professionnel, comme un urbaniste ou
un architecte, qui pourra faire le tampon entre les demandes des municipalités et le promoteur. Cette ressource peut également servir de guide pour passer au travers le dédale administratif et réglementaire, ajoute-t-il. « Il serait intéressant aussi que les villes instaurent un guichet unique pour aider les entrepreneurs à s’y retrouver. »

Ouvrir le dialogue

Mais surtout, le dialogue est une clé pour éviter les bras de fer, inutiles et souvent coûteux, croit Christian Savard. Selon lui, les différents acteurs ont tout à gagner à engager la discussion, plutôt que la bataille. Il estime donc que les entrepreneurs en construction, au même titre que les citoyens, devraient
avoir voix au chapitre en matière de développement durable et de réglementation. « Dans un monde idéal, il faut traiter les promoteurs un peu comme des citoyens. Ils aiment être avertis d’avance, être impliqués, consultés. »

C’est un peu ce qui est arrivé à Gatineau, alors que la ville a créé il y a quelques mois un comité réunissant le service d’urbanisme avec des entrepreneurs généraux, des entrepreneurs spécialisés, des ingénieurs et des architectes, mentionne Shawn Côté. Une excellente nouvelle selon lui, alors qu’il est faux de croire que les entrepreneurs ne se soucient pas des questions environnementales. « La jeune génération veut innover et est consciente des enjeux environnementaux. Le fait d’être consultés nous permet de partager les réalités vécues sur le terrain et de proposer des solutions profitables pour tout le monde. »

La consultation devient donc un outil de choix pour concilier les préoccupations des municipalités et des citoyens avec les projets des promoteurs. Une tendance qui est là pour durer.

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado

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