Retards de livraison : nouvelles mesures réglementaires, un changement favorable pour l'industrie

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La problématique de la pénurie de main-d’œuvre et la hausse importante du coût des matériaux de construction sans précédent constituent deux enjeux importants pour le secteur de l’industrie de la construction. Ces réalités entraînent des retards de livraison. De nouveaux outils viennent en aide aux entrepreneurs.

Selon Alexandre Millette, conseiller senior en relations du travail pour l’Association de la construction du Québec, la pénurie de main-d’œuvre vient accentuer la problématique des retards de livraison. C’est une réalité différente par rapport à chacun des métiers dans chacune des régions, mais de manière générale elle se vit partout et encore plus particulièrement dans les zones métropolitaines de Montréal et de Québec. « L’industrie aurait besoin d’environ 14 000 travailleurs supplémentaires chaque année sur ses chantiers pendant au moins 10 années consécutives pour aplanir la situation », estime-t-il.

« Avec les investissements publics annoncés par le gouvernement du Québec durant la pandémie, beaucoup de nouveaux projets ont également démarré, ce qui a eu pour effet d’ajouter au problème de pénurie de personnel. Des besoins de main-d’œuvre à la hausse exercent une pression sur l’activité d’industrie. Plusieurs chantiers sont en quête de personnes pour réaliser les projets et combler les exigences de la demande. À cet égard, selon les prévisions de la Commission de la construction du Québec (CCQ), l’industrie se dirige vers une autre année record sur le plan des heures travaillées. »

« À titre indicatif, explique Alexandre Millette, la construction appréhende un dépassement soutenu de 170 millions d’heures totales travaillées en moyenne, une situation observée depuis 2019 et qui perdurera dans les prochaines années selon toutes les prévisions. Il s’agit d’une importante hausse des besoins comparativement au dernier record historique vécu en 2018 qui établissait à environ 165 millions le nombre d’heures travaillées. »

Bien qu’il y ait une disparité dans le recrutement, certains emplois bénéficiant de bassins plus généreux de candidats, des entrepreneurs estiment subir en général des difficultés croissantes d’embauche dans toutes les régions. Afin de procurer des solutions, des stratégies mises en place par la CCQ et l’ACQ ciblent la promotion des métiers de l’industrie et des perspectives d’avenir de la relève. Dans un partenariat avec les regroupements syndicaux, l’industrie s’emploie à déconstruire des mythes, dont ceux dénonçant le travail saisonnier et le conservatisme technologique du milieu.

Ces campagnes d’information démontrent aux travailleurs potentiels que les métiers de la construction peuvent s’exercer à longueur d’année, hiver comme été. On explique également dans ces présentations que la profession s’accompagne d’un outillage de pointe, d’une miniaturisation d’équipement et d’une avant-garde technologique qui contribuent à endiguer l’effort musculaire et la fatigue physique des travailleurs. On pense notamment à des robots assortis de commandes à distance et à l’utilisation d’exosquelettes déjà sur le marché.

Meilleure accessibilité

Des changements réglementaires implantés en avril 2021 viennent également favoriser les efforts de recrutement de la main-d’œuvre dans la construction. Ces dispositions parviendront, croit Alexandre Millette, à résorber à plus long terme la pénurie de travailleurs dans l’industrie. Parmi les mesures adoptées, on compte le déploiement d’une nouvelle voie d’accès. « Auparavant, seules les personnes ayant terminé avec succès le diplôme d’études professionnelles, sous garantie d’un nombre minimal d’heures de travail fourni par l’employeur, pouvaient emprunter le chemin de l’industrie. »

Carolyne Filion

Des changements réglementaires implantés en avril 2021 viennent également favoriser les efforts de recrutement de la main-d’œuvre dans la construction. Ces dispositions parviendront, croit Alexandre Millette, à résorber à plus long terme la pénurie de travailleurs dans l’industrie.

Alexandre Millette, conseiller sénior en relations du travail de l'ACQ.

© Photographes Commercial

 

« À cette voie traditionnelle privilégiée s’est ajoutée une soupape de sécurité pour les entrepreneurs, un modèle d’ouverture de bassin par rapport aux métiers dans chacune des régions, une méthode vigoureusement sollicitée par les entrepreneurs ces dernières années. Cette seconde façon d’adhérer à l’industrie s’active sur l’ordonnance de la Commission de la construction du Québec lorsque le taux de personnel apprenti disponible dans un métier donné descend sous la barre des cinq pour cent dans la région. »

« Par ce moyen, on offre à quiconque, dont plusieurs candidats sans diplôme ni métier liés aux exigences de la construction, la possibilité d’intégrer l’industrie. Mais l’ouverture des bassins se déroulait jusqu’à tout récemment sans avertissement préalable, une annonce étant faite un matin pour la durée d’une seule journée d’embauche, prenant souvent au dépourvu l’industrie. Candidats et employeurs devaient donc être aux aguets pour profiter de cette solution impromptue. »

« Des améliorations ont été apportées à cette façon de faire afin de mieux servir l’industrie. Ce moyen est encore méconnu des entrepreneurs, souligne Alexandre Millette. Il émane d’un changement administratif, une mesure annoncée par la CCQ qui permet désormais de prévenir les employeurs de l’avènement d’une ouverture de bassin, en indiquant la date de son déroulement. »

« Cette modification a pour objectif de mieux préparer le recrutement. Elle permet aux entrepreneurs de sélectionner avant l’heure des candidats potentiels, des gens qui n’ont pas suivi le parcours conventionnel, pour permettre aux entrepreneurs et aux travailleurs potentiels d’être prêts à pourvoir, dès le signal donné, des postes où existe une pénurie de main-d’œuvre sur des chantiers. »

Cadre d'équivalence

À cela s’ajoute une troisième voie d’accès. Elle implique la reconnaissance ou une équivalence d’expertise de travail provenant d’une discipline professionnelle assortie d’un tronc commun d’apprentissage de pratiques apparentées à la construction. « La modalité permet de recueillir un candidat provenant d’un autre domaine d’activité que la construction, conditionnellement à une démonstration minimale en expérience de travail acquise correspondant à 35 % de l’apprentissage du métier visé. »

« À titre d’exemple, il serait possible d’accueillir dans l’industrie, grâce à cette voie, un professionnel de la réparation des surfaces de carrosserie et de peinture automobile pour lui offrir un emploi de peintre de bâtiments. Cela permet à des gens d’expérience dans un secteur en demande d’accéder rapidement à l’industrie dans un domaine d’activité. La pratique est en vigueur depuis le 24 avril », souligne-t-il.

Ces mesures qui viennent en aide à l’industrie découlent d’une étude d’analyse prospective de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction. Le rapport a été préparé par la firme Raymond Chabot Grant Thornton et présenté à l’Association de la construction du Québec en décembre 2019. Les conclusions de l’ouvrage visent à orienter le déploiement du plan stratégique de l’ACQ et à soutenir les entrepreneurs dans l’identification des pistes de solution pour faire face à l’enjeu de la pénurie de main-d’œuvre. Elles s’ajoutent à huit mesures exceptionnelles édictées par la CCQ.

Ces dernières posent un regard nouveau sur les normes réglementaires applicables à l’industrie de la construction. Les modifications paraissent sur le portail Internet acq.org. Elles ont été adoptées en février 2020 précise le conseiller senior en relations du travail Alexandre Millette.

Pénurie de matériaux

Parmi les enjeux pouvant également constituer un retard de livraison, Marie-Mychel de Charette, avocate à la Direction des affaires juridiques et gouvernementales de l’ACQ, soulève également la difficulté d’approvisionnement des matériaux pour les entrepreneurs. Ce problème est à la source de la volatilité des prix de certains matériaux. Afin de parer à la situation, elle fait état de modèles de contrats simples et épurés avant le lancement d’un chantier.

Ces documents disponibles auprès de l’Association offrent des solutions pratiques et prévisibles. Ils favorisent des ententes établies entre entrepreneurs et clients. Elle souligne qu’il est possible de trouver dans ces libellés la possibilité d’ajuster le prix des travaux, de modifier l’échéancier et de substituer certains produits sélectionnés au départ et identifiés par contrat par des matériaux nouveaux ou plus accessibles, des options généralement offertes à coût moindre.

« Cependant lorsqu’on fait affaire avec des donneurs d’ouvrage publics, les documents d’appels d’offres sont soumis aux conditions publiées dans le système électronique d’appels d’offres du gouvernement du Québec (SEAO). Ces documents sont dans bien des cas assortis de stipulations particulières, des dispositions auxquelles tout entrepreneur ne peut déroger en acceptant de soumissionner. L’entrepreneur doit donc regarder s’il existe des clauses d’ajustement de prix ou s’il est possible de modifier les échéanciers prévus dans les appels d’offres qu’il parcourt avant d’y adhérer. Sinon, il doit anticiper les risques dans le cadre de sa soumission, en sachant qu’aucune modification ne pourra, par la suite, être apportée. »

Marie-Mychel de Charette fait valoir qu’en proposant ces ajouts aux modalités d’un appel d’offres, lorsque cela est possible, l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage peuvent aider à freiner la surchauffe entraînée par des conditions non favorables de marché. « Cette vigilance contribue à livrer des projets qui conviennent mieux aux intérêts financiers des entrepreneurs et des clients, dans des délais impartis mieux adaptés à la réalité de la pénurie de main-d’œuvre et des coûts de matériaux manifestement plus élevés. »

Gérer l'imprévisible

Il est fort souhaitable que les entrepreneurs se prévalent d’une clause d’ajustement de prix, d’une clause de retard de l’échéancier et d’une clause de substitution de matériaux en cas de difficultés d’approvisionnement, lorsque les documents d’appels d’offres le permettent. Les clauses prévues au contrat pourront déterminer s’il est possible pour l’entrepreneur de réviser le prix des travaux en cas de hausse imprévisible du coût des matériaux, de proposer des substitutions de produits ou de retarder l’échéancier. « Il est donc fortement recommandé au stade de la soumission de s’assurer que les délais demandés pourront être respectés, que le prix des matériaux est garanti et de prévoir des clauses permettant de telles modifications, lorsque les documents d’appels d’offres le permettent », insiste l’avocate en rappelant que les contrats de construction prévoient généralement un échéancier précis et un prix fixe.

« Il deviendra donc plus important que jamais pour les entrepreneurs d’anticiper la hausse du prix des matériaux, les retards des délais de livraison des matériaux et même, dans certains cas, l’impossibilité de les obtenir. À cet égard, l’entrepreneur a un devoir de renseignement. Il se doit d’être diligent et donc de tenir informé son client des conséquences possibles causées par les difficultés d’approvisionnement et leurs impacts sur le prix et l’échéancier. Cela étant dit, il est fort souhaitable que les entrepreneurs insèrent une clause d’ajustement de prix, de prolongation de délais et de substitution des matériaux dans leurs contrats. »

Dans le cas d’appels d’offres publics, de telles clauses, bien qu’elles existent, sont plutôt rares. « Si vous souhaitez pallier la situation en ajoutant vous-même une clause prévoyant la possibilité de retarder l’échéancier en cas de difficultés d’approvisionnement, l’ajustement du prix des travaux ou la possibilité de proposer une substitution des matériaux au stade du dépôt de la soumission alors que les documents d’appels d’offres ne le permettent pas, votre soumission sera déclarée non conforme », convient-elle.

Proactifs et créatifs

Malgré ces obstacles, les entrepreneurs devront respecter les délais auxquels ils se sont engagés. Ils ont l’obligation de minimiser les impacts des difficultés d’approvisionnement. « Ainsi, ils doivent tout mettre en oeuvre afin de surmonter ces délais. Concrètement, lors d’un appel d’offres ou d’une demande de prix dans le cadre de la réalisation d’un contrat privé, il est important au stade de la soumission de s’assurer auprès de ses fournisseurs de la disponibilité du produit, de son prix et pour quelle durée les produits sont disponibles à ce prix », poursuit l’avocate.

« Il est important de bien limiter la durée de validité de la soumission en fonction des informations obtenues de son fournisseur. Le cas échéant, prévoir une clause permettant l’ajustement du prix, le retard de l’échéancier et la substitution des matériaux. Entre autres, en tentant d’obtenir les matériaux nécessaires d’un autre fournisseur, et ce, même à un coût plus élevé s’il n’existe aucune autre entente, relève Marie-Mychel de Charrette.

En résumé, l’entrepreneur ne pourra se justifier en invoquant qu’il n’y a pas de solution alors qu’il existe des finalités plus coûteuses ou plus difficiles, et ce, même si aucun ajustement du prix n’est possible dans le cas où une telle clause n’apparaît pas au contrat. « Il importe de demeurer proactif et créatif pour trouver des solutions minimisant les impacts aux travaux de construction. Il est également primordial de souligner que l’entrepreneur qui entend se prévaloir de telles clauses en raison de difficultés d’approvisionnement des matériaux devra s’assurer que ces difficultés ne relèvent pas d’une évaluation négligente de sa part », conclut-elle.

Carolyne Filion

« Il importe de demeurer proactif et créatif pour trouver des solutions minimisant les impacts aux travaux de construction. »

Marie-Mychel de Charette, avocate, Direction des affaires jurdidiques et gouvernementales de l'ACQ.

© Photographes Commercial

Comité conjoint SQI – ACQ, CEGQ, APECQ
Rappelons que l’ACQ a participé à la création d’un comité conjoint avec la SQI, la CEGQ et l’APEQ afin d’ajouter aux contrats de nouvelles clauses qui permettraient d’ajuster les prix en fonction des variations qui pourraient survenir.
Des rencontres ont eu lieu avec des représentants de Statistique Canada afin de pouvoir mettre en vigueur cette clause d’ajustement des prix à l’automne 2021. Une histoire à suivre…

Cet article est aussi disponible en format audio : Construire, le balado

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