L’approche BIM dans la gestion de projets de construction

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Depuis le temps que l’on parle de réalisation de projets de construction avec l’approche BIM (Building Information Modeling), il faudra bien qu’un organisme, une entreprise ou une institution accepte un jour d’en assumer le leadership pour que l’on assiste à une première réalisation au Québec.

Pour Daniel Forgues, du Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti (GRIDD) de l’École de technologie supérieure (ÉTS), il faudrait que le gouvernement du Québec oblige tous les intervenants à travailler selon les principes BIM en répondant aux appels d’offres lors de contrats publics : « Hydro-Québec a signé récemment une entente avec l’Ordre des ingénieurs du Québec pour la réalisation de la première maquette 3D scellée sans aucun dessin 2D. C’est donc cette maquette qui devient le document contractuel pour l’exécution d’un projet. Mais tant que c’est la règle du plus bas soumissionnaire qui sera imposée, il sera difficile pour les organismes gouvernementaux de réaliser des projets BIM au Québec. »

La tâche d’assurer le leadership de l’implantation du BIM ne revient pas à des chercheurs universitaires, mais plutôt aux gens de l’industrie de la construction. Où en sommes-nous au Québec au niveau du BIM ? On parle de transition, d’un outil qui force les intervenants à travailler ensemble. « Il est utopique de penser que l’approche BIM va régler toutes les problématiques liées à la gestion de projets. N’oublions pas que la construction est une industrie basée sur l’organisation du travail qui date du Moyen-âge », souligne M. Forgues. L’architecte Souha Tahrani, qui fait aussi partie du GRIDD, ajoute ceci : « Le BIM, c’est un processus que nous sommes en train d’implémenter avec plusieurs partenaires industriels. Nous nous demandons comment les entreprises vont utiliser cette approche, qui est à la fois une technologie et un processus. »

article-bim1M. Daniel Forgues du Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti (GRIDD) et professeur en construction durable et technologies de l’information au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS).

Photo : Lino Cipresso

Confusion - Incompréhension

Dans l’industrie, il existe une certaine confusion ou une incompréhension du terme BIM. Pour la plupart des intervenants, il s’agit d’un modèle 3D (logiciel), ce qui est vrai, mais le BIM ne se limite pas qu’à la technologie. Cet outil exige une collaboration indéfectible et un engagement sans failles de tous les intervenants dans la gestion et la réalisation d’un projet. Invitée comme conférencière aux Rendez-Vous ACQ, en décembre dernier à Saint-Sauveur, Souha Tahrani a décrit les concepts et les enjeux du BIM pour bien faire comprendre aux entrepreneurs à quoi ils doivent s’attendre de cette méthode de travail de conception, de planification et de gestion de projets : « On en parle comme d’une activité humaine qui comporte un vaste processus de transformations dans le domaine de la construction afin d’améliorer la conception et l’exploitation d’un projet. Et, comme produit, il sert de ressource pour le partage de données concernant un bâtiment, formant une base fiable pour la prise de décisions pendant sa durée de vie et ce, dès sa création. »

Intégration BIM

Pour que le Québec demeure compétitif à l’échelle mondiale, il faut absolument améliorer les pratiques dans le secteur de la construction, un grand créateur de richesses. « En Finlande, un pays de 5 millions d’habitants, le gouvernement a investi 21 millions d’euros pour favoriser l’intégration et l’application du BIM. Ici au Québec, rien. » À l’automne 2013, une décision des administrateurs de la Société québécoise des infrastructures montrait une certaine ouverture quant à l’exigence de réaliser des projets publics BIM, mais le support politique sera nécessaire pour un tel contrat social. « La construction est une industrie très fragmentée, très réglementée et qui est en train de se judiciariser. La base du succès du BIM repose sur la confiance et la collaboration. Avec la judiciarisation, c’est la méfiance et le contrôle qui s’installent », précise Daniel Forgues.

Des tentatives fructueuses

On parle du BIM, mais il y a aussi d’autres modèles comme le LEAN Construction. Daniel Forgues explique : « Ça fait des années que j’en parle et nous avons réalisé un projet pilote avec Rio Tinto Alcan. C’est un changement de culture parce qu’avec ce concept, on valorise tout le monde. De l’ouvrier jusqu’au contremaître, tous apprennent comment mieux travailler ensemble. » Souha Tahrani rappelle les efforts en technologies mobiles : « C’est simple et facile à utiliser. Ce sont des initiatives personnelles, mais ce n’est pas encore généralisé sur tous les chantiers. » Du côté d’Hydro-Québec, on a engagé une firme pour concevoir le Smart-Use, un gros iPad électronique. « Au lieu d’avoir des plans qui traînent partout, ils ont une salle de plans électronique au siège social qui leur a permis de récupérer deux étages en utilisant une technologie appropriée », donne comme exemple Daniel Forgues.

Le chercheur de l’ÉTS se souvient d’un mandat en 1998 où il devait implanter un système de gestion de l’information dans une compagnie à Montréal et il y avait des fournisseurs qui ne savaient même pas ce qu’était un courriel. « Avec le BIM, on fait un saut quantique au niveau technologique et ça prend des outils de transition comme les tablettes pour s’habituer à travailler avec des outils électroniques et sortir du papier. » Et puis, il faut aussi prendre en considération la propriété intellectuelle du modèle. Souha Tahrani est préoccupée par cet aspect : « Le modèle sert à partager les informations. Par contre, certains intervenants résistent toujours à partager leur modèle. Et il y un autre problème quant à la signature parce qu’il faudra convaincre tous les intervenants que c’est le modèle 3D qui aura préséance sur le chantier. »

BIM au Canada et ailleurs dans le monde

Dressant le palmarès BIM au Canada, Daniel Forgues mentionne l’avance de l’Alberta parce que le gouvernement de cette province s’est vraiment engagé depuis 2011 en créant un centre d’excellence en BIM et en mettant l’accent sur la formation. « C’est le leader canadien et nous sommes en contact avec Infrastructures Alberta pour obtenir un coup de main de leur part ici au Québec. » Le chercheur souligne également les projets BIM réalisés en Colombie-Britannique où plusieurs firmes ont eu l’occasion de mettre en pratique ce concept lors des Jeux olympiques d’hiver en 2010. « Les entrepreneurs canadiens ont beaucoup appris des firmes étrangères », dit-il. En 2008, les Chinois se sont aussi servis du modèle BIM pour construire les installations des Jeux olympiques d’été à Pékin et des bâtiments en un temps record. « Les Chinois ont bâti un hôtel de 30 étages en 15 jours. Aucune firme en Amérique du Nord n’est capable de faire ça… Ils sont allés chercher toutes les firmes de génie-conseil et d’architectes les plus avancées au monde… Il ne serait pas surprenant de les voir nous vendre des tours de 60 étages, clés en main, fabriquées en usine.
La compagnie Toyota bâtit des maisons au Japon et l’entreprise Broad Sustainable Building va bientôt construire en Chine la plus haute tour du monde en deux ou trois mois… Une tour préfabriquée, assemblée sur le chantier… Pourquoi ne pourrions-nous pas faire ça ici ? »

article-bim1Lors de sa conférence aux Rendez-vous ACQ en décembre dernier à Saint-Sauveur, Souha Tahrani a tenu à définir le BIM en tant que processus et produit. Elle en parle comme d’une activité humaine qui comporte un vaste processus de transformations dans le domaine de la construction. Comme produit, il sert de ressource pour le partage de données concernant un bâtiment, formant une base fiable pour la prise de décisions pendant sa durée de vie et ce, dès sa création.
Photo : André Bernier

Quand un premier projet BIM au Québec ?

On est toujours dans l’attente de réaliser un projet de construction selon le concept BIM, de A à Z. Sur le chantier du CUSM (Centre universitaire de santé McGill), on a perdu beaucoup d’efficacité dans le processus en réalisant des dessins en 2D pour les convertir en 3D ou en imprimant des dessins en 2D pour construire. « L’entrepreneur général Pomerleau a commencé à utiliser le 3D dans ses projets pour la construction et la logistique de chantier. Le processus BIM est mis de l’avant dans la réalisation du futur amphithéâtre de Québec, du moins en partie. L’entreprise dirigée par Pierre Pomerleau est la plus avancée à ce chapitre au Québec. » Les deux chercheurs de l’ÉTS reconnaissent que le contexte contractuel québécois est trop axé sur la confrontation plutôt que la collaboration et l’innovation, les pierres angulaires du BIM. « En Californie, on bâtit des hôpitaux en respectant le budget et l’échéancier. Ici, ça coûte trois fois plus cher. Et puis, il y a toutes les poursuites devant les tribunaux… » Souha Tahrani renchérit : « Les nouvelles pratiques contractuelles associées au BIM comme Integrated Project Delivery/Réalisation intégrée de projets (IPD) sont basées sur l’idée que les risques et les bénéfices sont partagés entre les partenaires. Il n’y a donc pas de poursuites. Les intervenants s’entendent dès le départ pour travailler ensemble et former une équipe. » Et l’un des principaux avantages du BIM, c’est justement de réduire les risques parce qu’il faut tout prévoir. « Il y a de gros chantiers qui s’en viennent comme le pont Champlain, l’échangeur Turcot, le CHUQ à Québec, ce sont des investissements majeurs. Seront-ils réalisés de la bonne façon ? Selon nous, si on prenait le temps de réfléchir, on pourrait certainement réduire les coûts de construction de 20, 30, 50 %. »

Formation et uniformisation des documents

On ne peut pas aborder les technologies associées au BIM sans jeter un coup d’œil à la formation et à l’uniformisation des documents. Des démarches ont été entreprises avec la Commission de la construction du Québec pour des cours d’accès à l’information destinés aux travailleurs. L’ÉTS travaille en étroite collaboration avec un donneur d’ouvrage pour étudier l’impact des technologies mobiles utilisant les tablettes pour faciliter le processus de communication sur le chantier. « Avec tous ces outils ultralégers, on va finir par connecter les deux systèmes », espère Daniel Forgues. Toujours à l’ÉTS, on va commencer une première certification BIM Manager en avril 2014 à l’intention des gens de l’industrie dans un processus de formation continue. Les deux chercheurs étaient fiers de rappeler que l’École de technologie supérieure sera la première université à offrir une formation de ce niveau au Canada, une certification qui nous vient de Singapour. « L’un de nos partenaires s’est rendu en Asie pour être certifié BIM Manager et c’est lui qui sera responsable du contenu de ce cours. Nous étudions la possibilité d’offrir une autre certification, mais cela reste à confirmer. »

Parmi les autres bonnes nouvelles, soulignons que l’Association canadienne de la construction, Devis Construction Canada et l’Institut pour la BIM au Canada sont en train de préparer un contrat type pour la réalisation intégrée de projets (IPD). De plus, un étudiant de l’ÉTS réalise un projet pilote avec la Société québécoise des infrastructures afin d’analyser toute la problématique d’implantation du BIM chez les grands clients, donneurs d’ouvrage au Québec. « Vous savez, aux États-Unis, c’est l’Administration des services généraux (General Services Administration) qui a parti le bal pour la réalisation de projets BIM. En 2015, les projets de Construction de Défense Canada seront faits en BIM. On sent que ça bouge… »

Plan de gestion BIM

Identifier les buts (objectifs) et les utilisations (usages) BIM
Utiliser les caractéristiques du projet et de l’équipe pour déterminer les objectifs et les utilisations (usages) pour le projet.

Design BIM et exécution du processus
oncevoir un processus qui inclut les tâches (fonctions) de BIM avec le partage d’informations.

Développer information, échange et exigences
Développer l’information concernant les parties prenantes (responsables), les regroupements et le calendrier pour chaque échange

Définir le support, l’infrastructure pour l’implantation de BIM
Définir l’infrastructure nécessaire (requise) pour supporter (appuyer) le processus BIM développé

Glossaire

  • BIM – Building Information Modeling – Modélisation des données du bâtiment
  • IPD – Integrated Project Delivery – Réalisation intégrée de projets
  • LEAN Construction et Last Planner System – Outils de gestion de projets (secteur manufacturier appliqué aux chantiers de construction)
  • IDP – Integrated Design Process - Processus de conception intégré

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