Filature d'un employé : avez-vous le droit ?

Réjean Côté
Réjean Côté
Chroniqueur Juridique

Le droit d’un employeur d’avoir recours à la filature pour vérifier le comportement d’un travailleur à son insu est de plus en plus encadré par les tribunaux. Et les erreurs peuvent être coûteuses !

Gérard-Guy (nom fictif) peut à peine se traîner, appuyé sur sa canne, lorsqu’il vient rencontrer son contremaître afin de faire le point sur sa blessure au dos qui serait survenue au travail un mois plus tôt. Il lui est pratiquement impossible de bouger, encore moins de travailler. Alors, pour ce qui est de bûcher et de corder du bois à son chalet … Et c’est pourtant ce qu’il fait, pendant plusieurs heures, sans le moindre signe d’inconfort ! Les images captées par les enquêteurs ne laissent place à aucun doute. Gérard-Guy a fraudé tout le monde ! Et son employeur le sanctionne en conséquence.

Devant le Tribunal, le procureur du travailleur prétend que l’employeur a porté atteinte à la vie privée de son client et que toute la preuve de la filature devrait être exclue.

Le représentant de l’employeur admet qu’il se questionnait sur l’honnêteté de Gérard-Guy, qui semblait un peu évasif quant à sa description du fait accidentel supposément à l’origine de sa prétendue blessure. Pour en avoir le coeur net, il a communiqué avec une firme de détectives.

En présence d’un témoignage démontrant un manque flagrant de motifs permettant de recourir à un moyen aussi invasif que la filature au moment où la décision a été prise, le juge déclare la preuve irrecevable. Retournement total de situation ! Le congédiement du travailleur est annulé et sa lésion professionnelle est reconnue.

Cette histoire est fictive, mais elle est inspirée de faits et de décisions bien réels.

Le droit de l'employeur n'est pas absolu

Il faut savoir qu’au Québec, le fait de surveiller une personne et de capter son image constitue une atteinte à sa vie privée, même si elle se trouve dans un lieu public1.

Le Code civil2, tout comme la Loi sur la justice administrative3, prévoient que le Tribunal peut, même d’office, écarter tout élément de preuve qui a été obtenu dans des conditions portant atteinte aux droits
et libertés fondamentaux si leur utilisation en cours de procès est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Dans l’affaire Bridgestone Firestone4, qui fait toujours autorité, la Cour d’appel indique que la surveillance d’un employé à l'extérieur de l'établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables.

 L'employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance. Il ne saurait les créer aposteriori.

La jurisprudence nous offre plusieurs exemples de motifs raisonnables. En voici quelques-uns :

  1. Des rapports médicaux contradictoires et une dénonciation quant au fait que le travailleur exerce un autre emploi5;

  2. Des informations suffisamment sérieuses pour croire, dans ce cas-ci, qu’une travailleuse ne portait pas attention à son travail et ne respectait pas les règles de l’entreprise6.

En résumé, il ne s’agit pas de déterminer si le doute est fondé ou non, mais si l’employeur est fondé d’avoir un doute7.

Parmi les motifs jugés insuffisants, on retrouve :

  1. Une filature hâtive, 16 jours après l’événement;
  2. L’ampleur des symptômes allégués par le travailleur, qui était, pour l’employeur, invraisemblable et exagérée, après discussion avec deux infirmières de son service de santé et après des recherches sur Internet8 ;
  3. Le fait que le médecin de l’employeur ne mentionne aucune exagération de la part du travailleur dans son rapport9.

Bien entendu, chaque situation est un cas d’espèce et recèle son lot de difficultés. Il importe de retenir que les tribunaux se font de plus en plus vigilants pour faire respecter les droits et libertés fondamentaux des individus. Et ceci doit inciter les employeurs à la plus grande prudence.

Pour toute question concernant la possibilité d’avoir recours à la filature d’un employé, n’hésitez pas à communiquer avec la Direction des affaires juridiques et gouvernementales de l’ACQ au 514 354-0609 ou au 1 888 868-3424.

1 [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.)
2 L.Q., 1991, c. 64, art. 2858.
3 L.R.Q., c. J-3, art. 11.
4 [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.)
5 Sobeys Group (IGA Extra) et Kaid C.L.P.,
277155-71-0511, 2006-07-13, Lucie Landriault.
6 Syndicat des travailleurs(euses) de la Station
Mont-Tremblant (CSN) et Station Mont-
Tremblant (Claudine Amadei), 2018 QCTA 54
7 Id.
8 IAMGOLD Mine Westwood et Le Riche, 2017
QCTAT 3107
9 Id.

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