Innovation et R-D : La performance impose l'investissement

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Jodoin Lamarre Pratte architectes et Pomerleau
Améliorer la performance et la compétitivité de l’industrie de la construction de bâtiments passe résolument par l’intégration de meilleures pratiques et de technologies, estiment des chercheurs. Du dispositif connecté et plus convivial au matériau plus performant, portrait des changements qui alimentent l’innovation.


Roland Charneux, directeur éconergie chez Pageau Morel est le président du Centre d’études et de recherches pour l’avancement de la construction au Québec (CERACQ). L’organisme sans but lucratif qui a vu le jour en 1988 représente une bougie d’allumage pour de multiples projets dans l’industrie au Québec.

« Ces dernières années, nous avons fréquemment collaboré avec l’École de technologie supérieure (ÉTS), entre autres, pour identifier des projets et mettre au point des solutions, notamment des applications de produits novateurs pour faciliter le travail sur les chantiers de construction. Cette coopération réalisée avec le professeur Daniel Forgues et les étudiants de l’École a notamment fait surgir un guide des technologies mobiles applicables sur les chantiers. »

Ce guide destiné à tous les professionnels reliés aux projets de construction, incluant les entrepreneurs généraux, sous-traitants, architectes, ingénieurs, gestionnaires immobiliers et fabricants, comprend un modèle d’implantation, des conseils stratégiques, un tableau décisionnel pour orienter le choix technologique ainsi qu’un gabarit de plan d’affaires pour calculer la rentabilité de l’investissement. « Ce document pourra aussi informer les développeurs d’applications mobilessur le contexte de l’industrie de la construction », rapporte Roland Charneux.

Documents électroniques

Un guide de la conception intégrée est également né de ces travaux de recherches avancées dirigés par le CERACQ, de concert avec l’ÉTS. « Preuve de son efficacité, l’outil lancé il y a environ trois ans, qui permet aux partenaires des projets de construction d’échanger de l’information et d’unir leurs efforts, dans l’intention de susciter de nouvelles méthodes et pratiques dans l’industrie de la conception, a été rapidement adopté par Hydro-Québec dès sa livraison dans le cadre de la promotion de la conception intégrée », souligne M. Chagneux.

 Selon le CERACQ, un virage important devait être orchestré dans la façon de concevoir et de construire des bâtiments écoénergétiques. À ce propos, l’adoption de la conception intégrée (CI) est une voie reconnue dans l’évolution des pratiques de l’industrie de la construction, ainsi qu’une opportunité de mieux intégrer les aspects environnementaux et énergétiques constituant l’enjeu des chantiers.

« L’information contenue dans ce guide a été recueillie pour aider notre industrie et tous ses intervenants, en leur permettant de se comparer ou d’avancer dans leur démarche. En sachant que le cycle de vie d’un bâtiment, de la conception à la mise en opération, représente au Canada près de 30 % de la consommation d’énergie, 38 % des émissions de gaz à effet de serre et 40 % des sources de déchet, on comprend qu’un virage important doit être établi. Nous tentons ainsi de donner un coup de main au développement dans tous les projets », poursuit M. Charneux.

L’objectif de ce guide de CI est de faciliter la transition des pratiques de la construction vers une approche de conception principalement centrée sur la réduction de l’empreinte écologique du cadre bâti, résume l’ingénieur porte-parole du CERACQ.

Notons que ces guides sont disponibles sur le site Internet du CERAQ.

Roland Charneux , président du CERACQ.

Roland Charneux, président du CERACQ.

Partage d'expériences

« Présentement, nous planchons sur une autre avenue : le guide d’intégration des technologiesmdans les bâtiments. Ce manuel de modélisation de données de bâtiment (BIM) permettra aux propriétaires d’édifices de mieux utiliser les maquettes de conception 3D qui leur sont présentées à la livraison de l’immeuble. Un produit assorti d’un document de coordination également en trois dimensions, afin de supporter les opérations de maintenance des bâtiments. Des guides mis à jour de manière électronique. »

Selon Daniel Forgues, professeur titulaire du programme de génie de la construction de l’ÉTS, le cadre conceptuel du BIM formé de trois dimensions interreliées (technologie, organisation et processus) sert de base théorique. L’universitaire qui dirige également le Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti (GRIDD), en plus d’une chaire de recherche rattachée à l’industrie, participe de façon active à ces travaux de conception intégrée pour le Québec.

Son investissement rejoint les aspirations du CERACQ. Estimant que le Canada arrive en peloton de queue parmi les pays du G7 en matière d’innovation dans l’industrie de la construction, il observe que des améliorations transforment et bonifient depuis quelques années la position canadienne sur l’échiquier de la recherche et du développement de solutions. Des initiatives qui ont mené à la création de nouvelles chaires, dont une récemment fondée à l’École polytechnique de Montréal, une intervention soutenue par l’École d’architecture de l’Université de Montréal, sont à la source de ce rebond.

Financés par l’industrie privée au Québec, ces projets porteurs d’innovation constituent des ressources indispensables d’avancées.

Daniel Forgues, professeur  à l'ÉTS.

Daniel Forgues, professeur titulaire du programme de génie de la construction de l’ÉTS.

Premières canadiennes

En effet, parent pauvre de ce secteur de recherche il y a à peine quelques années, le Québec a su gagner beaucoup de terrain favorable en seulement cinq ans. Nous sommes aujourd’hui parvenus à une place parmi les meilleurs sur le plan de l’innovation et de l’application de procédés au pays dans le secteur de la construction », souligne M. Forgues.

Issu de cette industrie, ayant oeuvré sur des chantiers pendant près de 25 années avant d’entreprendre sa carrière académique, Daniel Forgues, également professionnel de l’informatique et du développement de produits, a longuement vécu ce retard sur les sites de la construction du Québec. C’est ce qui a motivé son intérêt à créer le programme BIM au département de génie de construction à l’ÉTS, une plateforme de cours unique au Canada, axée sur les pratiques industrielles.

Un programme qui a pour mission d’aider l’industrie de la construction à se dépasser, notamment au chapitre de la conception intégrée et des procédés de réalité virtuelle. Une démarche qui favorise d’emblée une approche d’activisme propice à l’avancement de l’industrie.

Ce principe permet aussi de porter des actions au niveau politique pour favoriser les changements. « En intervenant notamment auprès des grands donneurs d’ouvrage gouvernementaux, dit-il. Une réflexion qui a entre autres contribué à la mise sur pied de la table multisectorielle, un comité regroupant les principaux acteurs de l’industrie de la construction au Québec. Une constituante qui a d’ailleurs déposé l’an dernier un manifeste au ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec, exigeant que l’on inscrive l’industrie de la construction dans le virage numérique. »

Cette initiative a permis au projet supporté par le GRIDD de récolter plus de 10 millions de dollars d’aide financière pour développer un contexte stimulant d’apprentissage et de collaboration, source d’une première canadienne dans ce créneau.

Dans ce cadre, plusieurs étudiants faisant partie du programme de génie de construction de l’ÉTS collaborent à des projets de recherche en compagnie d’importants partenaires industriels.

Bâtiments et matériaux

Cette ferveur est également observée à Ottawa dans un domaine autre que le numérique. Michael Lacasse, agent de recherche principal du Centre de recherche en construction du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), est chef de groupe du secteur de l’enveloppe du bâtiment et matériaux. À ce titre, il fournit une expertise au service d’évaluation de nouveaux produits du Centre canadien de matériaux de construction (CCMC).

Des produits qui font l’objet de multiples bancs d’essai avant de pouvoir se retrouver dans le Recueil de matériaux approuvés par le CCMC. Un procédé endossé par les gouvernements provinciaux et territoriaux qui règlementent la conception et la construction des bâtiments au Canada.

À cet égard, il se fait beaucoup de recherche au pays, précise-t-il. « Plusieurs manufacturiers canadiens et d’outre frontière soumettent chaque année un flot abondant de nouveaux produits uniquement dans le secteur des pièces et matériaux de construction. Entre autres, on y trouve des systèmes dits plus performants ou adaptés aux changements climatiques. Ces prototypes doivent se prêter à des analyses exhaustives et une rigoureuse batterie de tests dans nos locaux à Ottawa, avant de franchir une éventuelle étape de lancement. Ce protocole qui, en plus de corriger de potentielles lacunes de produits, permet d’établir si le produit à l’étude est durable et conforme aux normes prescrites dans le Code national du bâtiment », explique Michael Lacasse.

 Ce cheminement qui favorise l’échange d’information, au demeurant confidentielle entre les parties, génère aussitôt selon l’étape de présentation ou d’évolution du produit à l’étude un énoncé de suggestions et de recommandations adressées aux manufacturiers concernés. Cet encadrement se penche sur des carences d’observation qui peut conduire à la création d’un programme de formation avancée et inédit, à l’intention du manufacturier et du législateur, afin de procurer au système en devenir davantage de possibilités, particulièrement sur le plan écoénergétique.

« Ces mesures ciblent une croissance propre, produisant de faibles émissions de carbone au premier chef, et qui stimulent l’innovation dans le but de rendre l’industrie canadienne concurrentielle sur son territoire et sur le
marché mondial », résume M. Lacasse.

Centre d'essai du CNRC

Centre d'essai du CNRC.

Génie québécois

Par cette intervention, le Conseil national de recherches du Canada guide l’élaboration du contenu du Code national du bâtiment. Un Code qui tient particulièrement compte de la singularité, et particulièrement de l’évolution, des charges climatiques de chaque région du pays. Une expertise qui tend à démontrer que les villes et leurs bâtiments subissent davantage d’épisodes de surchauffe. Un constat qui force parfois l’abandon de
certains produits existants d’enveloppe du bâtiment ou qui suggère formellement l’adaptation de ces derniers aux nouvelles réalités du climat.

« La création de systèmes d’isolation originaux et plus performants, conférant plus de confort aux occupants en toute saison, en témoigne. Cette adaptation de matériaux qui a comme principal objectif de réduire le recours à des équipements mécaniques de chauffage ou de climatisation. Car, c’est dans le dessein de diminuer la consommation énergétique, ou plus précisément l’empreinte carbone d’un bâtiment, que toute recherche ou étude de nouveaux produits s’effectue au pays. »

 Or, c’est au Québec, un territoire particulièrement affecté par l’évolution saisissante des sommets de surchauffe estivale et d’épisodes de froid polaire en hiver, que l’intensification de la recherche de solutions adaptées est la plus nourrie au pays. Le Québec constitue plus du tiers du volume de propositions canadiennes de produits et matériaux novateurs à l’étude au CNRC depuis quelques années.

« Cette tendance devrait progresser si l’on tient compte de l’observation des modèles de prévisions de changements climatiques en cours dans les agglomérations urbaines du sud de la province », dit Michael Lacasse.

Retour sur investissement

Une information corroborée par l’ingénieure Hélène Roche, agente d’évaluation du Centre canadien de matériaux de construction du CNRC, qui constate la bonne préparation du Québec à cet égard. « Le secteur des matériaux de construction est l’objet de beaucoup de recherche. Sa dynamique progresse avec le prix de l’énergie qui ne cesse d’augmenter », précise-t-elle.

« Dans l’industrie de la construction, c’est généralement les propriétaires d’habitations ou d’édifices commerciaux qui sont appelés à débourser une partie des coûts de l’innovation. Or, peu d’acheteurs immobiliers consentent à payer davantage pour une propriété, même assortie de nouveautés, quand vient le temps de réaliser la transaction. »

Cette situation freine quelque peu le développement de la nouveauté dans l’industrie des matériaux de construction, croit Hélène Roche. « Cependant, l’augmentation des coûts de l’énergie que doivent absorber les propriétaires d’immeubles au quotidien invite à une tout autre réflexion. Les grands propriétaires immobiliers, au même titre que les acheteurs d’habitations, sont davantage conscients des économies potentielles et récurrentes que peuvent entraîner de meilleurs produits.

C’est pourquoi beaucoup de manufacturiers investissent de manière exponentielle dans la recherche et l’innovation, dans des produits particulièrement adaptés à la nouvelle réalité climatique, plus que dans tout autre catégorie de matériaux. »

Tout ajout à la qualité de l’enveloppe thermique d’un bâtiment est bien accueilli dans ce contexte. « C’est un domaine où le retour sur investissement, même décrit comme parfois profitable, constitue une évidence d’économies pour l’acheteur. Le nombre d’innovations proposées au CNRC dans ce créneau en témoigne vigoureusement », confirme la porte-parole du CCMC. Elle estime que plus de 70 % des projets présentés par les manufacturiers canadiens de matériaux de construction sont directement liés à la structure et l’enveloppe du bâtiment.

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