Début des recours judiciaires pour les organismes publics victimes de fraude

Marie-Mychel de Charette, avocate
Marie-Mychel de Charette, avocate
Chroniqueur Juridique

Les mesures du chapitre III de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics prévoient une présomption de préjudice en faveur d’un organisme public dont la valeur pourrait atteindre jusqu’à 20 % du prix du contrat, alors même que le préjudice aurait été causé après le 15 décembre 1997.

C’est le 15 décembre dernier qu’a pris fin le Programme de remboursement volontaire (« Programme ») et par le fait même qu’est entré en vigueur¹ le chapitre III de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics² (« Loi »).

Le Programme permettait à une entreprise ou une personne physique de rembourser volontairement au gouvernement certaines sommes obtenues à la suite d’une fraude ou d’une manœuvre dolosive dans le cadre de l’adjudication, de l’attribution ou de la gestion de contrats publics. Le gouvernement a, par la mise en place du Programme, favorisé les règlements à l’amiable avant de devoir engager des recours judiciaires et ainsi, faciliter l’accès à la justice.

Maintenant, en vertu du chapitre III de la Loi, les organismes publics pourront bénéficier de présomptions et de règles particulières facilitant ainsi les procédures judiciaires afin de récupérer des sommes qu’ils ont payées injustement.

Les personnes visées sont les entreprises et les personnes physiques dont notamment les dirigeants et les administrateurs. Ces dernières sont susceptibles d’être poursuivies solidairement si elles n’ont pas respecté le processus d’octroi de contrats publics. Il est à noter que les dispositions de la Loi s’appliquent à tous les secteurs d'activité et non seulement à celui du domaine de la construction.

Une des mesures qui a une incidence importante sur les personnes visées est la présomption de préjudice. Cette dernière annonce que « Toute entreprise ou toute personne physique qui, à quelque titre que ce soit, a participé à une fraude ou à une manœuvre dolosive dans le cadre de l’adjudication, de l’attribution ou de la gestion d’un contrat public est présumée avoir causé un préjudice à l’organisme public concerné. […] »³

Ainsi, afin que l’organisme public puisse bénéficier de la présomption de préjudice il devra prouver d’une part la fraude ou la manœuvre dolosive et d’autre part la participation à l’acte répréhensible commis par l’entreprise ou une personne physique. Si l’organisme public prouve ces éléments, il sera en droit de réclamer une compensation monétaire en guise de dommages présumés.

Or, cette compensation monétaire est affectée d’une seconde présomption soit celle de la valeur du préjudice4. Ainsi, un organisme public pourra réclamer jusqu’à 20 % du montant total payé pour le contrat. De plus, cette somme portera intérêt à compter de la réception de l’ouvrage par l’organisme public. Ces présomptions allègent le fardeau de preuve pour l’organisme public en ce qu’il n’a pas à prouver le préjudice ni sa valeur. C’est alors à l’autre partie de prouver que l’acte reproché n’a jamais eu lieu ou de prouver la valeur moindre du préjudice.

Dans l’éventualité où l’organisme public désire réclamer une somme supérieure à 20 % du montant total payé pour le contrat, il devra en faire la preuve.

Advenant un jugement en faveur de l’organisme public, une somme supplémentaire de 20 % du montant total du préjudice sera ajoutée à titre de frais engagés. De plus, avec autorisation d’un juge, l’organisme public pourra protéger sa créance avec une hypothèque légale sur tous les biens de l’entreprise ou de la personne physique, mais seulement s’il y a des raisons de croire que la créance soit mise en péril.

Une autre règle particulière permet d’étendre le délai de prescription pour tous recours judiciaires en vertu du chapitre III. Ainsi, pour les 5 prochaines années, les organismes publics auront la possibilité d’entreprendre des recours civils pour tous contrats où un préjudice a été causé au cours des 20 dernières années, soit le 15 décembre 1997. De plus, si une action avait été rejetée pour le motif que le droit était prescrit, cette dernière peut être reprise à condition qu’elle soit intentée avant le 15 décembre 2022.

Désirant accélérer le traitement de tous les recours judiciaires en vertu de la présente Loi, ils seront traités en priorité par les tribunaux. Ces mesures exceptionnelles sont temporaires et cesseront d’avoir effet le 15 décembre 2022.

Il sera intéressant de voir les impacts qu’auront de tels jugements sur les entrepreneurs en construction, le cas échéant. À la suite d’un jugement de culpabilité, est-ce que l’Autorité des marchés financiers pourrait refuser de délivrer une autorisation doutant de l’intégrité des entreprises ? Dans la même lignée, la Régie du bâtiment du Québec pourrait-elle décider de délivrer une licence restreinte ? Dans les deux cas, cela aurait comme conséquence d’exclure l’entreprise des processus d’octroi de contrats publics.

¹Décret 1230-2017, (2017) 52 G.O. II, 5845.
²2015, chapitre 6 .
³Art.10 al.1 de la Loi.
4Art. 11 al.1 de la Loi : « Le préjudice est présumé correspondre à la somme réclamée par l’organisme public concerné pour le contrat visé lorsque cette somme ne représente pas plus de 20 % du montant total payé pour le contrat visé. […] »

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