Villes, promoteurs et citoyens : des intérêts à concilier

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Concilier les intérêts des promoteurs, des institutions et des citoyens dans un projet immobilier, c’est possible ? Comment y arriver ? Et surtout, comment trouver des solutions avec les villes et travailler avec les citoyens ?

Selon la réglementation actuelle, les projets de développement immobilier qui sortent du cadre sont soumis à l’approbation citoyenne à la fin du processus, alors qu’ils sont pour ainsi dire ficelés. « Quand ça fait deux ans que tu travailles avec les services d’urbanisme de la Ville, que tu as ajusté ton projet des dizaines de fois, tu es un peu au bout de tes ressources. C’est donc difficile de se montrer flexible », s’exclame Alexandre Forgues, président de District Atwater. Et cela donne l’impression aux citoyens d’être mis devant le fait accompli.

C’est pourquoi dans le projet Origine, Alexandre Forgues a décidé de prendre le pouls de la population au tout début du processus. « On oublie trop souvent qu’on développe des immeubles pour les humains qui vont y vivre. Ce n’est pas qu’une question de rentabilité monétaire, ni d’intégration au cadre bâti, mais plutôt de qualité de vie, explique celui qui se définit comme un développeur plutôt qu’un promoteur. D’où l’importance de construire des projets qui vont répondre aux besoins des futurs résidents… Et de leurs voisins ! »

Ainsi, l’entrepreneur a réuni une équipe d’une douzaine de personnes pour consulter la population autour de ce projet, qui permettra de construire 64 unités d’habitation ainsi que des commerces sur un terrain situé à un jet de pierre du métro De l’Église. L’exercice, une première à Verdun, a réuni plus d’une centaine de personnes, avec kiosques directement sur le site et discussions qui ont permis de bonifier le projet. À la demande des riverains, plus d’une vingtaine d’arbres, en plus d’autres plantations, sont venus colorer l’immeuble de vert. Alexandre Forgues est même allé jusqu’à embaucher un historien, qui était intervenu pendant la consultation, comme consultant. Ainsi, plusieurs éléments du futur immeuble rappelleront que l’ancien hôtel de ville de Verdun se dressait autrefois sur ce terrain.

Résultat ? Le projet qui, au départ, avait été refusé par le Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de l’arrondissement de Verdun, a été revu et corrigé de telle sorte que toutes les étapes – y compris l’approbation citoyenne – ont été franchies avec succès. « Je ne peux pas dire qu’il n’y avait plus du tout d’opposition au projet, mais au final, plusieurs se l’étaient approprié et le défendaient pour nous. » Une approche originale qu’Alexandre Forgues se promet d’utiliser dans ses futurs projets.

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Le projet Origine de District Atwater © District Atwater

Participation citoyenne

Si consulter la population au tout début du processus est encore rare, c’est une approche de plus en plus utilisée. Par exemple, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu prépare actuellement un guide de participation citoyenne, qui devrait être adopté en 2020, précise Luc Castonguay, directeur au service de l'urbanisme, de l'environnement et du développement économique à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. « Nous l’avons vu, quand nous n’impliquons pas les citoyens plus tôt que tard, nous n’avons pas les meilleurs projets et c’est souvent dans ce cas qu’on se bute à un refus devant un changement de zonage. »

En ouvrant le dialogue, les citoyens peuvent donc mettre de l’avant leurs préoccupations et surtout, cela devient l’occasion de voir comment cette construction pourrait améliorer leur cadre de vie. « Notre motivation, c’est vraiment de proposer les meilleurs projets possible et d’en voir l’impact. » Luc Castonguay cite en exemple la création d’une résidence pour aînés qui, au départ, a suscité une levée de boucliers chez les citoyens. « Le promoteur a décidé de préserver une ancienne église qui pourrait servir à des fins communautaires. » La consultation permet donc de trouver une plus-value aux projets.

Une approche également préconisée par l’organisme Vivre en ville, qui travaille notamment sur les questions d’acceptabilité sociale autour des projets de densification urbaine ayant un impact positif pour l’environnement. « On réalise que les préoccupations des citoyens par rapport à ces projets sont souvent semblables, que ce soit le stationnement, la circulation, la peur de dénaturer le quartier ou la coupe d’arbres », explique Catherine Boisclair, urbaniste et coordonnatrice de projet.

« Le fait de mettre au jour ces préoccupations permet d’ajouter des mesures intéressantes pour les voisins, ajoute-t-elle. Cela peut aussi permettre de répondre à des besoins qui ne le sont pas dans le quartier. Par exemple, on peut inclure un espace pour une garderie ou un parc, mais aussi diversifier le type de logements disponible. »

L’organisme a également mis en place le programme « oui dans ma cour », qui tente de faciliter le dialogue entre les parties prenantes. « C’est sûr que ce n’est pas simple de concilier les visions de tous les intervenants. Quand on entre en négociation, il faut s’attendre à ce que tout le monde gagne un peu, mais perde un peu aussi », explique-t-elle.

« Et, malgré tout, il se peut que le projet se heurte à un refus », ajoute Catherine Boisclair qui a vécu cette situation dans un projet à ville Sainte-Catherine. En effet, l’ensemble résidentiel travaillé en design collaboratif avec les voisins a tout de même été refusé par le reste de la population. Peut-être aurait-il fallu mobiliser plus largement les citoyens, se questionne l’urbaniste. Bref, l’approche n’est pas garantie, même si elle favorise le succès.

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Caserde Bonne, à Grenoble © Vivre en ville

Travail d'équipe

Autre facteur de complexité : les promoteurs doivent travailler sur plusieurs tableaux pour que leur projet puisse se concrétiser, explique Katherine Juteau, urbaniste et directrice de projet à l’Atelier Urbain. « Si leurs vis-à-vis à la ville sont d’abord les fonctionnaires, leur projet doit aussi être accepté par les élus et par les citoyens s’il y a une dérogation. Il faut donc ouvrir le dialogue avec ces différents intervenants. »

« En effet, précise Luc Castonguay, les services d’urbanisme sont les « gardiens » de la vision du développement de la ville et des intérêts des citoyens. C’est d’abord sur leur bureau que les projets dérogeant aux règles actuelles se retrouvent. Quand on reçoit un projet, on analyse non seulement comment il s’intègre dans le cadre bâti, mais aussi ses conséquences à long terme. On peut se poser des questions sur différents aspects, comme l’impact sur la circulation, comment le projet s’intègre dans les projets à venir, s’il faut prévoir des espaces verts ou encore, si les infrastructures existantes sont adéquates. »

Il faut donc que les promoteurs soient prêts à adapter leur projet en fonction de la vision de la ville. Ce qui n’est pas toujours simple à décoder, concède Katherine Juteau. « C’est l’un des rôles de l’Atelier Urbain, qui tente d’agir comme médiateur, traducteur et facilitateur entre les municipalités et les promoteurs. En effet, il arrive que certains entrepreneurs ne comprennent pas bien les différents outils réglementaires et les étapes qui devront être franchies par leur projet, explique-t-elle. Par ailleurs, on essaie aussi de sensibiliser les municipalités aux contraintes des promoteurs, qui ont souvent de la difficulté à déterminer ce qu’ils peuvent ou non révéler. »

Un point dont Luc Castonguay est bien conscient. « C’est vrai que les entrepreneurs ne sont pas toujours à l’aise pour répondre aux questions des citoyens. Mais nous sommes là pour les accompagner. Bien entendu, nous sommes neutres, mais on peut tout de même les aider. » Le service d’urbanisme peut également identifier les facteurs qui pourraient susciter la grogne et aider le promoteur à s’y ajuster.

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Consultation sur le TOD Ahuntsic-Chabanel © Ville de Montréal

 Densification urbaine et réglementation

Dans un contexte de développement durable où « la ville se redéploie sur la ville », il faudrait peut-être revoir la réglementation, estime pour sa part Laurence Vincent, coprésidente de Prével. En effet, l’entreprise mise sur la densification urbaine depuis de nombreuses années. En construisant des condos de plus petite taille, assortis d’espaces communs, les projets demeurent abordables et limitent l’étalement urbain. « Nous nous considérons comme les fiduciaires des économies d’une vie. Notre objectif, c’est de créer des milieux de vie, des projets qui auront un impact positif sur les quartiers », explique-t-elle.

Des projets d’envergure qui, s’ils sont conçus pour s’insérer dans la trame urbaine existante, ont plusieurs retombées positives sur la desserte commerciale, la vie de quartier, la création de nouveaux espaces publics, etc. Malgré tout, la grogne n’est jamais loin. « Je pense qu’on aurait tous la même réaction si une immense tour se construisait derrière chez nous. Mais il est essentiel de densifier la ville, de concentrer le développement autour des axes de transport en commun », soutient Laurence Vincent.

« Ainsi, il faudrait sensibiliser les citoyens au fait que la densification a des effets positifs sur l’environnement, ajoute-t-elle. Mais surtout, il faudrait qu’il y ait un débat public pour trouver un juste milieu réglementaire et éviter que les « voisins d’en arrière » aient droit de vie ou de mort sur les projets. Cela ne veut pas dire que les citoyens ne doivent pas avoir voix au chapitre, mais il faut trouver un équilibre »,
poursuit-elle.

« Il y aura 320 000 nouveaux ménages qui vont s’établir dans la grande région de Montréal dans les 10 prochaines années. Veut-on les installer toujours plus loin du centre, alors que le trafic engendre déjà des pertes de 4 milliards de dollars par année ?, lance Laurence Vincent. S’il n’y a pas de solution simple, il faut maintenant s’assurer que les outils réglementaires permettront de développer la ville du futur, qui saura répondre aux besoins de tous », conclut la coprésidente.

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Serre de l'Esplande Cartier de Prével © Prével

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