Les clés de la gestion du changement

album photo

Alors que les technologies évoluent à vitesse grand V, que de nouveaux modes contractuels apparaissent, qu’il faut améliorer ses processus pour gagner en efficacité, le changement devient un incontournable en affaires. Mais comment instaurer ces transformations dans une PME qui ne dispose pas d’autant de ressources que la grande entreprise ?

C’est le défi que s’est lancé Beaudoin Canada, entreprise de gestion et de construction de Gatineau, quand elle a entrepris un virage technologique. Une façon pour la PME comptant une quarantaine d’employés de prendre une longueur d’avance sur la compétition, explique Julien T-Lessard, ingénieur et directeur général. « Pour nous, l’innovation se fait à tous les niveaux. On remet toujours en question le statu quo, car si on est confortable, on n’avance plus et on risque de se faire dépasser. »

Ainsi, dès 2013, l’entreprise a misé sur la technologie pour améliorer la collaboration autour de chacun de ses chantiers. « Nous avons développé une plateforme Web sur mesure qui est disponible pour tout le monde. Cela permet d’améliorer les échanges et la communication, de diminuer les délais pour obtenir l’information sur les différents projets. » En effet, au lieu de fouiller parmi des dizaines de courriels, les informations sont stockées au même endroit et accessibles à tous les intervenants du projet en temps réel.

Autre virage majeur : Beaudoin Canada a décidé de s’initier au Building Information Modeling (BIM), permettant à l’équipe de travailler les bâtiments de façon virtuelle avant de les construire réellement. Une transition encore rare chez les PME du domaine de la construction. « Dans l’industrie, on pense que cette méthode ne convient que pour les projets de grande envergure, mais nous pensons qu’elle a aussi son utilité pour ceux de petite taille. Quand nous pensons que le BIM peut nous aider à améliorer notre efficacité, nous l’utilisons. Mais nous sommes encore dans une période d’essais et d’erreurs », explique le directeur général.

Si Julien T-Lessard estime que ces transformations se sont opérées sans problèmes au sein de son équipe, ce n’est pas toujours dans le cas. En effet, selon une recherche menée par le CEFRIO en 2014, la résistance au changement constitue l’un des principaux obstacles à l’intégration du numérique dans les entreprises du domaine de la construction. Les données montrent même que c’est la raison pour laquelle 58 % des répondants n’ont pas encore intégré les technologies mobiles dans leurs processus. D’où l’importance de ne pas prendre à la légère cet enjeu !

Julien T. Lessard, ingénieur et dg de Beaudoin Canada
Julien T. Lessard, ingénieur et directeur général de Beaudoin Canada. © Teixeira Photographie

Bien se renseigner

Pour innover, il faut donc d’abord être capable de gérer le changement dans son entreprise. Ce qui n’est pas si simple. En effet, tous les experts  consultés s’entendent sur une chose : pour un virage réussi, il faut se faire guider, par exemple en embauchant un consultant. « Le gestionnaire pourrait aussi aller chercher une formation d’une journée ou deux pour acquérir les bases de gestion de changement ou encore consulter certains ouvrages sur le sujet », suggère Nathalie Lemieux, professeure et directrice du département d’organisation et des ressources humaines à l’école des sciences de la gestion l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). Autre piste : vérifier si des ressources existent auprès des centrales syndicales.

S’il faut rechercher du soutien, la transformation doit provenir de l’intérieur, car ce sont les gestionnaires et le personnel à l’interne qui sont les mieux placés pour évaluer la situation. « Les PME doivent se montrer proactives et plus autonomes que dans un contexte de grande entreprise, alors qu’il y a en place une importante équipe spécialisée en ressources humaines », ajoute l’experte. « De plus, il est faux de croire que le domaine de la construction ne carbure pas à l’innovation, indique pour sa part Andrée Longpré, conseillère stratégique en gestion du changement. En effet, chaque chantier se travaille en mode gestion de projet et les entrepreneurs y composent au quotidien avec l’imprévu. Sur un chantier comme en gestion du changement, il faut être capable de se mobiliser autour d’un objectif commun en y allouant des ressources, un budget et un échéancier. » Selon elle, les entrepreneurs ont donc tous les atouts en main pour y arriver.

Mobiliser ses troupes

« Quand on adopte un nouvel outil sans avoir impliqué les employés, les gens retournent très vite à leurs habitudes et reprennent leurs anciennes façons de travailler et le projet meurt dans l’oeuf », affirme Julien T.-Lessard. C’est pourquoi, avant de lancer sa plateforme collaborative, l’équipe de Beaudoin Canada a travaillé de concert avec tous ses employés pour s’assurer que la technologie développée répondrait réellement à leurs besoins. Un processus qui prend plus de temps, mais qui permet d’améliorer l’adhésion. « C’était important parce que, quand on idéalise une idée et qu’on veut la concrétiser, ce n’est pas l’effort d’une seule personne, mais de plusieurs. Il faut non seulement expliquer ce qu’on veut faire, mais aussi comprendre les différentes expériences et situations que vivent nos équipes. Ainsi, tout le monde est partie prenante », ajoute-t-il.

C’est ce qu’on appelle la cocontruction, soit le fait de travailler en collaboration avec ses employés pour développer des solutions qui répondent aux objectifs de l’entreprise et aux besoins de ceux qui sont sur le terrain. Un concept qui a fait ses preuves, estime Caroline Wilkins, directrice de projet au CEFRIO qui accompagne les entreprises dans leur transformation numérique. « La meilleure stratégie, c’est toujours de partir des employés vers le haut, plutôt que le contraire. Par exemple, il est plus efficace de demander à quelqu’un de décortiquer ses tâches et d’épurer ce qui n’est pas nécessaire que de lui imposer une modification de ses habitudes. Dans le fond, il faut que le changement vienne d’eux », explique-t-elle.

Pour qu’une transformation s’opère, il faut également savoir communiquer. Quels sont les objectifs derrière ces changements ? Quelle est la vision portée par votre entreprise ? Si vous voulez susciter l’adhésion, il faut savoir transmettre ces messages-clés. « Ce n’est pas toujours évident pour les employés de comprendre pourquoi ils devront modifier leurs façons de faire, alors qu’ils travaillent souvent de la même manière depuis plusieurs années. Il est donc important de leur expliquer en quoi ces transformations vont les aider à être plus efficaces, plus compétents, souligne Caroline Wilkins. Car bien avant de gérer un changement de processus, on gère des humains », rappelle-t-elle.

Prévoir un budget... et des ressources

Trop souvent, les entreprises négligent d’allouer assez de ressources aux modifications qu’elles veulent implanter. « Par exemple, si on veut que les employés troquent leurs plans sur papier pour des tablettes, il faudra non seulement prévoir un budget pour acheter ou développer une technologie, mais aussi pour former son personnel. Il faut aussi prévoir une ou des personnes pour accompagner cette transformation, explique Andrée Longpré. C’est important de nommer un responsable du changement, que ce soit à l’interne ou à l’externe, pour s’assurer que les changements s’opèrent. Mais ce n’est pas obligé d’être à temps plein. »

Quand Beaudoin Canada a décidé d’implanter un processus BIM, l’entreprise a d’ailleurs embauché une ressource uniquement dédiée à l’utilisation de cette méthode. Une façon de s’assurer de l’intégration de cette technologique auprès de ses troupes. « On pourrait aussi tenter d’identifier les travailleurs qui se sentent les plus à l’aise avec ces nouveaux processus, pour qu’ils puissent donner un coup de main aux autres », ajoute pour sa part Nathalie Lemieux.

article gestion changement 2

© Beaudoin Canada

Création d’un comité dédié au changement, embauche d’une ressource pour piloter cette intégration ou même formation d’un employé pour aider les autres à amorcer ces transformations : différentes formules sont possibles. « On pourrait même demander à un chef de chantier d’avoir des projets un peu moins importants pour prendre une partie de son temps pour accompagner le changement », poursuit Nathalie Lemieux. Andrée Longpré suggère quant à elle d’identifier qui sont vos alliés et de leur donner comme mission de devenir vos ambassadeurs sur le terrain. À l’inverse, il vaut mieux connaître qui sont les employés les plus réticents et les accompagner de plus près. « L’important, c’est de mettre en place les outils pour comprendre les préoccupations des personnes concernées », poursuit-elle.

Écouter

Pour offrir un réel soutien, il faut se mettre en mode écoute. « C’est important de prendre le temps de demander aux employés comment ça a été, s’ils ont des craintes, des problèmes, des ennuis, explique Nathalie Lemieux. C’est pourquoi il faut prévoir du temps à l’horaire pour prendre le pouls du terrain régulièrement et réagir en conséquence. Ça pourrait être aussi simple que de prendre quelques minutes le matin quand tout le monde est installé à côté des camions avant le début de la journée pour voir si tout le monde est à l’aise », explique-t-elle. Discuter à la fin de la journée ou encore sur l’heure du midi constitue une autre option.

Si vous avez de la difficulté à dégager du temps pour faire un suivi informel, il vaut peut-être mieux inscrire des rencontres régulières à l’horaire, du moins pendant l’implantation. « On peut toutefois se montrer flexible quant à la fréquence ou à la durée, en se rencontrant une fois par semaine au début de l’implantation et ensuite aux semaines par exemple, affirme l’experte. Car s’ils sont laissés à eux-mêmes, les gens risquent de retourner à leurs anciennes habitudes, parce qu’ils ont l’impression que c’est plus efficace. C’est important de faire les suivis jusqu’à ce que les acquis soient consolidés, pour s’assurer que les changements ont été pérennisés », poursuit-elle.

« Ces rencontres doivent déboucher sur des actions concrètes, avertit toutefois Nathalie Lemieux. Si un employé a soulevé un problème, il faut lui expliquer ce qu’on a fait pour trouver la solution ou les raisons pour lesquelles on n’a pas encore trouvé. Par exemple, on peut lui dire qu’on a priorisé un autre dossier, parce que le chantier se terminait bientôt. Si on ne fait pas cela, on risque de rendre les gens cyniques, car ils vont se dire que leur patron est là, mais que ça ne sert à rien de lui parler. » Si c’est normal de ne pas avoir réponse à tout, il est donc essentiel de se montrer proactif. Quitte à faire de la résolution de problèmes en équipe !

Opter pour une transformation graduelle

article gestion changement

© Beaudoin Canada

Caroline Wilkins conseille pour sa part de procéder par petits pas. « Il n’y a jamais de gains à bousculer les gens », affirme-t-elle. Comme sur un chantier de construction, il vaut mieux découper sa transformation en petites étapes, illustre pour sa part Andrée Longpré. « On peut se fixer des cycles courts, faire un projet-pilote, le découper en étapes et se fixer des objectifs chaque fois. » « On peut aussi segmenter par groupe d’employés, par projet ou par territoire », suggère Caroline Wilkins. L’important, c’est d’utiliser une stratégie qui permettra à tous de voir les premiers résultats et de bâtir sur cette fondation.

C’est également une bonne stratégie pour convaincre les plus réticents à modifier leurs façons de faire. « Car, il ne faut pas se le cacher, le changement peut activer des peurs, rappelle Carole Wilkins. Par exemple, troquer son plan papier pour une tablette peut être assez stressant pour certains. Peur de briser la machine, de faire une mauvaise manipulation ou tout simplement de ne pas réussir à comprendre comment ça fonctionne peuvent apparaître. Ça peut donc être intéressant, par exemple, de cibler les employés les plus à l’aise avec ces nouvelles technologies qui seront les premiers à les utiliser. Ils seront donc capables de rapporter les différents bogues sans penser que c’est eux le problème. Mais surtout, ils pourront aussi influencer ceux qui sont moins confortables, qui vont voir que finalement, tout se passe bien », renchérit Nathalie Lemieux. Sans compter que plusieurs sont plus à l’aise de discuter de leurs problèmes avec leurs collègues qu’avec leur patron. Une bonne façon de faire d’une pierre deux coups !

Réunir toutes ces conditions vous semble compliqué ? Bien que ce soit recommandé, on peut quand même réussir une transformation sans pour autant réunir tous ces ingrédients. « C’est un peu comme dans un match de baseball. Si on part avec une prise, on peut quand même gagner, compare Nathalie Lemieux. Idéalement, il vaut quand même mieux mettre toutes les chances de son côté. Surtout que, si on a déjà essayé d’implanter un changement dans l’entreprise sans succès, c’est encore plus difficile ensuite ! D’où l’importance de partir du bon pied ! »

Inscrivez-vous à notre infolettre

Pour toujours être informé sur les actualités de la construction