Enjeux d'industrie : plus difficile de construire à Montréal

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Projet Bois-Franc © Groupe Montclair
Il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande dans le marché de l’habitation. Il faut améliorer l’offre en construisant davantage. Cela vaut pour toutes les catégories de logements, et particulièrement dans les centres-villes. La pandémie et le télétravail exacerbent cette crise et contribuent à accentuer le phénomène de l’étalement urbain, à contre-courant d’un plan vert. Mais il y a plus. Des embûches contraignent le développement de projets dans la ville centre informe l’industrie. Lumière sur le sujet.

Durant le confinement, des salariés qui n’avaient plus à se rendre physiquement dans les locaux de travail de leur employeur ont choisi d’aller s’établir avec leur famille en banlieues, voire dans les couronnes périphériques. La quête de plus grandes aires habitables et d’espaces verts a ainsi incité plusieurs télétravailleurs à élire domicile dans d’autres régions. « Il va falloir adapter l’offre de logement à ce nouveau mode de vie. D’une part pour contenir l’étalement urbain et dans une autre mesure pour offrir plus d’espace aux personnes qui travaillent de la maison. Une des façons d’y contribuer est d’augmenter l’offre d’habitations à Montréal et Québec », estime le président-directeur général de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), Jean-Marc Fournier.

Il y a de l’espace dans la métropole pour le faire, assure-t-il. « Pensons au quartier Bridge-Bonaventure qui représente l’entrée sud-ouest du centre-ville, le secteur Blue Bonnets et le territoire de l’Est de l’île où un éventuel projet de transport structurant se discute. Ce n’est donc pas l’espace qui manque à Montréal pour construire de nouveaux logis adaptés aux objectifs et à la réalité de la densification recherchée. Les autorités municipales doivent assurer un leadership en veillant, et de manière résolue, à identifier et préciser les endroits à être densifiés sur son territoire. Elles doivent également volontairement encourager la création et le développement d’un processus administratif d’émission de permis plus rapide et convivial que celui actuellement en place pour favoriser l’élan de la construction », fait valoir M. Fournier.


Projet Eli Condo © Omnia

Pas dans ma cour

Il invite de plus les villes à faire preuve d’une détermination plus assumée pour protéger et défendre les intérêts globaux des projets métropolitains de densification, d’où émergent des quartiers TOD, en érigeant des secteurs jalonnés de stations de métro ou assortis d’une proximité d’accès à des gares du Réseau express métropolitain (REM). « On prête peu d’attention à cet enjeu de développement du Grand Montréal dans des manifestations allant à l’encontre de l’objectif commun énoncé dans les politiques publiques. » Il réfère
au syndrome du « pas dans ma cour », un barrage idéologique dressé par les voisins des projets dans les quartiers et arrondissements de la métropole. Cette situation nuit à l’avancement d’une vision de transport structurant, un défi d’organisation suprarégional qui cible l’aménagement de milieux de vie complets et verdoyants, des aires aménagées dans un rayon de moins d’un kilomètre d’une station de transport collectif.

« Au Québec, la Communauté métropolitaine de Montréal est la première à avoir intégré le TOD dans son plan d’aménagement, en 2011. Aujourd’hui, elle compte plus de 160 aires du genre sur son territoire, chacune à des stades différents de développement, explique le président-directeur général de l’IDU. Ce sont des aires de densité, de diversité et de design, des attributs d’urbanisme efficaces et durables qui séduisent les résidents des banlieues et les habitants des couronnes, des mesures qui, à l’échelle locale, encouragent le transport actif et contribuent à diminuer l’usage d’une automobile. »

« Mais mieux encore, il y a lieu de retenir, voire éviter, l’étalement urbain. À cet égard, la plus récente étude menée par les chercheurs de Statistique Canada, un rapport publié en 2016, témoigne d’un fait troublant pour la métropole québécoise. Les auteurs du document qui dépeignaient la situation observée de 2001 à 2011 rapportent que parmi les grandes zones urbaines de recensement étudiées durant cette période, Montréal constitue l’agglomération ayant vécu le plus grand étalement au pays. »


Projet Imperia condos © Dev McGill

Contenir l'étalement

« Or, parmi les moyennes et petites régions métropolitaines de recensement, la région de Québec est également citée comme la zone métropolitaine ayant connu le plus grand étalement urbain au pays selon cette même étude de Statistique Canada. Force est d’admettre que c’est au Québec que l’étalement urbain est le plus foisonnant au pays », dit Jean-Marc Fournier.

Cette période d’étalement s’explique par les coûts du développement. « Il en coûte beaucoup plus cher de mettre à niveau des infrastructures datant d’une centaine d’années que de créer ou bâtir à partir de zéro. Les coûts de décontamination des sols, les frais de démolition de vieux bâtiments et la vétusté des conduites d’aqueduc urbaines et de systèmes d’égouts de ces sites de quartier exigent en effet d’importants travaux. Ils représentent des investissements colossaux avant même de lancer un éventuel projet d’habitation. Pour favoriser cette solution, les développeurs aimeraient compter sur des programmes d’aide gouvernementale appropriés aux besoins. Ils pourraient comprendre un meilleur soutien financier des villes, dont une contribution provenant d’un volet de transferts fédéral et provincial d’épaulement foncier. Des idées à être discutées. »


Projet Bois-Franc © Groupe Montclair

Repenser l'urbanité

Spécialistes de la densité urbaine, les urbanistes et architectes sont de grands alliés du mieux vivre ensemble. « Ils contribuent à l’aménagement de l’urbanité en créant avec les développeurs des aires de vie intérieures et extérieures adaptées à cette nouvelle écologie de vie. Un état qui suggère un équilibre de mesures pour répondre au phénomène des urgences climatiques qui bousculent notre mode d’existence », avance le porteparole de l’Institut de développement urbain du Québec, Jean-Marc Fournier. Il faut repenser la mobilité et ajouter une densité suffisante pour susciter une forte présence de services de proximité dans un environnement de qualité composé de lieux de travail et d’infrastructures communautaires. »

Nicolas Galardo est le directeur des ventes et du marketing chez le Groupe Montclair, un développeur et constructeur d’ensembles résidentiels qui partage cet avenir d’industrie. L’entreprise poursuit présentement le projet Bois-Franc lancé en 1992 dans l’arrondissement Ville Saint- Laurent sur l’île de Montréal. « Aura sur le Square est notre principal chantier actuellement. Nous y développons un ensemble de condominiums d’approximativement 450 unités. À terme, l’aménagement comprendra une vaste cour centrale avec potagers urbains, exerciseurs extérieurs et un havre de paix vert. Le projet fait partie du quartier Bois-Franc, un site existant où 31 % du territoire est dédié aux parcs, placettes et plans d’eau. Il intègre un gigantesque parc de près de 1,5 million de pieds carrés. Ce quartier qui présente un cadre de vie d’exception pour l’île de Montréal offre une mixité de maisons de ville et de condos. »

« C’est un quartier établi assorti de nombreux commerces et services de proximité. Il compte des pistes cyclables et des sentiers de randonnées pédestres, une généreuse desserte de transport collectif et la présence d’une station du REM. Nous y avons construit 6000 unités depuis 20 ans et travaillons actuellement sur l’élévation de 2000 nouvelles portes de condos potentiels. Le projet Aura fait partie de ces 2000 unités. La demande est forte. »


Projet Enticy Condos © Omnia

Hausse des coûts

« La pandémie a joué un rôle important dans la hausse des prix de l’approvisionnement. Mais elle n’a pas refroidi les ardeurs d’acquisition d’une propriété pour plusieurs clients potentiels. Il faudra néanmoins attendre l’effet qu’auront les hausses d’intérêt sur les emprunts hypothécaires, estime-t-il. Actuellement, la prise de commande pour de nouveaux logements va bon train. Notre carnet est garni. C’est pourquoi nous continuons d’offrir la même qualité de produits dans la confection de nos unités. Nos pratiques demeurent donc inchangées même si nous avons connu des hausses vertigineuses des prix de produits liés aux pénuries. »

« C’est une situation qui entraîne toutefois de plus longs délais de livraison. Mais nous n’avons pas eu à proposer de solutions de remplacement de matériaux, se réjouit le développeur immobilier. Les clients sont au courant de l’augmentation des coûts de construction et conscients d’une possible rupture de stocks. Ils adhèrent à cette incontournable réalité », précise Nicolas Galardo.

À l’écoute des besoins et particulièrement attentif à une demande plus marquée pour des habitations de plus grande superficie,des souhaits émis par des clients potentiels depuis l’avènement de la crise sanitaire, le Groupe Montclair construit aussi des maisons de ville dans le projet. « Des acheteurs recherchent davantage de volume habitable pour mieux profiter de la vie familiale et créer un espace de bureau à domicile. Ce qu’offre ce type d’habitation de deux à trois chambres à coucher avec cour. Selon les acheteurs, le succès de cet ensemble de projets repose sur la possibilité d’habiter l’île de Montréal dans un environnement pratique et paisible, un environnement à mi-parcours de la couronne nord et du centre-ville, rapidement accessibles par la station REM Bois-Franc », convient Nicolas Galardo. Aura sur le Square poursuit entre temps la construction d’un parc immobilier comprenant bientôt quatre nouvelles phases de condos.

Construire dans le cœur de Montréal s’avère plus dispendieux qu’en périphérie affirme cependant Jean-François Beaulieu, président d’Omnia. L’entreprise, qui réalise des projets dans le centre-ville notamment, précise que ce sont les difficultés d’accès au chantier qui sont le plus souvent responsables de la montée des coûts, au même titre que la construction de grande hauteur. « Les sommes engagées sont résolument plus importantes quand une élévation surpasse 12 étages. Les matériaux dont les finis extérieurs des édifices de 12 étages et plus coûtent plus cher. Cela est notamment dû au choix de matériaux, des produits de qualité généralement plus élevée. Or, il y a un marché pour ce type d’ensemble immobilier. »


Projet Condos Théâtre Snodown © Omnia

Reprise post-COVID

« Évidemment, la crise sanitaire a rendu un peu plus difficile l’organisation des visites d’unités témoins, nos bureaux de ventes ayant été fermés durant cette période. Mais nous n’avons pas observé d’essoufflement de la demande pour autant. Le retour des étudiants au centre-ville et l’accueil d’immigrants à l’instar de la reprise de l’activité économique à Montréal susciteront à nouveau une demande forte et soutenue pour les prochaines années. Nous continuons de croire à Montréal et de construire dans la métropole », confirme Jean-François Beaulieu.

L’ère covidienne a cependant accéléré la croissance d’une tendance déjà remarquée depuis deux années dans le domaine du développement des projets de condos à Montréal. De plus en plus, la taille des logements est diminuée pour faire place à davantage d’aires communes dans les édifices. La demande pour des espaces de travail collaboratif en témoigne notamment. Les acheteurs de copropriétés du centreville préfèrent nettement plus de lieux de rencontres et de regroupement au sein des ensembles immobiliers. Ils ne réclament pas de grands appartements privatifs, souhaitant plutôt miser sur la sociabilité des lieux. »

Omnia mène actuellement une quinzaine de chantiers sur l’île de Montréal. Dans cette dynamique, le développeur parachève Enticy Condos, un projet singulier inspiré des hôtels-boutiques, et livre le projet de 62 condos du Théâtre Snowdon, un immeuble de patrimoine
préservé. L’entreprise construit également Imperia condos, un édifice de 22 étages attenant au cinéma Impérial, en plus de poursuivre l’avancement des travaux d’Éli Condos au coeur du Quartier des spectacles.

Principales difficultés

Mais, partir un projet à Montréal est désormais plus laborieux, constate Jean-François Beaulieu, porte-parole d’Omnia. « Les démarches d’approbations municipales exigent beaucoup plus de travail et d’efforts qu’avant pour nos équipes. C’est résolument plus long d’obtenir une autorisation de construire. À cette lourdeur administrative en ascension depuis environ cinq années s’ajoutent plusieurs nouvelles taxes d’infrastructures, des frais qui font augmenter les coûts de développement des projets et qui se répercutent sur le prix de vente des unités. Ce qui, économiquement, décourage un grand nombre d’acheteurs potentiels de condominiums. Pour ces raisons, on dénombre moins de chantiers que les années précédentes au centre-ville », observe-t-il.

C’est une réalité qui nuit au boom immobilier sur l’île déplore le développeur et constructeur. « Plusieurs projets sur la table sont ainsi en suspens, ce qui continue d’exacerber la crise du logement tant décriée », conclut Jean-François Beaulieu, président d’Omnia.

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