Place à la méthode 5S

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« Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. » C’est la philosophie qui se cache derrière le 5S, une méthode de gestion japonaise souvent utilisée dans le secteur manufacturier. Mais cette approche peut aussi s’avérer fort utile dans un domaine comme celui de la construction. Tour d’horizon.

Difficile de se retrouver dans un environnement encombré. En plus d’augmenter les risques d’accident, cela diminue la productivité. C’est à cela que s’attaque la méthode 5S, une démarche qui permet d’organiser son espace de travail, qu’il soit réel ou virtuel, explique Jean-Marc Legentil, Ph, président chez Bell Nordic Conseil, consultant et formateur. « Le 5S réfère en fait à des mots japonais qui commencent tous par la sonorité S et qui sont maintenant repris partout à travers le monde », explique-t-il.

Des mots qui pourraient se traduire par : SÉLECTIONNER • SITUER • SCINTILLER • STANDARDISER • SUIVRE

Objectif

Être capable, en un coup d’œil, d’évaluer s’il faut faire une commande de matériel, s’il manque un outil ou encore s’il y a tout ce qu’il faut dans le camion avant de se rendre sur un chantier. Une méthode assez simple à appliquer et qui permet d’obtenir rapidement des résultats, aux dires d’Éric Trudeau, conseiller d’affaires principal chez BDC Services-conseils. « C’est une bonne façon de commencer une démarche d’amélioration continue, puisque ce n’est pas excessivement compliqué à déployer et ne demande ni beaucoup de ressources, ni d’investissements importants », souligne-t-il.

1) Sélectionner

« Quand les objets s’accumulent, cela reflète le fait qu’on n’arrive pas à prendre une décision ou qu’on manque d’informations pour la prendre », souligne Jean-Marc Legentil. On conserve certains objets au cas où, si bien qu’il est parfois difficile de comprendre ce qui est encore bon ou pas, poursuit-il. La première étape de la démarche 5S consiste donc à désencombrer l’espace et à faire le tri.

« En fait, il faut enlever toutes les choses qui traînent, explique-t-il. C’est aussi le moment de se débarrasser de ce qui n’est pas utile pour ne conserver que l’essentiel. »

Autrement dit, « il faut garder à portée de main uniquement ce qui est utile au quotidien », résume Patrick Hamelin, directeur de la direction de la compétitivité et de la transformation numérique des entreprises au ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) du Québec.

« Si on prend l’exemple d’une remorque, il faut sélectionner quels sont les outils, les matériaux, qui sont toujours utiles. On ne devrait pas garder ce qui sert occasionnellement à notre poste de travail pour ne pas l’encombrer. »

 2) Situer

Ensuite, c’est le moment de déterminer à quel endroit ranger chaque objet, selon son utilisation, et de mettre en place des repères pour détecter, en un coup d’oeil, si tout est réellement à sa place. « Par exemple, on pourrait dessiner la forme de l’outil à l’endroit où il doit être accroché, donne en exemple Jean-Marc Legentil. Lignes dessinées par terre, codes de couleur ou contenants standardisés, il existe différents indicateurs visuels qui permettent de situer le matériel dans l’espace, ajoute-t-il. L’importance, c’est que ce soit facile à comprendre pour tous les travailleurs. »

« Le but, c’est d’être plus efficace, de sauver des pas, des minutes », précise Patrick Hamelin. Une méthode qui peut s’appliquer autant dans un entrepôt que dans une camionnette ou encore dans un coffre, où il est même possible de créer des gabarits de mousse pour y déposer les outils. C’est aussi très efficace sur les chariots de transport de matériel, note Éric Trudeau.

« Quand les employés passent leur temps à courir le matériel et les outils entre le camion et le douzième étage, c’est une perte. » Le simple fait de créer un coffre à outils ou un chariot type permet de gagner un temps précieux.»

 

 3) Scintiller

Quand tout est bien placé, c’est le moment de faire briller ses espaces, en passant un coup de peinture ou de chiffon. « Il faut maintenir les lieux propres en tout temps, mentionne Jean-Marc Legentil. C’est essentiel dans le domaine de la construction, puisque cela permet de réduire les risques de chute. Par exemple, du bran de scie sur une dalle de béton, c’est aussi glissant que du savon sur le plancher. » Le consultant suggère d’ailleurs d’instaurer des méthodes de travail permettant de recueillir les déchets à la source et ainsi éviter que tout résidu ne se retrouve par terre.

« Si on garde l’espace propre, on va aussi remarquer rapidement si une machinerie perd de l’huile. Les Japonais vont même installer des planchers blancs. S’il y a quelque chose, on le voit au premier coup d’œil, explique Patrick Hamelin. Cette étape inclut aussi l’entretien de la machinerie. C’est aussi le moment de s’attaquer aux causes de cette saleté, ajoute-t-il. Est-ce possible de modifier ses méthodes de travail pour limiter les dégâts ? Peut-on discuter avec l’équipe pour déterminer les meilleures solutions à mettre en place ? » Pour remonter à la source du problème, le directeur suggère aussi d’utiliser la méthode des cinq pourquoi.

« Par exemple, si vous voyez une tache d’huile sur le plancher, il faut se demander pourquoi. C’est une machine qui a coulé ? Cela signifie qu’il faut la réparer. Pourquoi est-elle brisée ? Parce qu’elle a été réparée avec des joints de mauvaise qualité. Il faudra peut-être revoir votre politique d’achat. Et ainsi de suite. »

 

 4) Standardiser

Cette étape repose sur la mise en place de méthodes de travail communes à toute l’équipe, par des repères visuels, des codes de couleur, des étapes de travail. De cette façon, il est possible d’uniformiser les activités de l’entreprise. On pourrait, par exemple, ajouter des repères visuels pour éviter de se retrouver à court de matériel. « On suggère d’avoir deux contenants pour ranger ses items de quincaillerie, explique Patrick Hamelin. Quand l’un des deux est vide, cela veut dire qu’il faut en commander d’autres. » La standardisation permet aussi de mesurer le temps alloué à chaque étape et d’être plus précis dans ses évaluations, précise aussi le directeur.

Pour systématiser ses façons de faire, Jean-Marc Legentil conseille de faire signer un contrat à ses sous-contractants.

« Ce faisant, ils s’engagent à respecter certaines règles, par exemple qu’aucun rebut ne touche le sol, que tous les tuyaux et boyaux soient suspendus et qu’un programme de collecte des résidus soit mis en place. »

5) Suivre

Bien souvent, la motivation est à son maximum au début d’une démarche comme le 5S. Mais, pour que cela porte fruit, il faut maintenir l’ordre, le tri et la méthode à long terme. « Le plus difficile, c’est de faire le suivi et de s’assurer que chaque chose est réellement à sa place, note Patrick Hamelin. On recommande donc de prendre quelques minutes à la fin de chaque journée pour s’en assurer et 30 minutes à la fin de la semaine. Ce moment pourrait être jumelé à l’entretien des équipements, par exemple. »

Pour cela, il est possible de dresser la liste des éléments à inspecter. Cela permet aussi de vérifier si
certains processus méritent d’être améliorés.

Au-delà de l'équipement

« On en parle moins souvent, mais c’est possible d’utiliser aussi le 5S pour tout ce qui concerne l’infrastructure technologique et les serveurs, alors que l’information évolue énormément en cours de projets, mentionne Éric Trudeau. Passer ses façons de faire au crible permet de gagner en efficacité, tout en réduisant la marge d’erreurs, note-t-il.

Il faut être capable de repérer ces informations très rapidement sur les chantiers. Grâce au 5S, on peut diminuer le nombre de clics pour s’y rendre et rendre disponibles seulement les informations pertinentes. »

Patrick Hamelin souligne que l’un des objectifs importants de la démarche 5S est de standardiser ses processus. Il dresse un parallèle avec le BIM, qui s’inscrit dans la même lignée. Il s’agit donc d’une suite logique pour les entrepreneurs qui veulent limiter les pertes, améliorer leur performance et limiter les risques d’erreurs.

« Dans le cadre de notre offensive de transformation numérique, nous avons un projet de sensibilisation et d’accompagnement avec le groupe BIM du Québec destiné aux entrepreneurs de la construction », précise-t-il. Les entrepreneurs qui désirent prendre ce virage peuvent donc recevoir de l’accompagnement à travers cette initiative.

Optimiser ses processus

La démarche 5S permet aussi d’améliorer ses processus, estime Denis Massey, vice-président finance chez JCB construction Canada, un entrepreneur général dont le siège social est situé à Brossard. « Dans une autre vie, j’avais implanté plusieurs processus de ce genre et je me disais que la méthode 5S pouvait très bien s’appliquer dans une entreprise de services comme la nôtre », rappelle-t-il.

Pas question ici de classer des outils ou d’ajouter des repères visuels à l’entrepôt, mais plutôt de plonger dans la gestion des différentes étapes d’un chantier. « La chaîne de production ou de services peut fluctuer d’un cas à un autre et avec le temps, elle devient très lourde, note Denis Massey. Le 5S nous permet de restructurer, de replanifier et de poser un regard sur ce qu’on fait. C’est comme se remettre en question, finalement. » Autrement dit, c’est une façon d’optimiser les processus.

« Un travail qui repose sur la collaboration, mentionne Alexandre-Stéphane Boucher, associé et vice-président construction. Nous sommes allés voir tous les services concernés et ce sont les équipes qui ont identifié les lourdeurs ou les défaillances au niveau des processus. Et on a vu que certains points étaient soulignés par tout le monde. Et nous avons travaillé tous ensemble pour l’optimiser. »

Ainsi, l’entreprise a revu toutes les étapes qui permettent de s’assurer que certaines informations ne passent pas sous le radar, entre la signature du contrat et le début des travaux. « Dans cette panoplie d’informations, il arrive qu’elles soient mal interprétées, mal comprises ou mal classées, ce qui peut engendrer des erreurs sur le chantier, explique Alexandre-Stéphane Boucher. Nous avons donc revu ce processus pour en éliminer les lourdeurs et nous assurer qu’il y a un arrimage parfait entre le mandat initial et sa mise en chantier. »

 « Depuis, la gestion des informations pour les mandats forfaitaires diffère de celle pour les contrats en gestion, ou clés en main, poursuit-il. On s’est rendu compte que la façon de classer l’information, de la structurer est complètement différente. Nous avons donc modifié la façon de classer l’information, la fréquence des rencontres, le nom des gens qui sont impliqués, quel type d’information il faut conserver ou archiver. » Une façon de minimiser les risques d’erreurs.

Sans compter que cette méthode a eu un effet mobilisateur sur les troupes, observent les deux vice-présidents. « Ce n’est pas la direction qui impose ses idées, souligne Denis Massey. En fait, ce sont les employés qui vont décider comment va fonctionner le processus pour que ce soit efficace. Nous sommes presque là seulement pour les assister. » Faire partie de la solution a donc un effet motivateur sur les employés, constatent les deux vice-présidents.

Facteurs de réussite

C’est d’ailleurs l’une des clés du succès d’une telle démarche.

« Avant toute chose, il faut commencer par consulter les employés et bien comprendre leurs processus pour ne pas éliminer des éléments qui ont une valeur pour eux, soutient Éric Trudeau. Ce sont également les mieux placés pour identifier les outils dont ils ont besoin, à quelle fréquence, etc.

Ils doivent aussi avoir leur mot à dire à l’étape de la standardisation puisqu’ils seront appelés à œuvrer dans ces postes de travail ensuite. » C’est essentiel non seulement pour mettre en place les bonnes solutions, mais aussi pour s’assurer de l’adhésion des troupes.

« Pour que cela fonctionne à long terme, il faut aussi s’assurer de nommer une personne responsable du dossier », conseille Patrick Hamelin. De plus, les experts recommandent aussi de se tourner vers un consultant ou de la formation pour bien amorcer le processus. « Pour cela, il peut valoir la peine de se tourner vers Investissement Québec, qui offre différents programmes d’accompagnement aux entrepreneurs », précise Patrick Hamelin.

Bref, le jeu en vaut la chandelle, surtout dans le contexte actuel, pense Éric Trudeau. « Avec la récession qui pointe et l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement, cela vaut la peine de mettre tout en place pour garder la mainmise sur ce que l’on a. Être bien organisé permet d’éviter de commander pour rien et de bien entretenir ses équipements. » La méthode 5S fait donc partie de stratégies pour y arriver.

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