Repreneuriat : les clés du succès

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Selon un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), effectué entre juin et août 2022, 76 % des propriétaires d’entreprise comptent passer le flambeau dans les 10 prochaines années. Pourtant, seul 1 propriétaire sur 10 (9 %) s’est doté d’un plan de relève formel pour assurer cette transition. Comment bien réussir le transfert de son entreprise et comment devenir un bon repreneur ? Voici deux histoires à succès et les conseils d’experts en la matière.

Lambert Somec : le rachat d’une entreprise par son équipe

Fondée en 1954, Lambert Somec est spécialisée en construction électromécanique. Elle possède aussi une usine spécialisée dans la fabrication d’équipements industriels. Ayant son siège social et son usine de fabrication à Québec, Lambert Somec opère aussi à partir de Montréal. Vincent Zaoré, maintenant directeur de la Tuyauterie et mécanique industrielle, raconte son histoire. Ayant fait des études en génie mécanique à l’Université Laval, il est embauché en 2014 en tant que technicien de chantier.

En 2017, son directeur, Philippe Pelletier, l’approche pour lui demander son intérêt à reprendre progressivement le flambeau au cours des prochaines années.

« Chacun des directeurs de département a fait la même démarche dans son équipe, explique Vincent Zaoré. Le but était de céder, à travers une transition qui s’échelonne sur plusieurs années, l’entreprise à cinq repreneurs qui représentaient bien toutes les facettes de l’entreprise, soit la plomberie et chauffage, la tuyauterie et mécanique industrielle, la ventilation, l’électricité et les finances. »

« C’est en 2018 que la transition a commencé. Bien que les cédants soient encore majoritaires et actifs dans l’entreprise, on a officiellement pris notre place dans le comité de direction tout en poursuivant nos activités en gestion de projets et en estimation. On participe aux rencontres du comité de direction et on intègre les connaissances liées à la gestion de l’entreprise. Après cette première phase d’intégration, on passera à une deuxième phase dans laquelle nous prendrons de plus en plus de responsabilités. »

Quels ont été les enjeux rencontrés ?

« Pour les 5 personnes choisies, l’expérience en gestion d’entreprise allait de faible à moyenne. Par exemple, pour moi, qui était principalement sur le terrain, toutes les notions de fiscalités, assurances, cautionnement, ressources humaines, etc. étaient des nouveautés », poursuit M. Zaoré.

« Il a fallu aussi informer le personnel de l’entreprise de cette transition. C’est une étape importante qui doit être faite en toute transparence. »

« De plus, il faut le voir comme un processus à long terme et je pense que la clé est de faire preuve d’humilité. Nous avons tous, les repreneurs, encore beaucoup de choses à apprendre et on se doit d’accomplir notre travail chaque jour, au meilleur de nos habiletés, actionnaire ou non ».

Le succès de ce genre de repreneuriat ?

« Le fait de choisir des jeunes qui travaillent déjà au sein de l’entreprise depuis quelques années permet de conserver et de transmettre la culture de l’entreprise et ses valeurs. On a grandi dans l’entreprise ! On devient les gardiens de ses valeurs. »

« Je dirais que cette façon de faire permet d’assurer une transition contrôlée. Depuis 2017, en participant aux décisions de la direction, cela permet de sécuriser ce que l’on a. Oui, on agit avec diligence et prudence, mais on prend le temps de discuter et d’analyser avant de prendre de grandes décisions. Bien sûr, on a parfois des opinions différentes, ce qui est normal à 9 associés, mais on arrive à une solution bonifiée. La plupart du temps, on a des visions complémentaires. »

Quel est le meilleur conseil à donner aux cédants et aux repreneurs ?

« Je dirais que des deux côtés, il faut faire preuve d’ouverture. Il faut aussi prendre le temps de bien faire la transition, que ce soit par rapport aux employés ou du côté des fournisseurs. Il faut prendre le temps de bien faire les choses. »

Vincent Zaoré, directeur de la Tuyauterie et mécanique industrielle, Lambert Somec.

 

 

Toiture Couture : l’expérience de père en fille

Fondée en 1981 à Saint-Hubert en Montérégie, Toiture Couture se spécialise en étanchéité de toitures commerciales, industrielles et institutionnelles. L’entreprise, qui appartient à trois frères : Laurent, Guy et Robert Couture, prend rapidement de l’ampleur grâce à un contrat d’envergure pour le ministère de la Défense en 1982.

À l’âge de 54 ans, Laurent Couture se fait demander par son conseiller financier, ce qu’il arriverait à sa compagnie s’il décédait le lendemain… « Sur le coup, je n’ai pas aimé cette question, mais après réflexion, j’ai trouvé qu’il avait eu raison de me la poser », raconte Laurent Couture.

« Pour céder une entreprise, il faut un facteur déclenchant. Parfois, c’est la maladie, d’autres fois, c’est l’envie de passer à autre chose. Mais à ce moment-là, je n’étais pas prêt à céder tout simplement. »

« J’ai approché mon neveu pour connaître son intérêt dans l’entreprise et lui proposer une coprésidence, mais il n’était pas intéressé. On a même refusé une offre d’une compagnie américaine ! J’ai aussi parlé à ma fille, Maryse, mais à ce moment-là, elle avait de jeunes enfants et elle n’était pas prête à faire le saut. »

« Je me suis donc mis à réfléchir sur les enjeux stratégiques de l’entreprise, les valeurs que je voulais transmettre, etc. Quand ma fille a été prête, je lui ai suggéré de former une équipe de direction avec des personnes de sa génération. La période de transition a duré entre 6 et 7 ans durant lesquels nous avons établi des règles de gouvernance spécifiques pour cette période cruciale de transition. »

Quels sont les enjeux rencontrés ?

« En tant que cédant, il faut se demander à partir de quand on ne s’occupe plus de l’entreprise. Quelle est notre date de « péremption ». Bien sûr, il faut être prêt à passer à autre chose, mais remettre sans cesse la date de départ décourage les repreneurs. »

« Il faut aussi être transparent avec ceux qui prennent la relève et se dire les vraies choses. Si on cède son entreprise à quelqu’un de sa famille, il ne faut pas profiter des soupers en famille pour discuter de ce sujet, mais prévoir du temps pour en parler au bureau. »

« Le cédant doit aussi accepter qu’il y a une période de deuil à faire et se rendre compte que le futur ne lui appartient pas. J’ai dit à Maryse : Je m’occupe du passé, à toi de construire l’avenir. »

 Le succès de ce genre de repreneuriat ?

« La transition s’est faite sur une période de 6 à 7 ans, ce qui a permis de bien transmettre les valeurs et les paramètres de l’entreprise et de travailler ensemble les règles de gouvernance. J’ai pu transmettre mon savoir et mes connaissances sur une longue période et aussi faire connaître les changements à venir à nos fournisseurs. »

 

Quel est le meilleur conseil à donner aux cédants ?

« La personne qui cède son entreprise doit avoir un projet pour après, que ce soit de voyager, de jouer au golf ou encore d’entreprendre une 2e carrière. Pour ma part, j’ai participé au développement d’un logiciel offert par notre entreprise qui est accessible au public. »

Laurent Couture, Toiture Couture.

 

« Je suis aussi devenu un mentor avec le Réseau Mentorat. Il s’agit là d’une belle façon de continuer à demeurer connecté au monde des affaires. Je sais ce que le cédant est en train de vivre, car je l’ai moi-même vécu. Je peux le comprendre et le conseiller. Il faut apprendre à être ailleurs autrement. »

« Les cédants de la génération des baby-boomers ont de la difficulté à demander de l’aide. Ils sont seuls au sommet et il faut qu’ils brisent cet isolement. Ils ne doivent pas se gêner de demander de l’aide. »

Pour avoir de l'aide

Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ)

Le transfert d’une entreprise est une opération longue, complexe et hasardeuse, dont le succès demande beaucoup plus que de la simple bonne volonté. Parmi les divers secteurs d’entreprises touchés par cet enjeu, il ne faut pas oublier le milieu de la construction, qui n’est pas étranger aux multiples défis que comporte le transfert d’entreprise. Outre celles oeuvrant dans le domaine de la construction, un nombre grandissant d’entreprises sont mises en vente chaque année.

C’est pourquoi Pierre Graff, PDG du RJCCQ, a mis sur pied il y a 18 mois le Mouvement Repreneuriat.

« Après avoir constaté que le nombre d’entreprises à vendre a doublé au Québec ces dernières années et que le taux de transfert est très bas en raison d’un manque flagrant de connaissances concernant le repreneuriat, nous avons décidé de créer ce Mouvement de repreneuriat », explique M. Graff.

« Notre Mouvement de repreneuriat nous permet de sensibiliser, d’outiller et de mailler les cédants et les repreneurs dans les différentes étapes du transfert. Entre autres, nous collaborons avec un réseau de professionnels spécialisés et nous offrons des formations juridiques et
financières de base, par exemple. »

D’ailleurs, dans le cadre de ce Mouvement repreneuriat, le PDG du Regroupement s’est rendu en avril chez Lambert Somec Inc., où il a pu constater une histoire de succès d’une reprise d’entreprise.

« Il existe plusieurs formes de repreneuriat : interne, externe, rachat de l’entreprise par les employés, etc., continue-t-il. Il y a une culture repreneuriale et une façon de faire à développer. On ne transfère par son entreprise en 2 temps 3 mouvements ! Il faut mettre en place un plan de transfert qui peut s’échelonner entre 2 à 7 ans. »

En ce sens, les cédants de Lambert Somec Inc. avaient été proactifs et innovants dans leurs démarches. En plus d’avoir entamé celles-ci des années avant la reprise, ils ont opté pour un modèle de reprise hybride, c’est-à-dire que les nouveaux actionnaires proviennent de l’interne comme de l’extérieur, de sorte à mieux assurer la pérennité de l’entreprise.

« C’est sûr que les cédants sont attachés à leur vision de l’entreprise, ils craignent aussi de perdre des clients et des fournisseurs. Il faut faire la transition de manière graduelle et réfléchie. Pour cela, ils se font accompagner par des professionnels, que ce soit des comptables ou des avocats qui jouent un rôle de conseil. »

Pierre Graff, PDG du RJCCQ.

La cession comme la reprise d’une entreprise, en construction ou pas, demandera toujours un grand effort de concertation entre les acteurs impliqués dans le transfert. Le prix en vaut toutefois la chandelle puisqu’au final, ce travail fait en amont est déterminant pour la pérennité des entreprises, de même qu’il l’est pour la pérennité de l’écosystème d’affaires et du tissu économique québécois. »

Mentionnons que le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ) est un réseau de 43 jeunes chambres de commerce et ailes jeunesse à travers le Québec, représentant plus de 10 000 jeunes professionnels, travailleurs autonomes et entrepreneurs âgés de 18 à 40 ans.

Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ)

Alexandre Ollive, directeur général du CTEQ, mentionne de son côté que seulement 4 entrepreneurs sur 10 qui comptent vendre possèdent un plan de relève au Québec. Rappelons également que 34 000 entrepreneurs propriétaires comptaient céder entre 2020 et 2025. Bien qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire, notamment au niveau de la préparation des cédants, on observe présentement une tendance à la hausse de la popularité pour le repreneuriat au Québec, ce qui est certainement une bonne nouvelle.

Le CTEQ offre des services-conseils autant aux cédants qu’aux repreneurs, de la formation ou encore par la mise en relation avec un réseau d’experts, peu importe dans quel domaine l’entreprise se trouve. Jusqu'à présent, le CTEQ a guidé plus de 16 000 entrepreneurs de tous les secteurs d’activités.

Le CTEQ, c’est aussi l’INDEX, une plateforme d’affichage confidentielle pour vendre ou acheter une entreprise.

« Nous avons lancé une nouvelle mouture de l’INDEX ce printemps après plus d’un an de travail ! Sa nouvelle itération permettra de répondre encore mieux aux besoins des utilisateurs afin de stimuler les occasions d’affaires entre vendeurs et repreneurs, et ce, partout au Québec », souligne M. Ollive.

La méthode CTEQ : 4 étapes pour un transfert réussi

En général, le processus de transfert d’une entreprise s’étale sur une période de 12 à 24 mois.

Selon M. Ollive, voici les 4 étapes :

  1. La préparation
    Il faut s’assurer que le cédant et son entreprise sont prêts pour la vente et que le repreneur soit fin prêt pour l’achat.
  2. La proposition
    C’est l’étape des premières rencontres : maillages, ententes de confidentialités, etc.
  3. La transaction
    C’est le moment des négociations, des vérifications diligentes ainsi que l’acquisition.
  4. La transition
    La dernière étape est celle du transfert des connaissances du cédant et de l’adaptation de la part du repreneur.

Quelques conseils aux cédants

1) Préparez-vous : pour éviter de perdre de l’argent et de l’énergie, demandez rapidement de l’aide et entourez-vous des bons experts.
2) Évitez de créer une atmosphère où l’insécurité pourrait se faire sentir chez vos employés ou vos fournisseurs.
3)N’hésitez pas à investir ou innover même si vous comptez céder un jour : le manque d’investissement en innovation peut engendrer une baisse du prix de vente de l’entreprise.
4) N’hésitez pas à vous faire conseiller.« Je dirais que des deux côtés, il faut faire preuve d’ouverture. Il faut aussi prendre le temps de bien faire la transition, que ce soit par rapport aux employés ou du côté des fournisseurs. Il faut prendre le temps de bien faire les choses. »

Alexandre Ollive, directeur général du CTEQ.

Le CTEQ a pour mission d’assurer la pérennité des entreprises québécoises. Il offre des services-conseils personnalisés et confidentiels, des formations et des événements. Présent dans toutes les régions du Québec, le CTEQ est soutenu financièrement par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec.

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