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Construire en bois : la nouvelle tendance ?

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

Photo : www.naturallywood.com

Lorsqu’on demande à Kevin Below, président de Douglas consultants inc., une firme d’ingénierie de Québec, si la Place Ville Marie pourrait être construite en bois, il répond, nonchalant et sans sourciller : « Bien sûr… ». Kevin Below est un amoureux du bois, mais surtout, il sait de quoi il parle.

C’est lui qui a conçu la structure du plus haut édifice de bois au monde : l’édifice à condos Cathedral Hill à Ottawa dont la construction va débuter en 2015 et qui sera d’une hauteur de 55 mètres. L’ingénieur, qui détient un doctorat en structure béton (!), précise qu’il s’agira du plus haut édifice en bois de l’ère moderne. En effet, l’idée n’est pas nouvelle. Le temple To-Ji, situé à Kyoto au Japon, est une structure en bois d’une hauteur de 57 mètres construite en 796.

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L’édifice Fondaction de Québec est considéré comme le premier bâtiment de six étages à charpente en bois en Amérique du Nord. Photo : Louise Leblanc

Mais il n’y a pas qu’en Ontario où le bois prend son envol dans la construction d’édifices de plus de quatre étages. Au Québec, l’édifice Fondaction de Québec, premier bâtiment de six étages à charpente en bois en Amérique du Nord, est fait en bois lamellé-collé. Le choix du bois parmi d’autres matériaux aura permis de réduire de 1350 tonnes l’émission de CO2 dans l’atmosphère et de contribuer à un gain énergétique de 40 %. Il y a aussi, entre autres, l’édifice de l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres, à Québec également, un ouvrage de 38 mètres actuellement en gestation, dont l’ossature sera constituée presque exclusivement de bois lamellé-croisé, une version avancée du lamellé-collé qui a fait son entrée sur le marché il y a moins de 2 ans.

Assiste-ton à un retour au bois, dans une sorte d’engouement soudain ? En fait, il s’agit, d’une part, d’un changement dans la législation qui a donné un coup d’envoi aux projets d’édifices en bois de plus de 4 étages. C’est la Colombie-Britannique qui, à cet égard, a pris la tête du peloton en 2009 en autorisant l’édification d’immeubles de 5 et 6 étages en bois. Le Québec a suivi avec sa Charte du bois en 2013. Le but de cette charte, à teinte écologique, est de favoriser une meilleure utilisation de nos forêts de même que de favoriser la construction verte : l’utilisation d’un mètre cube de bois élimine en effet près d’une tonne de CO2 de l’atmosphère. D’autre part, les autres matériaux, comme l’acier ou le béton, consomment de 26 à 34% plus d’énergie et émettent de 57 à 81% de plus de gaz à effet de serre. Mais cette charte est plus qu’un vœu pieux à saveur écolo. Elle modifie les règles de la Régie du bâtiment du Québec qui, désormais, autorisent la construction d’édifice en bois de 5 ou 6 étages sans devoir passer par le long processus d’une demande de dérogatoire. De plus, tous les projets d’édifice de moins de 7 étages financés par le gouvernement devront prioritairement examiner la faisabilité d’une construction en bois avant même d’envisager l’utilisation d’autres matériaux, comme le béton ou l’acier.

La Charte du bois

Mais la charte aura-t-elle un effet tangible sur l’industrie encore bien arrimée au credo du béton et de l’acier ? « Oui, ça ouvre la porte, dit François Chaurette, ingénieur et conseiller technique au Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois). Est-ce que ça va être significatif ? Je pense que c’est surtout l’effet d’entraînement qui va jouer; soudainement, les acteurs du milieu vont se dire  » je ne savais pas que ça se faisait  » ». Louis Poliquin, directeur de Cecobois, va dans le même sens: « Oui, moi je suis convaincu que la charte va avoir un effet. Si on se fie à l’exemple de la Colombie-Britannique qui a modifié son code du bâtiment en 2009 et qui, dès l’année suivante, a vu les projets commencer à voir le jour; aujourd’hui, ils ont plus de 100 projets de bâtiments en bois de 5 et 6 étages. »

L’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres à Québec

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Le prochain édifice de la Pointe-aux-Lièvres, à Québec aura 12 étages et sera construit en bois lamellé-croisé. Photo : Graph Synergie

Toutefois, il y a une différence de taille entre les projets en bois de la Colombie-Britannique et ceux entrepris au Québec. Dans le premier cas, on utilise la technique de l’ossature légère, tandis qu’ici on utilise surtout le bois massif, soit une construction hybride lamellée-collée/lamellé-croisé. « La distinction est importante, note Frédéric Verreault, porte-parole chez Nordic structures bois qui a conçu l’édifice de l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres, à Québec. En termes de sécurité incendie par exemple, l’emploi du bois massif se montre très supérieur à la technique de l’ossature légère. » L’édifice de l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres à Québec sera d’ailleurs le tout premier édifice au Québec à être érigé en bois lamellé-croisé. L’utilisation de ce matériau permet, par ailleurs, de monter la structure beaucoup plus rapidement qu’en utilisant le béton, tout en étant concurrentiel sur le prix. « De plus, il rencontre les objectifs les plus exigeants en terme d’empreinte carbone et de stabilité », note Frédéric Verreault.

Comparaisons bois et béton

De plus, le bois, contrairement à un mythe bien ancré, a une meilleure résistance latérale que le béton. « Le béton est en effet moins avantageux que le bois en cas de secousses sismiques, dit Kevin Below. Et le bois a presque les mêmes capacités que le béton en termes de résistance à la compression, soit environ 25 MPa pour le bois et 30 MPa pour le béton. »

Par contre, les structures de bois ont mauvaise presse en ce qui a trait à leurs propriétés acoustiques. « Il faut faire attention, dit Kevin Below. Le béton est en effet très bon sur le plan du bruit aérien, mais il est archi-pourri en ce qui a trait au bruit d’impact où il ne fait pas mieux que le bois. En fait, les deux matériaux ont besoin d’être traités acoustiquement et dans cette perspective, aucun ne l’emporte sur l’autre. »

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Maquette du plus haut édifice en bois du monde : le Cathedral Hill d’Ottawa, haut de 55 mètres.

Les structures d’édifices multiétages en bois massif (lamellé-collé/lamellé-croisé) ont aussi, parfois, la réputation d’être un peu plus cher à réaliser. « Oui, dans certains cas, mais ce n’est pas toujours vrai, note Kevin Below. Dans le projet de l’édifice de Cathedral Hill, on a eu la surprise d’arriver à des coûts moins élevés que ce n’eut été le cas si l’édifice avait été construit en béton. » « En ce qui a trait au lamellé-croisé, le coût est strictement une question de conception, avance Michel- Arnauld d’Abbadie D’Arrast, président de C.L.T inc. Jusqu’à 3 étages, les coûts sont similaires si le projet est bien conçu. Mais à partir de 4 étages, les coûts sont moindres comparativement à une structure classique en ossature légère. Écoutez, on est rendu au « max » de l’ossature légère, ça fait 50 ans qu’on travaille avec ça sur 4 étages; il est temps qu’on passe à autre chose ! À ce point de vue-là, le fait que le Québec permette de construire des bâtiments de bois de 5 et 6 étages est une grosse porte d’entrée pour les producteurs de nouveaux matériaux comme le lamellé-croisé. »

Mais le béton a la vie dure : « Tout le monde pense que le béton est ce qu’il y a de mieux, dit Kevin Below. L’autre jour, j’entendais quelqu’un dire  » Tu ne vas pas aller vivre dans un condo en bois ! « . C’est à ce genre de résistance qu’il faut s’attaquer parce que le bois a de nombreux avantages encore méconnus de plusieurs entrepreneurs, notamment sa résistance latérale, son empreinte écologique, son faible poids (le bois ne représente que 20 % du poids du béton pour une capacité structurale similaire), son esthétique et sa rapidité d’installation. Quand le milieu va réaliser à quel point c’est facile de construire en bois, il va s’apercevoir que c’est encore moins complexe que d’édifier des structures en béton. »

De plus, contrairement à la croyance populaire, la résistance au feu des panneaux de bois massifs collés ou croisés est remarquable; lors d’essais réalisés par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), des panneaux de 7 couches d’épaisseur (245 mm) ont résisté aux flammes pendant près de 3 heures.

La formation des professionnels

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La formation des ingénieurs est, par contre, un obstacle qu’il faudra surmonter avant que le mariage entre les acteurs du milieu et l’industrie du bois massif ne soit vraiment consommé. « C’est vrai que les ingénieurs manquent de formation en structure de bois, dit Kevin Below. Au Québec, il n’y a que trois universités qui donnent des cours là-dessus : Laval, Sherbrooke, et depuis peu, l’Université du Québec à Chicoutimi. Lorsqu’on demande aux autres universités d’offrir ces cours, on nous répond qu’il n’y a pas d’intérêt et qu’il n’y a pas le personnel pour ça… Et la plupart des ingénieurs en structure ne connaissent rien en acoustique et en résistance au feu, deux points particulièrement sensibles lorsqu’on envisage la construction d’édifices en bois. »

Malgré certains écueils, dont la formation des professionnels, les protagonistes du bois massif ont le moral bétonné en ce qui a trait à l’intégration des structures de bois dans les constructions de plus de 4 étages. Michel-Arnauld d’Abbadie D’Arrast résume : « Écoutez, les développeurs se copient tous. Et quand on voit un entrepreneur qui utilise du lamellé-croisé et qu’il fait un profit, on a tendance à le copier. En Europe, cet effet boule de neige a créé un quasi-raz-de-marée dans l’industrie du bois massif. Le même phénomène va sûrement se produire ici. »

Documents à consulter :
Panneau bois contrecollé KLH 2013
Faites les choses en grand avec le bois