Alors que le Québec est confronté à une crise du logement sans précédent, un obstacle structurel menace de ralentir encore davantage la construction résidentielle : l’état préoccupant des infrastructures en eau. Désuètes, saturées, coûteuses à entretenir et vulnérables aux changements climatiques, elles sont au cœur d’un problème qui touche de nombreuses municipalités à travers la province.

Pénuries et moratoires : des symptômes d’un réseau à bout de souffle
Face à l’incapacité des réseaux d’aqueduc et d’égouts à soutenir de nouvelles constructions, plusieurs villes ont imposé des moratoires. Sherbrooke, Lévis, Waterloo et Trois-Rivières ont dû freiner leur développement immobilier. À l’inverse, la ville de Magog, sans moratoire, voit son marché stimulé par le déplacement des projets qui ne peuvent pas avoir lieu à Sherbrooke. Cette crise des infrastructures accentue le manque de logements abordables et freine la croissance économique des villes.
Selon l’Union des municipalités du Québec (UMQ), au moins 36 000 unités d’habitation n’ont pu être construites en 2025 en raison d’un manque de capacité des infrastructures d’eau — l’équivalent de la population de Drummondville. De plus, l’UMQ a aussi constaté que ce sont 43 municipalités qui ont dû refuser des projets de développement puisque les réseaux d’aqueduc et d’égout ne pouvaient pas approvisionner les nouvelles constructions1.

Un réseau vieillissant et sous-financé
Le réseau souterrain québécois comprend plus de 101 000 km de conduites, dont 44 559 km pour l’eau potable.
Une étude du CERIU (2023)2 estime qu’il faudrait investir 49 milliards de dollars pour remplacer les infrastructures à risque critique. Or, les municipalités, souvent seules responsables de leur entretien, manquent de ressources pour assurer leur modernisation. Le cas de Chelsea, une municipalité d’environ 9 000 habitants et dont la facture pour les infrastructures en eau s’élève à 27 millions3, qui n’a pas obtenu de subvention gouvernementale, illustre bien cette impasse. Il est donc primordial que le gouvernement du Québec investisse massivement dans les infrastructures en eau et soutienne les municipalités dans ce chantier colossal.
Vulnérabilité environnementale
Les changements climatiques aggravent la situation. À Laval, les pluies diluviennes ont provoqué des débordements d’égouts. Les infrastructures actuelles, déjà saturées, sont incapables d’évacuer les précipitations et les crues printanières supplémentaires.
Outre les pluies et les crues printanières, des municipalités comme Sutton, Venise-en-Québec et Sainte-Élisabeth ont récemment dû recourir à des camions-citernes pour approvisionner leurs citoyens. Les sécheresses estivales et la baisse des nappes phréatiques mettent en péril l’accès à l’eau potable, notamment sur la Côte-Nord, où certaines rivières sont presque à sec.

Des municipalités qui innovent
Certaines villes prennent les devants :
Laval : technologie et géospatiale au service de l’eau
La Ville de Laval a lancé un ambitieux plan de renouvellement de ses conduites d’eau potable et d’eaux usées. Ce plan repose sur :
- Des inspections ciblées, permettant d’identifier les segments les plus vulnérables du réseau.
- L’utilisation de données géospatiales, pour cartographier les infrastructures et anticiper les zones à risque.
- Des technologies de gestion intelligente, qui priorisent les interventions selon l’état des conduites et les besoins du territoire.
Cette approche permet à Laval de maximiser l’efficacité de ses investissements tout en réduisant les interruptions de service.
Québec : gestion proactive avec Inframunicipal
La Ville de Québec a intégré la plateforme Inframunicipal, un outil numérique qui permet :
- De visualiser l’état des infrastructures en temps réel.
- De planifier les investissements à court, moyen et long terme.
- D’optimiser l’allocation des ressources selon les priorités stratégiques.
Grâce à cette gestion proactive, Québec peut anticiper les défaillances et éviter les interventions d’urgence coûteuses.
Saint-Lambert : réhabilitation ciblée et gestion durable
Saint-Lambert a collaboré avec le CERIU pour :
- Évaluer l’état de ses conduites à l’aide d’un diagnostic technique.
- Mettre en place un programme de réhabilitation des segments à risque.
- Adopter des pratiques de gestion durable des eaux pluviales, comme l’intégration de surfaces perméables et de bassins de rétention.
Ces mesures renforcent la résilience de la ville face aux événements climatiques extrêmes.
Dorval : gestion intégrée des actifs municipaux
Dorval a misé sur une approche intégrée de la gestion de ses actifs en eau :
- Suivi rigoureux de l’état physique des infrastructures.
- Coordination efficace des travaux de voirie et d’aqueduc pour éviter les doublons et réduire les coûts.
- Planification stratégique des interventions selon les cycles de vie des équipements.
Cette méthode permet à Dorval de prolonger la durée de vie de ses infrastructures tout en maintenant un service de qualité.

Des solutions durables à envisager
Face à cet enjeu prioritaire, plusieurs organismes, dont l’ACQ, se sont regroupés afin de mettre sur pied un Groupe tactique sur les infrastructures en eau liées au logement.
Le groupe a pour objectif de mener 4 initiatives majeures, soit :
- Cartographier les besoins sur le territoire du Québec afin d’obtenir un portrait à jour de la situation;
- Recenser les technologies disponibles afin de rendre les infrastructures actuelles plus résilientes et plus performantes;
- Identifier des solutions novatrices en matière de financement afin de résorber le déficit;
- Déterminer les obstacles administratifs qui minent la capacité à agir afin de les surmonter.

L’eau, un enjeu stratégique
La crise des infrastructures en eau est une crise silencieuse, mais déterminante. Elle freine le développement immobilier, menace la qualité de vie et met à l’épreuve la résilience environnementale du Québec. Investir dans des infrastructures modernes et durables est essentiel pour assurer un avenir viable.
Travailler ensemble pour construire plus et plus vite
L’ACQ a dévoilé, le 2 octobre dernier, sa plateforme électorale en vue des élections municipales québécoises qui auront lieu le 2 novembre prochain. Elle contient 7 recommandations autour de thèmes qui animent l’actualité depuis plusieurs semaines, à savoir les enjeux d’infrastructures, dont celles en eau, et la crise du logement et de l’abordabilité.
Pour en savoir plus : travailler-ensemble-pour-construire-plus-et-plus-vite-acq-2025.pdf
Article écrit par Suzanne Le Comte, en collaboration avec Léonie St-Martin, coordonnatrice aux Affaires publiques et gouvernementales de l’ACQ.
1. Union des municipalités du Québec. 2025. « Les infrastructures d’eau : un frein à la construction d’au moins 36 000 logements »
2. Rapport 2023 du Portrait des infrastructures en eau des municipalités du Québec
3. Charles Lecavalier. 2025. « Le cas de Chelsea ». La Presse. En ligne Infrastructures de l’eau | Le cas de Chelsea | La Presse.