L’adoption du projet de loi 12 introduit de nouvelles mesures entourant l’intégrité et l’admissibilité des entreprises évoluant dans le secteur public. L’un des changements les plus importants est que l’AMP peut maintenant vérifier l’intégrité de toute entreprise en relation contractuelle avec l’État, qu’elle détienne ou non une autorisation de contracter et peu importe la valeur du contrat. Pour en savoir plus à ce sujet, nous avons rencontré M. René Bouchard, directeur des affaires publiques et des communications de l’Autorité des marchés publics (AMP).
Rappelons que le projet de loi 12, Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics, a été adopté le 25 mai et a été sanctionné le 2 juin 2022.
« Intervenir avant qu’il y ait des problèmes, que les fonds publics soient investis adéquatement, que les organismes publics adoptent les bonnes pratiques contractuelles et éliminer du marché les entreprises qui n’ont pas l’intégrité pour avoir des contrats, c’est ce qui est visé par l’AMP. »
René Bouchard, directeur des affaires publiques et des communications de l’AMP.
© AMP
ACQConstruire – En quoi consiste le projet de loi 12 ?
R. B. – En fait, au niveau du projet de loi 12, il y a 2 volets, un volet qui porte davantage sur la partie achat local de la part des organismes publics et l’autre touche l’intégrité des entreprises et l’augmentation des pouvoirs de l’AMP. C’est ce dernier volet qui nous concerne davantage.
ACQConstruire- Qu’est-ce qui est à la base de cette nouvelle législation ?
R. B.– Au moment de la création de l’AMP, en 2019, c’était un pas important qui était fait au niveau des marchés publics, c’était la première recommandation de la commission Charbonneau. Par contre, on s’est vite aperçu qu’il y avait un certain nombre de leviers dont on ne disposait pas pour être capable d’aller au bout de ce que les parlementaires, les élus et la population étaient en droit de s’attendre d’une organisation de surveillance comme la nôtre.
C’est pour ça qu’il y a eu des représentations qui ont été faites au cours des mois et des années qui ont suivi la création de l’AMP pour être en mesure d’ajouter des pouvoirs pour intervenir tant au niveau des organismes publics qu’au niveau des entreprises. Je vous donne un exemple bien simple : pour toutes les entreprises qui soumissionnaient sur des contrats de plus de 5 M$, on pouvait vérifier l’intégrité de l’entreprise, mais pour celles qui soumissionnaient en bas de ce seuil de 5 M$, on ne pouvait pas le faire. Donc, ça nous amenait à un certain nombre de situations pour lesquelles on n’était pas certain de l’intégrité d’une entreprise et on n’avait pas de moyen pour intervenir auprès de cette entreprise. La nouvelle législation permet maintenant à l’AMP de vérifier les contrats sous les seuils déterminés par l’État. Même chose au niveau des pouvoirs de l’AMP auprès des organismes publics, on avait des pouvoirs de vérification et d’enquêtes, mais on ne les avait pas nécessairement sur tous les contrats et sur tous les projets. Or, la loi permet désormais à l’AMP de vérifier l’exécution des sous-contrats publics, en plus des contrats publics.
Il y a eu en 2020 — les gens de la construction sont bien au courant de cela —, le projet de loi 66 sur l’accélération des projets d’infrastructure qui a été adopté. Donc, il y avait un certain nombre de projets, 180 pour être exact, qui sont venus nous donner un mandat et des responsabilités additionnels. Cela nous a permis de voir que si on avait ces responsabilités-là, dans l’ensemble des contrats publics au Québec, ça nous permettrait d’agir encore davantage pour s’assurer que les marchés publics sont intègres et qu’on soit capable d’agir avec une saine concurrence pour les entreprises et en toute transparence. Ce sont les leviers que ça nous donne maintenant.
ACQConstruire – Quels sont les principaux changements apportés par la loi ?
R. B. – Les principaux changements, il y en a 4. Le premier : l’élargissement des pouvoirs de l’AMP, soit nos pouvoirs d’enquête sur tous projets publics, incluant les sous-contrats publics. Le 2e : c’est tout le rapatriement des activités de vérification de l’intégrité des entreprises au sein de l’AMP. Le 3e : la mise en place d’une déclaration d’intégrité pour les entreprises préalablement à la conclusion d’un contrat public, peu importe sa valeur. Le 4e : l’imposition de sanctions administratives et pécuniaires. Ces deux derniers points ne sont pas encore en vigueur, mais ce sont tous des changements importants.
ACQConstruire – Qu’est-ce que la loi vient changer pour les entrepreneurs ?
R. B. – La première chose est que l’AMP peut dorénavant vérifier l’intégrité d’une entreprise partie à un contrat ou un sous-contrat public, qu’elle détienne ou non une autorisation de contracter, peu importe la valeur du contrat en cause et peu importe qu’il s’agisse d’un contrat de services, d’approvisionnement ou de construction. Ce que cela vient corriger, c’est le fait qu’auparavant, seules les entreprises qui avaient des contrats dont la valeur était supérieure à 1 M$ (services) et 5 M$ (construction) faisaient l’objet d’un examen d’intégrité. Alors, on se retrouvait parfois avec des entreprises qui obtenaient des contrats publics sous les seuils et sur lesquelles nous avions des doutes quant à leur intégrité sans que nous ne puissions le vérifier.
Il est important de mentionner que maintenant, pour les contrats de 5 M$ visés par un appel d’offres, toute entreprise doit dorénavant détenir une autorisation de contracter à la date du dépôt de la soumission plutôt qu’à la conclusion du contrat, comme c’était le cas auparavant. Les entrepreneurs ont tout intérêt à s’y prendre à l’avance s’ils veulent soumissionner sur des contrats publics afin de ne pas être pris à la dernière minute et ne pas être pénalisés.
Un autre changement important lié à la nouvelle législation est que l’AMP peut maintenant vérifier tous les contrats et sous-contrats d’approvisionnement, en plus des contrats et des sous-contrats de services.
Un autre impact important, c’est qu’on peut exiger tout renseignement de la part des entreprises. Ce que ça veut dire, c’est que maintenant, on peut aller visiter des entreprises, on peut aller sur des chantiers de construction si on a un doute sur leur intégrité, on peut aller les voir, leur poser des questions, avoir accès à toute information utile pour effectuer notre travail. L’idée, c’est de faire en sorte que les entreprises qui sont intègres puissent continuer d’effectuer leur travail et qu’on puisse intervenir auprès de celles pour lesquelles on a des doutes.
ACQConstruire – Comment l’AMP vérifie-t-elle l’intégrité des entreprises ?
R. B. – En fait, vérifier l’intégrité, ça peut être, notamment au niveau des administrateurs, qui ils sont, qui sont les actionnaires, quels sont leurs liens, l’organigramme de l’entreprise où on peut voir qui détient le contrôle de l’organisation. On regarde aussi les états financiers, les revenus, d’où ils proviennent. On travaille aussi avec différents partenaires pour le faire. Par exemple, l’UPAC (Unité permanente anticorruption), qui demeure quand même responsable de vérifier s’il n’y a pas des liens avec, par exemple, le crime organisé ou encore s’il n’y a pas du blanchiment d’argent qui est en cause. Nous, on va continuer à faire ces vérifications avec différents partenaires, comme on le fait avec la CCQ, la RBQ, ces liens vont demeurer.
Comme changement aussi, toutes les entreprises vont devoir soumettre une déclaration d’intégrité au moment de la conclusion de tout contrat ou sous-contrat public. Ce n’est pas encore en vigueur à l’heure actuelle, car on est en train de voir les paramètres. L’idée, c’est que ça ne se traduise pas par un fardeau administratif additionnel. Après cela, ça nous assure que l’entreprise s’engage à être intègre et si jamais il y a des problématiques, on sera en mesure d’intervenir.
Aussi, on pourrait demander des mesures correctrices aux entreprises. Si on décèle quelque chose qui affecte l’intégrité d’une entreprise, on pourrait lui demander d’apporter les correctifs nécessaires, à l’intérieur d’un délai précis. Et si elles sont appliquées, l’entreprise pourra continuer d’obtenir des contrats publics.
Dorénavant, lorsqu’une entreprise veut obtenir une autorisation pour obtenir un contrat en haut de 5 M$, elle va s’adresser à l’AMP et c’est l’AMP qui va faire la démarche, du début jusqu’à la fin. Avant l’adoption de la loi, l’AMP recevait la documentation (états financiers, organigramme, etc.) et après on la transmettait à l’UPAC qui faisait ses vérifications. Maintenant, étant donné que c’est l’AMP qui va être responsable de tout le processus, ce sera beaucoup plus simple. Parce que dès le moment où l’entreprise commence les démarches avec nous, on va être en mesure de commencer les vérifications d’intégrité de l’entreprise. Ce que ça veut dire, c’est qu’on devrait être en mesure de réduire les délais de traitement pour que les entreprises obtiennent leur autorisation. Et cela fera en sorte qu’il y aura seulement un interlocuteur à qui s’adresser pour leur dossier. Un élément qui devrait être facilitant pour les entreprises du secteur de la construction.
ACQConstruire – Quelles sont les conséquences possibles pour les entreprises qui ne répondent pas au critère d’intégrité ?
R. B. – En fait, il y a déjà quelque chose qui existe présentement, qu’on appelle le Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics, le RENA. Si on constate que les entreprises ont un manquement, par exemple, fraude fiscale, elles s’adonnent au trafic de stupéfiants, automatiquement, elles sont inscrites pour 5 ans, sur le RENA. Cela demeure. Et selon les vérifications qu’on va faire, il y a toujours une possibilité que si on constate quelque chose de majeur qui affecte l’intégrité, qu’on place ces entreprises sur le RENA. Par contre, comme je le mentionnais plus tôt, il pourrait arriver qu’il y ait des éléments qui affectent l’intégrité des entreprises. Par exemple, si on considère qu’un administrateur nuit à l’intégrité de l’entreprise, on pourrait demander à l’entreprise de prendre une décision par rapport à cet administrateur et lui donner 3 mois pour le faire. Et si l’entreprise fait ce qui est nécessaire et met les mesures en place, à ce moment-là, on ne l’inscrira pas dans le RENA pendant 5 ans.
Les conséquences : possibilité de demeurer 5 ans sur le RENA ou d’apporter les mesures correctrices et pouvoir continuer d’obtenir des contrats publics. C’est-à-dire qu’on pourrait inscrire l’entreprise de manière provisoire sur le RENA pour une période de trois mois, ce qui lui permettra de poursuivre la réalisation de tout contrat ou sous-contrat public en cours d’exécution tout en mettant en œuvre des mesures correctrices. Pendant cette période, l’entreprise ne sera pas en mesure d’obtenir de nouveaux contrats ou sous-contrats. Si l’entreprise apporte les correctifs nécessaires, elle évitera ainsi de se retrouver au RENA de façon permanente et elle pourra ainsi obtenir de nouveaux contrats ou sous-contrats. Cette nouvelle disposition entrera en vigueur seulement au mois de décembre.
ACQConstruire – Quels sont les moyens à votre disposition pour intervenir ?
R. B. – En fait, on fait ce qu’on appelle des « veilles » et des « vigies » des marchés publics. Ce que ça veut dire, c’est que ça nous permet de faire des vérifications auprès d’entreprises, ce qui est important pour nous. On va aller sur les lieux où sont réalisés les travaux et les services, ça nous permet d’aller rencontrer les entreprises, les entrepreneurs, de voir ce qui affecte les marchés, ça nous donne parfois aussi de l’information sur la manière dont a été fait le contrat et de savoir s’il y a certaines problématiques, ce qui nous alimente et nous aide à nous aiguiller pour nous assurer que les marchés publics sont réglementaires. Cette approche terrain se fait aussi auprès des organismes publics, car eux aussi peuvent nous informer concernant certaines situations qui arrivent avec différents entrepreneurs ou différents groupes au sein de l’industrie de la construction, ils sont nos yeux et nos oreilles. D’un côté comme de l’autre, autant du côté des organismes publics que du côté des entreprises, ils peuvent nous alimenter.
Il y a toujours la possibilité pour les entrepreneurs de porter plainte s’ils constatent qu’un appel d’offres en cours n’est pas fait selon les règles de l’art ou si encore s’il y a des clauses qu’ils considèrent qu’elles affectent la concurrence, car il est certain que de la façon dont est fait l’appel d’offres, ils ne pourront pas soumissionner parce que l’organisme veut que ce soit un autre entrepreneur qui ait le contrat. Les plaintes, c’est important, il faut que les entrepreneurs soient au courant qu’il y a possibilité de porter plainte auprès de l’AMP.
Il y a des renseignements qu’on peut obtenir aussi auprès des entrepreneurs quand on va sur le terrain. Il y a des entrepreneurs qui nous disent qu’ils ont un problème avec tel fournisseur ou tel organisme public. Donc, on nous alimente et tous les renseignements reçus sont traités de manière confidentielle et sécuritaire. Toutes les communications de renseignements qui nous sont transmises demeurent confidentielles et c’est un moyen qui leur est donné également. C’est pour ça qu’on invite les entreprises et les entrepreneurs à nous signifier les problèmes, car c’est comme ça qu’on va arriver à assainir les marchés publics, à faire en sorte que ce soit des marchés qui sont transparents, qui sont intègres, et qu’on soit en mesure d’avoir une saine concurrence dans les marchés publics. Je reviens souvent sur ces termes-là, mais c’est ce que nous visons afin d’aller vers de bonnes pratiques contractuelles.
ACQConstruire – Quelle approche d’intervention préconisez-vous pour effectuer la surveillance des marchés publics ?
R. B. – Nous utilisons une approche qui est proactive et de collaboration en matière de résolution de problème. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on veut faire en sorte qu’on soit capable de déceler les problèmes avant qu’il y ait un préjudice. Là où c’est profitable pour les entreprises, notamment, c’est que lorsqu’on intervient auprès d’un organisme public, avant que le contrat soit accordé, cela assure l’entreprise qu’elle est capable de soumissionner et que les règles concernant les marchés publics sont respectées. Cela est très important, car on veut essayer d’éviter qu’on se retrouve, une fois que le contrat est conclu, à ne plus pouvoir intervenir parce qu’il est trop tard. C’est pour ça notre approche proactive : on consulte le SEAO, on fait une veille, on veut recevoir les renseignements. C’est pour ça qu’on travaille à l’intérieur des règles qui sont établies. Et plus on va être en mesure de travailler en amont auprès des organismes publics, lorsque les contrats vont être donnés, quand l’appel d’offres va être lancé, plus on sera en mesure de s’assurer que ça respecte les règles et les lois en matière de contrats publics.
ACQConstruire – En conclusion, qu’est-ce que la loi va permettre à moyen et à long terme ?
R. B. – Notre orientation est de faire en sorte que seules les entreprises intègres puissent obtenir des contrats publics. Comme je le mentionnais plus tôt, ce que nous voulons, c’est que le champ soit libre pour les entrepreneurs en construction qui veulent obtenir des contrats publics, qu’ils ne se fassent pas dire que telle entreprise, on a des doutes sur son intégrité, mais c’est toujours elle qui a des contrats. Alors nous, ce qu’on vise dans nos interventions autant auprès des organismes publics que des entreprises, c’est de faire en sorte que le marché soit intègre et qu’il n’y a seulement que les entreprises intègres qui ont ces contrats publics-là.
Dans le fond, ce sont des fonds publics donc, on a tout intérêt à ce qu’ils soient investis pour des projets structurants, mobilisant et confiés à des entreprises qui ont l’intégrité nécessaire pour les obtenir. Et c’est comme ça qu’on va rétablir la confiance de la population à l’égard des marchés publics. C’est vrai aussi, pour les entreprises qui veulent avoir des contrats publics et qui font les choses adéquatement. Aussi, on vise également à diminuer les délais de traitement pour les demandes d’autorisation qui ont cours. Par ailleurs, à partir de juin 2023, la validité d’une autorisation de contracter passera de trois à cinq ans. Il s’agit d’un autre élément qui est favorable pour les entreprises. Cependant, il va falloir quand même qu’elles nous avisent s’il y a des changements dans leur entreprise entretemps.
Donc : intervenir avant qu’il y ait des problèmes, que les fonds publics soient investis adéquatement, que les organismes publics adoptent les bonnes pratiques contractuelles et éliminer du marché les entreprises qui n’ont pas l’intégrité pour avoir des contrats, c’est ce qui est visé par l’AMP.
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