Complexe des sciences de l’Université de Montréal – © Stéphane GroleauUn nouveau modèle d’écologie de chantier constituerait une partie de la réponse à la pénurie de main-d’œuvre dans la construction. Il favorise un écosystème de pratiques qui optimise les coûts, la vitesse des projets et la course du développement durable. Des architectes lèvent le voile sur une logistique d’intervention appelée à jouer un rôle plus grand à l’avenir.
Anik Shooner, architecte associée principale et présidente de la firme Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, estime que beaucoup de recherches ont lieu pour améliorer la durabilité des matériaux et la qualité de leur assemblage. Cette motivation, appuyée par la transformation numérique et l’intégration de solutions d’intelligence artificielle, conditionne le foisonnement de réflexions.
Il existe présentement plusieurs défis dans le monde de l’architecture, comme dans la construction à proprement parler. La vitesse à laquelle les projets se déroulent compte parmi ceux-ci. Une rapidité qui augmente de façon exponentielle relève la cofondatrice du bureau d’architectes qui collabore à de nombreux projets, dont le nouveau siège social de la Banque Nationale et le 1, Square Phillips. Elle constate que le temps alloué à la part de réflexion d’un concept plus recherché de bâtiment risque d’être amputé.
« Il importe d’imposer un rythme plus modéré à l’effort de conception intégrée, en collégialité avec les différents intervenants d’un projet, pour se donner l’occasion d’encourager le développement de l’innovation, dit-elle. Cette transformation mérite d’être étudiée et mise en valeur aussi sur les chantiers où s’élèvent des bâtiments à une allure de plus en plus exigeante. »
« Si on ne prend pas le temps de regarder ce qui se fait dans ce secteur, et de soutenir cette ébullition de grandes avancées de manière concrète, c’est-à-dire en faisant appel à ces techniques et matériaux innovants dans la composition de nos projets, on freine la marche du développement de solutions pérennes. À l’instar de la technologie qui évolue rapidement, il faut encourager la conversion des méthodes de travail. »
Planétarium Dow – © Stéphane Brugger
Virage en deux temps
Quand le béton armé est apparu et que l’acier s’est développé, grâce au progrès de la science, il a été possible de construire plus haut. Lorsque le système de murs-rideaux, plus léger que les anciennes structures massives de murs porteurs extérieurs, a été inventé, il a aussitôt été possible d’apporter plus de flexibilité à un projet d’architecture de bâtiment. Or, ça prend toujours du temps avant d’éprouver des systèmes.
Quand on travaille sur un grand projet, on se doit d’être prudent avant d’accepter de prendre certains risques en lui greffant de nouvelles technologies, de nouveaux composants, en accord avec le donneur d’ouvrage puisque le matériau ou le détail de finition s’y répètera sur de nombreux étages. Les bâtiments de grande hauteur doivent résister à des charges de vent, aux intempéries, à l’effet de cheminée, ainsi qu’à l’usure du temps et d’autres réalités qui s’avèrent plus contraignantes que pour une habitation d’un ou de deux étages.
En ce moment, plusieurs recherches scientifiques convergent vers l’étude de durabilité des matériaux et de leur assemblage. Toute la philosophie de développement durable inscrite dans les projets LEED et WELL, dont la constitution plus écologique des composants de bâtiments, formule le changement. Il faut compter dans cette évolution l’essor de l’intelligence artificielle. Elle permet de rendre adaptables de nouvelles technologies de matériaux, dont le verre et de mieux servir la mission de performance énergétique des immeubles.
Certains produits en développement intègrent une cyberculture de prises de données. Ces vitrages transparents à opacification intelligente conçus pour ne jamais occulter la lumière du jour dans une pièce permettent de réagir automatiquement ou sur commande aux éléments, dont le soleil et son éblouissement. Ce fenêtrage d’avenir qui inspire le confort et l’intimité des occupants ajoutera aussi à la facilité d’entretien des environnements de bâtiments. Certains verres ont aussi la caractéristique de s’autonettoyer au contact de la pluie.
Vision du matériau
Issues du milieu hospitalier, des endroits où la salubrité et le contrôle des infections guident la conception et la fourniture de matériaux sains, des parois antibactériennes de murs et de plafonds qui ont fait leurs preuves pourraient bientôt se prêter à un nouvel usage. Ces panneaux architecturaux qui parent également les surfaces intérieures des laboratoires pharmaceutiques seraient dans un proche avenir tout désignés pour investir les aires d’édifices de bureaux et d’habitations, pronostique Anik Shooner.
À cet égard, les architectes d’ici ont pour réputation d’encourager la chaîne québécoise d’approvisionnement. Ils veillent à sélectionner et à faire installer dans les bâtiments des produits de proximité, inventés et fabriqués au Québec. Les manufacturiers investissent en effet beaucoup dans la recherche et le développement. Dans le secteur de la nanotechnologie, cela a permis de créer, au-delà du verre comme on le mentionnait plus haut, d’autres matériaux autonettoyants, un tournant annoncé dans la maintenance de bâtiments.
Dans la sphère de la biotechnologie, des scientifiques ont donné naissance à toute une gamme de produits durables, et ce faisant recyclables, dont des parois isolées éprouvées faites de champignons et de laine notamment. Des idées qui s’ajoutent aux procédés de construction écoresponsable et qui conviennent à la rigueur de notre climat, précise-telle. Ces isolants biosourcés qui conditionnent des projets exclusifs d’habitations vertes pourraient bientôt se démocratiser pour s’étendre à tous les types d’édifices.
Les architectes reçoivent beaucoup d’information concernant l’émergence de matériaux et l’art de les assembler dans différents projets. « Lorsque nous avons participé à l’étude de conception et de construction de la Maison du développement durable, un chantier certifié LEED Platine mené par Équiterre à Montréal, nous avons fait beaucoup de recherches sur les nouvelles façons de faire grâce à cette abondance de renseignements. Cela permet de constater qu’il existe à travers le monde énormément de découvertes et de créativité inspirantes ciblant l’avenir du bâtiment », poursuit Mme Shooner.
Équilibre de développement
Dans cette perspective, l’innovation consiste surtout à savoir choisir et combiner ces technologies dans un climat donné. Un bâtiment n’est pas un « salon du gadget », résume Anik Shooner. L’architecte illustre ainsi que seule la conjonction réfléchie de technologies, par opposition à l’étalage de moult procédés, définit l’intelligence d’un projet et l’écologie de son voisinage.
« Notre rôle est de concevoir un ensemble qui, indépendamment des technologies de matériaux sélectionnés, va intégrer l’environnement bâti d’une ville et contribuer à son développement durable au sens plus large. C’est un travail d’assemblage qui, au bout du compte, s’exécute sans transformer un chantier extérieur en fourmilière. Cette attitude aide à respecter la quiétude des résidents du quartier où se déroule le projet. »
« Notre rôle est de concevoir un ensemble qui, indépendamment des technologies de matériaux sélectionnés, va intégrer l’environnement bâti d’une ville et contribuer à son développement durable au sens plus large. »
Anik Shooner, architecte associée principale et présidente, Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Achitectes
© Martine Doucet
« Cet aspect d’écologisme souvent négligé par les entrepreneurs conventionnels, mais de plus en plus abordé par les donneurs d’ouvrage, pourrait bientôt modifier des scénarios courants de construction à travers le Québec. Le processus, déjà engagé par de jeunes repreneurs d’entreprises de construction, s’installe progressivement et savamment dans l’industrie. Ces nouveaux savoir-faire et être qui changeront le visage de la construction suscitent l’avenir des procédés de mise en chantier. »
La construction modulaire aide à atteindre ces objectifs. Elle assure déjà la production et la livraison de murs de bois ou de béton, des produits finis, à hisser sur des immeubles en chantier. Ces structures esthétiques, robustes et étanches intègrent dans plusieurs cas des portes et des fenêtres aussi installées en usine. Mais la construction hors site va désormais plus loin. Elle emprunte au mode de construction de maisons modulaires, réalisé en usine, pour produire des espaces de vie s’imbriquant parfaitement à un grand ensemble sur un chantier.
Dynamique de précision
Agrandissement modulaire, hôpital Ste-Mary’s – © Provencher_Roy
Des manufacturiers conçoivent ainsi des cuisines complètes et des salles de bains entièrement bâties, prêtes à être raccordées aux interfaces de mécanique de bâtiment, de plomberie et d’alimentation énergétique des complexes immobiliers. Cette logistique d’approvisionnement et de distribution favorise la rapidité et la fluidité de livraison des bâtiments aux propriétaires.
« Ces procédés permettent de résoudre les problèmes de pénurie de main-d’œuvre sur les sites de construction extérieurs. Ils contribuent de plus à mieux prévenir l’erreur humaine, la construction des modules en usine s’effectuant dans des aires à climat contrôlé, voire robotisées. Ces environnements proposent une précision de dextérité et une meilleure capacité de production qu’une approche conventionnelle. L’implantation de ces nouvelles pratiques trace l’avenir du processus général de construction, » poursuit Anik Shooner.
« Grâce à cette méthode, un chantier d’agrandissement d’hôpital a pu être réalisé en un temps record, en pleine période de la COVID-19, affirme Audrey Monty, architecte et associée chez Provencher_Roy. Cette logistique a de plus permis de minimiser les impacts de fonctionnement du centre de santé existant. La nouvelle partie s’est élevée rapidement avec un personnel réduit dans un environnement de faible poussière et de bruit, des éléments satisfaisants à l’équilibre de quiétude et de soins attendus des patients jouxtant le site de construction. »
« Dans le présent cas, la rallonge constituait une solution d’urgence pour le client. Or, on estime à environ 10 années l’espérance de vie de ce bâtiment dit temporaire », explique en conférence télévisuelle Mme Monty, en compagnie de Geneviève Bouley, architecte et associée, et Alain Dagenais, chef d’atelier et associé de la firme d’architecture qui a convenu de la prestance des travaux.
Agrandissement modulaire, hôpital de Verdun – © Provencher_Roy
Agilité de construction
« Il s’est écoulé à peine 14 semaines entre le premier contact avec le client et la livraison des installations clé en main au CSSS », intervient Geneviève Bouley. C’est l’expertise de construction modulaire vue en usine jumelée au travail exécuté sur le chantier extérieur qui a permis à ce bloc hospitalier de 24 lits et son étage administratif de sortir de terre aussi vite. »
« Bien qu’encore minoritaires dans l’industrie, de plus en plus d’entrepreneurs ont aujourd’hui recours à cette conjonction d’efforts de fabrication hors site et d’assemblage en aval pour de grands projets de construction d’édifices permanents, dit Alain Dagenais. Des chantiers de tours d’habitations s’élèvent avec vélocité grâce à cette méthode de coordination. »
« Il est démontré qu’on souscrit à une plus grande agilité de construction et à une vitesse inégalée d’exécution de chantier avec cette pratique, lorsqu’elle est encadrée, dit-il. Livrer un projet responsable vite, bien et avec moins de monde produit de grandes économies. C’est le nerf de la guerre de l’industrie de la construction. » Cette position immuable s’inscrit prioritairement dans la vision d’avenir des chantiers concluent les architectes.
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