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Construire durablement surpasse la vision environnementale de réduction des GES. L’engagement vert qui souscrit à l’économie circulaire fait appel à une plus grande cohésion d’industrie, à une dynamique étendue de concertation des acteurs clés de la construction. Portrait d’un écosystème en transformation.
L’industrie fait souvent référence à l’expression « construire durablement » pour définir un mode de construction écologique. Cette connotation verte est liée à des solutions pour freiner ou atténuer les bouleversements climatiques observés. On parle ici des perturbations météorologiques, dont les catastrophes naturelles en progression sur la planète. Dans ce contexte, l’utilisation de matériaux écoresponsables adhérant à des politiques d’achats locales est vivement encouragée. Le respect des règles d’économies d’énergie qui implique une saine gestion des édifices, en misant aussi sur le confort des occupants, fait partie de cette écologie de procédés. Mais le génie évolue et met en relief de nouvelles façons de bâtir et d’exploiter les bâtiments, ce qui exige de recentrer l’action de manière continue, en préparant toujours mieux les projets de construction.
« Il importe donc de s’attarder à des notions qui imposent une dynamique de travail qui tend à mieux planifier des projets à lancer. L’idéologie qui se pose en amont des chantiers fait appel à un esprit professionnel encore plus collaboratif, fait valoir Catherine Guay, conseillère aux affaires corporatives de l’Association de la construction du Québec. C’est une pratique qui marque un nouveau courant d’efforts environnemental, social et économique, soit trois piliers d’investissement intimement liés et destinés à aborder et solutionner les enjeux de la construction durable, une réalité empreinte de défis. »
« Les donneurs d’ouvrage publics constituent un modèle de conscience dans ce secteur. Ils produisent des devis très éclairés dans lesquels sont étudiées puis publiées des descriptions d’exigences très précises en matière de composants de construction. Ils précèdent de beaucoup le déploiement d’un chantier. Cette prescription, par exemple, peut définir un pourcentage de contenus recyclés et présenter le détail de caractéristiques de matériaux recherchés. L’exercice évite au constructeur une surabondance de procédés une fois le chantier en cours. Ces décisions soigneusement réfléchies et plus englobantes servent à prévenir des contretemps durant la construction et à éclairer la vision d’intervention », poursuit Catherine Guay.
« Tout part donc en amont, c’est-àdire à l’étape conception », résume la conseillère de l’ACQ et associée écologique LEED, Catherine Guay. La démarche prend sa source dans un processus de conception intégrée (PCI). Il a pour objectif l’échange et la participation active et transversale de tous les acteurs professionnels au stade de la conception d’un projet de construction. Il se différencie de l’approche plutôt linéaire traditionnellement utilisée dans les projets de construction. Le processus peut être utilisé, quelles que soient l’affectation et la taille du projet. »
Lumière naturelle dans une classe © CERIEC-ÉTS
Pratique émergente
« Le PCI vise, durant la phase de conception, à favoriser les échanges entre les différents acteurs professionnels du projet, dans l’optique de créer une synergie entre eux pour optimiser les objectifs. Il évite le travail en silo, en imposant un travail d’équipe. Ainsi, les donneurs d’ouvrage, ingénieurs, architectes, gestionnaires financiers, experts environnementaux et entrepreneurs d’un projet notamment, peuvent prendre part à une même table de concertation pour planifier,ensemble, la conception du projet. Ce rôle déjà accompli en amont de plusieurs projets publics, a démontré que des intervenants clés réunis en comité autour d’une même table réussissent à mieux anticiper des écueils, établir une meilleure tenue de planning et à réduire considérablement le nombre de changements à survenir sur des chantiers une fois le projet lancé. Pour toutes ces raisons, l’observance du PCI est de plus en plus présente dans toute démarche de préparation de projets publics de construction », indique Catherine Guay.
« Il est important de préciser dans cette démarche qu’un entrepreneur indépendant, différent de l’entreprise de construction sélectionnée pour exécuter les travaux sur le chantier, est également invité à joindre la table de conception du projet où siègent les architectes et les ingénieurs. Cette approche-conseil permet d’obtenir et de partager un point de vue extérieur. Le processus de conception intégrée entraîne, il va de soi, une prolongation des délais de préparation d’un projet. Mais sa valeur ajoutée, décrite comme indéniable pour l’assainissement des coûts d’exploitation et la réduction prépondérante des imprévus à considérer durant l’exécution d’un chantier, établit un train de mesures qui rapporte sur tous les plans. » Et cela vaut tout autant pour la période de vie utile du bâtiment, précisent des gestionnaires et occupants d’immeubles ainsi construits.
« La démarche collaborative permet aussi de développer des moyens supplémentaires d’atteindre de manière innovante les objectifs de réduction des GES et de réduire les impacts environnementaux de l’industrie de la construction. Elle contribue directement à la gestion de l’économie circulaire du secteur, depuis la conception de projet jusqu’aux activités sur les chantiers, un atout important dans un milieu générant plus de trois millions de tonnes de matières résiduelles annuellement. La réflexion englobe l’usage ou l’exploitation des bâtiments à mettre en service, tout en prévoyant la fin de vie utile des édifices et, ce faisant, comprend le recyclage ou la valorisation des matériaux. »
« L’objectif est de réduire les quantités de matières vierges utilisées, d’utiliser les ressources plus efficacement, les matériaux plus longtemps et, à terme, de pouvoir recycler ou valoriser les matières pour les maintenir dans l’économie. C’est une manière de faire mieux avec moins de ressources », convient Mme Guay.
Économie circulaire
S’inspirant du concept et des pratiques du Living Lab, une approche de travail et de collaboration dans lesquelles les parties prenantes s’impliquent concrètement dans le processus de création de solutions, Hortense Montoux suit de près cette évolution. Elle est chargée de projet pour le Lab Construction, une initiative du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC). Ce laboratoire, basé à l’École de technologie supérieure (ÉTS), s’emploie à démontrer, par des projets d’expérimentations innovants et cocréés, comment intégrer puis généraliser des stratégies d’économie circulaire dans le secteur de la construction au Québec. « La démarche implique des utilisateurs vivant au quotidien la réalité de l’industrie de la construction. Ce sont des gens qui ne sont pas vus comme un objet d’investigation, mais comme des acteurs clés dans un processus d’innovation », précise-t-elle.
« Toutes les étapes menées par le Lab, depuis sa mise sur pied il y a un peu plus d’une année, ont permis de faire travailler ensemble des parties prenantes représentant tous les maillons de la chaîne de valeur dans des ateliers de cocréation. »
Présentement en route, celui lié à la construction est le premier d’une série de labs à se déployer. Nous avons décidé de commencer par la construction, car ce marché représente un important pan de l’économie. C’est aussi un secteur d’activité en croissance. Il est particulièrement très consommateur de ressources et très générateur de matières résiduelles, deux caractéristiques importantes à considérer dans une économie circulaire. Il est à la source de près de 40 % des déchets produits dans le monde. Son impact environnemental est majeur, et son potentiel de circularité aussi », estime Hortense Montoux.
« Nous avons décidé de commencer par la construction, car ce marché représente un important pan de l’économie. »
Hortense Montoux, chargée de projet, Lab Construction
© Lab Construction
Lab Construction
Or, des séances d’idéation de projets dirigées par le Lab Construction ont permis d’identifier plusieurs freins à l’économie circulaire dans la construction. Des freins prioritaires ont d’abord été classés en ateliers par étape de la vie du bâtiment. Des
principes principalement liés à la commande de bâtiment ne prenant pas en compte l’économie circulaire arrivent en amont des préoccupations. Des contraintes de planification et de conception, le choix des matériaux et les pratiques de construction à proprement parler minent également le sentier de la construction durable au Québec. Enfin, le manque d’infrastructure, d’indicateurs, et de modèles d’affaires innovants pour mieux consommer au sein d’un bâtiment et pour allonger la durée d’usage des équipements fait actuellement défaut. Le Lab Construction rapporte également que la gestion du réemploi des matériaux reste encore trop peu développée, car les matériaux de seconde main ne sont toujours pas perçus comme des ressources d’industrie. À cet égard, l’absence de lien entre l’offre et la demande fait obstacle.
« Les coûts supplémentaires liés à la mise en place de pratiques ou de stratégies d’économie circulaire sont en cause. Ils mettent en évidence le développement insuffisant de marchés, de débouchés pour favoriser ou systématiser la déconstruction, le réemploi et le recyclage des matières. Accaparés par le facteur coûts focalisé sur le court terme, à l’inverse d’un coût complet du bâtiment qui prendrait en compte sa fin de vie, certains intervenants de l’industrie de la construction peinent à pleinement tenir compte d’un ensemble de critères de circularité, fait valoir Hortense Montoux, pour convenir des enjeux et des défis qui entravent la vitalité de la construction durable au Québec. »
Exemple de bâtiment carboneutre © CERIEC-ÉTS
Empreinte carbone
« La notion de bâtiment durable cible bien plus que les matériaux, », observe l’ingénieur Martin Roy, président de la firme de génie-conseil Martin Roy et Associés, une entreprise investie dans plusieurs projets de bâtiments durables. Elle vise la qualité des environnements intérieurs. Ses fondements favorisent l’abondance de lumière du jour, la présence de ventilations naturelle et mécanique, et une saine barrière acoustique pour assurer le confort des occupants. L’atteinte de l’efficacité énergétique et la réduction des GES constituent dans cette foulée des facteurs importants de gestion environnementale,. explique le premier professionnel au Québec à détenir le titre LEED Fellow, un rare sommet d’accréditation délivrée par le Green Building Certification Institute. »
« Cette philosophie doit également tenir compte de l’aménagement extérieur des immeubles. À l’importance accordée au verdissement du terrain, à la recirculation des eaux et au fini écoresponsable des surfaces, des critères absolus de bâtiment durable, s’est aussi ajouté la carboneutralité de la construction. Cependant, peu de donneurs d’ouvrage adoptent les règles du bâtiment durable et de l’empreinte nette zéro », analyse Martin Roy.
Il estime qu’environ 6 % des projets de construction au Québec ciblent cette conjonction de certifications. La nouvelle mouvance de carboneutralité apparaît toutefois plus simple à suivre pour l’industrie. Cet aspect a l’avantage d’intéresser davantage de maîtres d’œuvre et d’entreprises de construction. Mais ce sont des dispositions à peine émergentes. Seulement quelques matériaux souscrivent à ce procédé d’économie circulaire dans la construction, un processus qui ne compte aucune chaîne de logistique en déploiement.
« On peut néanmoins pratiquer l’économie circulaire en commençant par récupérer des matériaux démontés dans un projet de rénovation de bâtiment, et les réutiliser sur ce même chantier pour effectuer les travaux d’amélioration en cours. L’activité de reconstruction ne doit jamais perdre de vue l’ensemble des aspects environnementaux », conclut Martin Roy.
« La notion de bâtiment durable cible bien plus que les matériaux. »
Martin Roy, président, Martin Roy et Associés
© Martin Roy et Associés