© Stéphane Groleau
La création du Lab-École a braqué les projecteurs sur l’impact du design et de l’architecture sur les bâtiments publics. Mais plusieurs innovations en ce sens existaient déjà. Bibliothèques, hôpitaux, établissements scolaires, résidences pour personnes âgées : quelles sont les tendances inspirantes à ce chapitre ?
S’ouvrir sur la communauté
Bibliothèque Marc-Favreau, Montréal © MMTremblay
À la bibliothèque Marc-Favreau, on est loin des longues rangées de livres poussiéreux disposés dans un silence à toute épreuve. Les grandes fenêtres laissent entrer la lumière du jour, alors qu’un foyer réchauffe l’atmosphère pendant l’hiver. Objectif ? Réinventer cette institution. « Aujourd’hui, le dernier lieu public accessible gratuitement à la population, c’est la bibliothèque », explique Gilles Prud’homme, architecte et chargé de projets chez EVOQ Architecture.
Ainsi, en plus des espaces prévus pour lire, la bibliothèque inaugurée en 2013 propose aussi des sections pour le travail en équipe, d’autres pour des formations et même des endroits pour boire ou manger ! Sans compter l’intégration d’un « Fab Lab », c’est-à-dire un lieu dédié à la fabrication avec des outils technologiques, comme une imprimante 3D. « À l’époque où nous avons commencé à travailler sur ce projet, soit autour de 2009, Marc-Favreau était une des premières bibliothèques à réinventer le modèle au Québec, comme ça avait été le cas par exemple à Seattle, en 2003 », se rappelle Gilles Prud’homme.
Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles bousculent les traditions, alors que le ministère de la Culture et des Communications fonctionne par concours pour ce type de bâtiments. Les différents projets sont donc évalués par un jury composé notamment d’architectes et de représentants de la Ville. On sent une réelle volonté gouvernementale. Les décideurs comprennent que la bibliothèque a un rôle essentiel à jouer au point de vue civique au même titre que pour améliorer la littératie », indique Gilles Prud’homme.
Les bibliothèques ne sont pas les seules à ouvrir grand leurs rayons. C’est également une des tendances que l’on observe dans la construction de nouveaux établissements scolaires, constate de son côté Maryse Laberge, associée chez BBBL, une branche de la firme Provencher_Roy ayant piloté une cinquantaine de projets scolaires. « De plus en plus, les écoles utilisent leurs infrastructures comme les gymnases ou les auditoriums pour favoriser la participation citoyenne ou l’implication communautaire », observe-t-elle. Par exemple, dans le projet d’école rue Jarry Est à Montréal sur lequel l’architecte travaille, un jardin collectif sera implanté avec un organisme local. Une occasion de rencontres et d’apprentissages.mentale. Les décideurs comprennent que la bibliothèque a un rôle essentiel à jouer au point de vue civique au même titre que pour améliorer la littératie », indique Gilles Prud’homme.
Quand l’espace s’éclate
École des Jardins-des-Patriotes, Saint-Eustache © R. Thibodeau
Salles de classe se transformant au gré de la journée, espaces favorisant la concentration ou l’interaction, mobilier qui se déplace : de plus en plus, l’espace s’éclate pour s’adapter aux besoins des enfants dans les écoles. « On s’inspire beaucoup de ce qui se fait dans les pays scandinaves, explique Maryse Laberge. Bien entendu, les écoles ne sont pas complètement à aires ouvertes, mais on revoit les lieux, en créant par exemple des corridors habités où on peut installer des bancs devant les fenêtres ou des alcôves. » Atriums ou salles communes transformables s’ajoutent à la liste de ces lieux nouveaux-genre.
« De plus en plus, on voit apparaître, en plus des salles traditionnelles comme les classes, les laboratoires ou les gymnases, des endroits qui permettent de se regrouper ou, au contraire, de s’isoler », poursuit-elle. Elle cite également en exemple les « classes interstitielles », un espace entre deux classes qui peut être ouvert ou fermé, selon l’usage. « On pourrait donc imaginer qu’un groupe s’y installe comme dans une troisième pièce ou, à l’inverse, que les portes s’ouvrent pour créer une classe double. » Ces éléments architecturaux favoriseraient la réussite des élèves montrent d’ailleurs plusieurs études à ce sujet.
Le maître-mot ? La flexibilité. Un concept qui pourrait facilement sortir des classes et teinter différents bâtiments publics. Par exemple, la firme CCM2 architectes planche actuellement sur de futures résidences universitaires qui seront construites près de l’Université Laval. Selon leurs plans, les lieux modulables sont à l’honneur, explique Mathieu Morel, architecte et associé. « Les deux premiers étages accueilleront un café qui deviendra espace de rencontre. Comme le terrain était restreint, nous avons travaillé avec la topographie. Largement fenestrés, les lieux offriront des gradins intérieurs avec de la végétation qui descend. Et le tout se poursuit à l’extérieur. L’idée, c’est de créer des endroits pour que les gens puissent socialiser ou s’isoler. »
Comme la résidence sera construite à proximité du futur tram-bus, la firme prévoit aussi l’implantation de commerces de proximité pour faciliter la vie des résidants. « On veut récréer un cadre plus urbain, un peu comme ce que l’on voit par exemple à Copenhague », précise Mathieu Morel. Plus globalement, cette philosophie alliant écologie et bien-être pourrait devenir un atout dans un contexte de pénurie de la main-d’oeuvre. En effet, concevoir des bâtiments qui s’éclatent pour répondre aux besoins de chacun, avec une offre commerciale à la clé, pourrait bien faire partie de la solution, notamment dans les différents ministères.
Inspirés de la nature
École Metis Beach, Métis-sur-Mer
© Stéphane Groleau
Autre tendance forte : la « biophilie », qui signifie l’amour du vivant… Concrètement, il s’agit de s’inspirer de l’environnement en concevant un bâtiment. Lumière naturelle, intégration de plantes à l’intérieur comme à l’extérieur, fenêtres donnant sur des espaces verts, présence de l’eau, intégration de matériel en bois : plus qu’esthétiques, ces ajouts auraient des effets bénéfiques sur les occupants. « Un peu comme quand nous allons marcher en forêt, lorsque les humains se trouvent en contact avec la nature, ça diminue leur stress », indique Caroline Frenette, ingénieure et conseillère technique chez Cécobois, le centre d’expertise sur la construction commerciale en bois.
Par exemple, une vingtaine d’études ont démontré que l’abondance de lumière naturelle à l’école améliorait les résultats scolaires, la présence en classe, le comportement et même la rapidité d’apprentissage des élèves, rapporte Caroline Frenette. Pas étonnant que de plus en plus de salles de classe mettent la nature en vedette. Grandes fenêtres avec vue sur l’extérieur, cours vertes, toits végétalisés, jardins, plantes en classe, murs recouverts de bois qui servent même parfois de cocons pour les petits : plusieurs utilisations sont possibles en milieu scolaire.
Dans cette optique, Mathieu Morel a travaillé sur une école à Métis-sur-Mer où le fleuve Saint-Laurent sert maintenant de décor à la cafétéria. « Nous avons également construit une classe dehors, puisque les professeurs avaient l’habitude de s’y installer », ajoute-t-il. Autre façon de se connecter avec la nature : l’architecte travaille actuellement sur un projet où il étudie la possibilité que chaque classe ait sa porte vers l’extérieur et son petit coin de cour lui appartenant.
Si la biophilie s’est frayé un chemin vers l’école, on aimerait bien s’en inspirer dans le domaine de la santé. En effet, cette connexion à la nature aurait également des impacts positifs sur les patients, qui se rétabliraient plus rapidement dans des chambres aux murs revêtus de bois, a montré une étude menée en Norvège. « L’effet a aussi été démontré sur les aînés au Japon, alors que ces environnements favoriseraient les interactions sociales », affirme Caroline Frenette. Si quelques hôpitaux au Canada ont ajouté des éléments s’inspirant de la forêt, c’est encore chose rare. Il faut dire que les concepteurs n’ont pas tous le réflexe bois, alors que la réglementation est plus complexe quant à l’utilisation de matériaux combustibles.
Toutefois, Cécobois travaille fort pour développer cette expertise et augmenter l’usage de produits forestiers dans le domaine de la construction. De plus, le gouvernement a adopté en 2015 la Charte du bois. « Selon cette réglementation, l’intégration du bois doit être évaluée pour chaque projet public. L’objectif, c’est d’encourager cette utilisation dans les bâtiments qui a non seulement un effet intéressant au point de vue économique, mais aussi sur la santé et l’environnement », précise l’ingénieure. En plus de stimuler l’économie locale et le développement de produits à valeur ajoutée, c’est une excellente façon de diminuer ses gaz à effet de serre, précise-t-elle.
Durables !
École Curé-Paquin, Saint-Eustache
© Leclerc architectes
Géothermie. Planchers radiants. Isolation au-delà des normes. Panneaux solaires. Fenestration abondante pour profiter de l’éclairage et de la chaleur du soleil, sans éblouir les élèves. Voici quelques-unes des mesures ayant permis à l’école Curé-Paquin de Saint-Eustache de devenir le premier bâtiment au Québec à recevoir la certification « Carbone-Zéro ». Une nouvelle norme du Conseil du bâtiment durable du Canada qui mesure les émissions de gaz à effet de serre (GES) pour faire fonctionner le bâtiment, mais aussi pour le construire.
Une certification qui pourrait faire des petits dans le domaine des bâtiments publics, de plus en plus verts. En effet, rares sont les appels d’offres qui n’incluent pas un volet environnemental. Et à l’heure des changements climatiques, la diminution des GES est un incontournable, rappelle Maxime Boisclair, directeur développement durable chez GBi, firme de génie. « C’est un peu comme quand on a adopté le protocole de Montréal pour réduire et éventuellement bannir les substances nuisibles pour la couche d’ozone, comme les réfrigérants. Mais aujourd’hui, c’est aux GES qu’il faut s’attaquer », explique celui qui a non seulement travaillé sur la norme, mais aussi sur l’école de la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles.
Si cette certification vient tout juste d’être lancée, elle permettra de mesurer les émissions de carbone dans différentes constructions. Ce qui, à terme, permettra d’améliorer les pratiques. « Le problème, c’est qu’encore aujourd’hui, 50 % de l’énergie utilisée dans les bâtiments commerciaux et institutionnels proviendrait de combustibles fossiles, ce qui alourdit le bilan », soutient-il. Il faut donc instaurer un mouvement pour décarboniser les bâtiments, alors que des villes comme Montréal ont annoncé leur intention d’être carboneutres d’ici 2050.
« Je pense que les bâtiments publics, comme les écoles, doivent miser sur des concepts comme le bien-être et le développement durable. Ils devraient être construits notamment en tenant compte des plus hauts standards de performance énergétique », ajoute pour sa part Maryse Laberge. Ce qui est le cas de l’école Curé-Paquin qui, encore en construction au moment d’écrire ces lignes, deviendra aussi un outil pédagogique pour les élèves et le personnel. Grâce à un écran multimédia, on pourra suivre des indicateurs comme l’utilisation de l’eau ou la consommation et la production d’énergie. La réduction des GES sera également étudiée en classe à l’aide des technologies déjà sur place !
Plus globalement, hôpitaux, écoles, bureaux, mairies et autres édifices publics sont de plus en plus nombreux à être construits selon les principes du développement durable. Ces mesures touchent aussi bien l’environnement que la santé, comme l’installation de stationnements pour vélos et de douches pour favoriser le transport actif, décrit Maxime Boisclair. On peut également voir apparaître différents éléments qui permettent de lutter contre la sédentarité, comme la « mise en valeur des escaliers afin de les rendre plus accessibles et plus attrayants et ainsi réduire l’utilisation de l’ascenseur », ajoute-t-il. Et ce ne sont que quelques exemples de cette tendance de fond.
Bienvenue dans l’ère numérique
Les technologies sont partout, même dans les bâtiments publics. En effet, avec la domotique, on voit apparaître toutes sortes d’innovations, explique Serge Laurence, associé principal chez GBi, une firme de génie-conseil. « On pense par exemple aux stationnements qui détectent votre cellulaire. Sur votre écran, les places libres s’affichent. Dans d’autres cas, des lumières au sol vont s’allumer pour guider les automobilistes vers les cases libres », explique-t-il.
La technologie permet aussi de rendre les bâtiments intelligents, en éteignant les lumières quand une salle n’est pas occupée, comme c’est le cas à l’école Curé-Paquin. « Il est également possible d’installer des dispositifs qui reconnaissent le cellulaire de l’occupant. Ils peuvent alors adapter la température ou le niveau de l’éclairage, en fonction des préférences précises de cette personne », décrit Maxime Boisclair.
Dans un autre ordre d’idées, le processus de conception intégré (PCI) et la construction avec des outils comme le BIM (Building Information Modeling), seront également de plus en plus importants pour les édifices publics, pense Serge Laurence. En effet, certains pays comme l’Angleterre ont déjà intégré le BIM à même leurs appels d’offres. Sans aller aussi loin, la Société québécoise des infrastructures a aussi mis en place une feuille de route sur le virage numérique qui s’étend jusqu’en 2021. À surveiller !
Vers l’école du futur
Le Lab-École travaille actuellement à réinventer l’école. Au total, sept établissements scolaires à travers le Québec présenteront cette vision d’avenir portée par le chef Ricardo Larrivée, l’architecte Pierre Thibault et le sportif Pierre Lavoie. Mais le milieu a déjà commencé à imaginer de nouvelles solutions, aux quatre coins du Québec. « Le Lab-École va certainement permettre d’innover plus rapidement en créant une mobilisation importante et politique envers cette réflexion. (…). Ces projets seront donc des laboratoires pour tester de nouvelles organisations spatiales et valider leur impact sur la pédagogie et le fonctionnement des écoles », pense Maryse Laberge.
Récemment, le gouvernement du Québec a d’ailleurs bonifié le budget des établissements scolaires à construire pour y inclure des solutions architectures favorisant la réussite des élèves et le développement durable. Autant d’exemples inspirants qui pousseront aux quatre coins du Québec !