Hôpital de Vaudreuil-Soulanges © Provencher_Roy BBL | YMA
Pour relancer l’économie, le gouvernement du Québec a annoncé des investissements majeurs dans la construction et la réfection d’infrastructures. Dans les différentes régions, des chantiers prennent vie de façon accélérée et le marché se trouve donc en pleine ébullition. Tour d’horizon.
« J’ai rarement vu une période aussi effervescente en matière d’investissements publics. C’est exceptionnel », mentionne Pierre Larouche, architecte et associé principal au groupe Lemay. Une accélération des projets publics qui lui rappelle, dans une moindre mesure, le faste des années 1960, alors que le Québec bâtissait son réseau de cégeps et lançait de grands chantiers routiers, comme celui du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.
Même si les investissements sont moindres aujourd’hui, le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2021-2031 prévoit tout de même une enveloppe de 135 milliards de dollars pour des projets publics s’étalant sur la prochaine décennie. Une hausse de 4,5 milliards de dollars par rapport à celui de 2020-2030. Le gouvernement veut ainsi donner un second souffle à l’économie, ébranlée par la pandémie.
Dans la même veine, l’adoption du projet de loi 66 en décembre 2020 concernant « l’accélération de certains projets d’infrastructure » a permis de mettre 180 chantiers sur la voie rapide. « Par contre, il faut savoir que la loi 66 n’a rien changé dans la gouvernance de l’octroi de contrats de construction, nuance Martin Jacques, vice-président exécutif, section bâtiment Québec, chez Pomerleau. Cela vient surtout faciliter l’obtention de permis de construction, d’autorisations gouvernementales ou même d’expropriations pour des projets qui sont plus complexes. »
Mais peu importe, tous observent une certaine ébullition dans le marché. D’ailleurs, si on y regarde du plus près, le portefeuille de la Société québécoise des infrastructures (SQI) comptait 160 projets de plus de 5 millions de dollars sous gestion, en planification ou en réalisation le 31 mars dernier. Ce qui équivaut à un budget de 16 milliards de dollars, calcule son porte-parole, Martin Roy. Et ce, « sans compter plusieurs dizaines d’autres projets actuellement à l’étude. À pareille date, en 2019, on en comptait plutôt 90 totalisant 8,6 milliards de dollars, précise-t-il aussi. Une augmentation importante. »
© MSSS
Maisons des aînés : des projets partout au Québec
La construction de maisons des aînés constitue l’une des pierres angulaires du PQI. Lors du lancement du programme en 2019, le gouvernement prévoyait construire 30 résidences pour personnes âgées d’ici 2022. Depuis, ce chiffre a augmenté et aujourd’hui, l’objectif a grimpé à 46 maisons des aînés ou pavillons alternatifs, qui sont destinés aux adultes en perte d’autonomie. Quant à lui, le nombre de places est passé de 2600 à plus de 3400 dans ce projet qui, à lui seul, représente un budget de deux milliards de dollars, selon les montants estimés.
Selon les plans, 2 600 places devront être livrées en 2022. « Cet objectif est maintenu étant donné que plus d’une trentaine de maisons sont déjà en chantier ou sur le point de l’être, explique Martin Roy. Par contre, il est certain que les conditions de marché, comme l’effervescence ou l’enjeu de la main-d’œuvre dans l’industrie amènent des défis avec lesquels la SQI doit composer, comme tous les intervenants de l’industrie », précise-t-il.
Malgré tout, le gouvernement maintient le cap. « Avec tout ce qui s’est passé avec la COVID-19, et ce qu’on a découvert dans les CHSLD, c’est demeuré une priorité », observe Pierre Larouche. La crise a donc rappelé l’importance d’améliorer les conditions de vie des aînés, objectif principal de ce programme. « Malgré le nombre d’unités qui peut parfois être élevé, il y a une volonté de créer des projets à échelle humaine », confirme Martin Jacques. Son entreprise, Pomerleau travaille d’ailleurs sur 18 chantiers du genre à travers le Québec, entre autres à Roberval, Alma et Chicoutimi.
« C’est le même concept qui se déploie partout, selon les besoins de la population locale et les caractéristiques spécifiques de l’endroit », explique le vice-président. Chaque maison est donc constituée de maisonnées regroupant 12 chambres, qui se concentrent autour d’aires de vie. Ces petits complexes sont multipliés, selon les besoins de la communauté.
Par exemple, la maison des aînés de Chicoutimi comptera un total de 120 chambres, réparties sur trois étages. Les plans prévoient aussi des jardins et des cours intérieures, des salles pour les proches aidants, un espace polyvalent pour les activités ou encore un salon de coiffure. « Cette résidence, qui devrait ouvrir ses portes en novembre 2022, vise la certification LEED », ajoute Martin Jacques.
Autre particularité, ces immeubles sont pensés pour durer. « On voit la qualité de la conception, entre autres dans le choix des finis.
Ce sont des bâtiments qui s’apparentent plus à des hôpitaux qu’à des appartements dans leurs soucis du détail, par rapport aux systèmes mécaniques, à la structure, à la qualité de l’enveloppe, des fenêtres ou des finis architecturaux.
Tout a été pensé pour faciliter l’entretien et éviter que la poussière ne s’accumule, par exemple en éliminant les plinthes », mentionne le vice-président.
Orientations multiples
Si les maisons des aînés symbolisent la volonté du gouvernement d’investir dans les infrastructures, ce ne sont pas les seuls projets qui prennent actuellement vie à travers le Québec. En plus des chantiers routiers d’envergure à l’étude, comme le Réseau express métropolitain (REM) dans l’Est, le tramway de Québec ou la prolongation de la ligne bleue du métro à Montréal, tous en préparation, d’autres secteurs offrent d’intéressantes perspectives.
C’est le cas du domaine de la santé et des services sociaux, qui joue « vraiment un rôle de chef de file, alors que plusieurs chantiers ont été menés à travers les différentes régions du Québec, analyse Pierre Larouche. Et il y a plusieurs mégahôpitaux qui sont soit en réalisation ou sur les planches à dessin. »
Il cite en exemple le nouveau complexe hospitalier (NCH) de Québec-Université Laval, avec un budget frôlant les 2 milliards, qui devrait être terminé en 2025 ainsi que l’hôpital de Vaudreuil-Soulanges, dont les travaux devraient s’étaler de 2022 à 2026. L’agrandissement et la rénovation de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, évalué à plus de 2,5 milliards de dollars, est aussi à surveiller. Sans compter les chantiers plus modestes, à Eeyou Istchee (Baie-James) ou Arthabaska.
D’ailleurs, 81 des 180 projets accélérés avec la loi 66 concernent le domaine de la santé et des services sociaux. De ce nombre, 57 étaient déjà en cours de réalisation en septembre dernier, comme l’agrandissement et la modernisation de l’Hôpital de Verdun (265 millions de dollars).
École secondaire de Drummondville © Centre de services scolaires des Chênes
Redessiner les couronnes de Montréal
« Plusieurs projets d’infrastructure touchent aussi les deuxièmes ou les troisièmes couronnes de Montréal. Ce sont des secteurs qui ont vu leur population augmenter, si bien qu’il faut ajuster les services pour desservir ces nouveaux résidents », affirme Pierre Larouche. La pandémie, et son recours au télétravail, a également accentué cet exode vers les régions autour de la métropole.
Ces changements démographiques entraînent la construction de nombreuses écoles, autre domaine qui fait l’objet d’investissements publics importants. D’ailleurs, le gouvernement a lancé un programme de construction de 15 écoles secondaires sous la responsabilité de la SQI. Principalement situés dans la grande région de Montréal et ses banlieues, à l’exception des écoles de Drummondville et de Charlesbourg, ces établissements créeront 21 212 nouvelles places, détaille Martin Roy. Leur livraison s’échelonnera entre 2023 et 2025.
Ce faisant, le ministère de l’Éducation a revu de fond en comble la conception des établissements secondaires, explique Pierre Larouche. D’ailleurs, la firme Lemay a participé à l’élaboration de ce nouveau cadre de références pour construire l’école du futur. « Nous avons revisité les façons d’aménager les lieux de manière à favoriser la collaboration et à créer des espaces conviviaux. » Les détails précis ne sont toutefois pas publics pour l’instant.
Ces projets visent « non seulement à résoudre le déficit d’espace, mais également à offrir à la population des écoles contemporaines répondant aux besoins d’aujourd’hui, par la mise à jour des critères d’aménagement des espaces d’enseignement », confirme Martin Roy.
La firme Pomerleau a aussi été mandatée pour faire sortir de terre huit de ces établissements nouveau genre. Bien que chaque école soit différente, puits de géothermie, cafés-étudiant, salles de création numérique, ateliers culinaires et certifications environnementales sont au nombre des améliorations prévues dans plusieurs de ces bâtiments, dont les budgets tournent autour de 100 M$. « Ce sont non seulement des projets intéressants, mais il y a également plusieurs autres qui s’en viennent, notamment au niveau primaire », ajoute Pierre Larouche.
Et ce, sans compter les multiples mandats ayant cours à l’échelle municipale, comme les bibliothèques, les centres de transport, les arénas ou les piscines publiques. « En plus de tous ces projets, le Québec sera aussi à pied d’oeuvre pour rénover ses infrastructures existantes, comme les écoles ou les hôpitaux, observe Guillaume Houle, responsable des affaires publiques à l’ACQ. Il mentionne aussi l’enveloppe de 180 milliards de dollars sur 12 ans annoncés cette fois du côté fédéral. « Bien sûr, cela ne touche pas que le Québec, mais une partie de ces sommes sont investies ici. »
École secondaire de Charlesbourg © SQI
Les défis de la croissance
Si, ce ne sont pas les projets qui manquent, la situation actuelle apporte son lot de défis. « Parfois, nous ne soumissionnons pas sur certains appels d’offres, parce que nous ne sommes pas en mesure d’augmenter nos équipes pour travailler sur ces mandats éventuels », explique Pierre Larouche. Un phénomène qui affecte toute l’industrie de la construction, non seulement les professionnels de l’architecture, confirme Guillaume Houle. « Déjà, en 2019, nous avions établi qu’il faudrait 20 000 nouveaux travailleurs pour répondre à la demande sur un horizon de 10 ans. Et la pandémie n’a pas diminué ce besoin de main-d’œuvre, alors que nous atteignons 180 millions d’heures travaillées actuellement. Des chiffres record. » L’industrie de la construction roule donc à plein régime.
« Toutefois, plusieurs solutions ont été mises de l’avant avec l’adoption du Plan d’action pour le secteur de la construction par le Conseil du trésor plus tôt cette année, ajoute aussi Guillaume Houle. Par exemple, un entrepreneur peut maintenant former sur le terrain deux de ses enfants plutôt qu’un seul et certains étudiants peuvent passer leurs examens plus rapidement. Des pistes intéressantes à long terme, mais qui n’élimineront pas la pandémie du jour au lendemain. Former 20 000 nouveaux travailleurs, cela ne se fait pas en criant ciseau. »
Les difficultés d’approvisionnement – et l’explosion du prix des matériaux – compliquent aussi la vie des entrepreneurs en construction. « Avec la pandémie, nous sommes entrés dans une compétition avec le reste du monde pour s’approvisionner. Ce qui a affecté par exemple, la disponibilité de certains matériaux ou a fait gonfler leur prix, précise Guillaume Houle. C’est le cas de l’acier, du bois ou des produits en PVC affectés récemment par la fermeture d’une usine au Texas. Une fluctuation qui a pris de court plusieurs entrepreneurs qui avaient déposé des soumissions avant ces changements et qui ont dû absorber cette hausse. »
« D’ailleurs, certains entrepreneurs sont plus frileux et hésitent à soumissionner sur des appels d’offres publics », observe-t-il. À tel point que les « donneurs d’ouvrage publics sont en perte de vitesse quant à l’intérêt qu’ils suscitent auprès des entrepreneurs et des professionnels du secteur de la construction », selon une étude menée par Raymond Chabot Grant Thornton auprès de quelque 700 répondants et publiée en avril 2021. Un coup de sonde conduit par plusieurs acteurs de l’industrie, dont l’ACQ.
Plus encore, « en raison de l’effervescence actuelle des marchés de la construction, 72 % des entrepreneurs et 82 % des professionnels se permettent d’écarter les donneurs d’ouvrage publics en fonction des conditions qu’ils offrent. Ces derniers concentrent leurs effectifs sur des projets qui les intéressent davantage ou encore auprès de donneurs d’ouvrage qui présentent des conditions favorables », montre aussi l’étude.
« À ce chapitre, différentes solutions se trouvent actuellement sur la table, comme la mise place de mécanismes pour assurer un paiement rapide des entrepreneurs en construction ou des clauses d’ajustement de prix », explique Guillaume Houle. Autant de dossiers à suivre dans les prochaines années, alors que le marché ne semble pas prêt de ralentir.
Photo en page d’accueil : Chantier maison des aînés à Chicoutimi, © Pomerleau