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Villes intelligentes : une question de connexions

Association de la construction du Québec
Actualités de la construction

© Carbonleo
Utilisation de technologies et de données pour améliorer les transports, la sécurité, la transparence, le bilan environnemental : de plus en plus, les municipalités tentent d’augmenter la connaissance de leur milieu pour améliorer la qualité de vie des citoyens. Bienvenue dans l’univers des villes — ou municipalités — intelligentes.

Aux confins des quartiers Outremont, Mile-End, Parc-Extension, Petite-Patrie ainsi que ville Mont-Royal, se dresse maintenant le Campus MIL. Ce nouveau complexe de l’Université de Montréal, à la fine pointe, abrite les facultés des sciences. Par exemple, quand la luminosité dépasse 30 000 lumens en été, les stores se referment pour limiter la chaleur dans les immeubles certifiés LEED. « Les laboratoires comptent plus de 350 hottes. Il faut donc un système intelligent pour que le système de ventilation se mette automatiquement en marche quand on en utilise une », explique Alain Boilard, directeurgénéral des grands projets d’infrastructures à l’Université de Montréal.

Mais surtout, en s’implantant sur le terrain de l’ancienne gare de triage d’Outremont, l’Université de Montréal voulait s’ouvrir à son voisinage. « Nos installations sur la montagne sont peu fréquentées par les gens qui ne sont pas à l’université. Dans le cas du Campus MIL, nous voulions nous assurer que l’installation, le site et les pavillons allaient s’intégrer de la meilleure manière possible dans le tissu urbain avoisinant », indique le directeur général. C’est pourquoi ce projet a été développé en collaboration avec différents acteurs comme la Ville de Montréal et l’arrondissement d’Outremont. De ces échanges est né un véritable quartier, avec parcs, rues, pistes cyclables, ensembles résidentiels et même implantation d’une grappe industrielle technologique autour du MILA, l’institut d’intelligence artificielle affilié à l’UdeM. Une passerelle permet aussi aux résidants de Parc-Extension d’enjamber la voie ferrée pour se rendre plus facilement dans les nouveaux espaces verts de ce secteur qui est en train de prendre forme.

« Dès 2015, nous avons mis sur pied ce qu’on appelle les projets éphémères, en dédiant tout un espace aux activités citoyennes et à l’agriculture urbaine, ajoute Alain Boilard. Nous avons aussi organisé une conférence avec l’astrophysicien Hubert Reeves sur cet espace. » Une façon de créer un lien avec la collectivité avant même la première pelletée de terre.

Même si le campus et son environnement n’ont pas été développés en utilisant la force de l’intelligence artificielle ou la technologie, les données sur la ville auront permis de s’adapter aux besoins de communautés environnantes, précise aussi Alain Boilard. « On parle ici d’un projet touchant la ville intelligente dans ses aspects moins technologiques, c’est-à-dire le fait de s’intégrer correctement dans le tissu urbain tout en réfléchissant au développement de ce secteur à plus long terme. »

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Le campus MIL
© Benjamin Seropian | Gracieuseté Université de Montréal

Un concept qui ratisse large

Cette notion de connexion à la communauté s’inscrit directement dans la définition de la ville intelligente, qui va au-delà de simples questions technologiques, indique Loïc Angot, directeur stratégies durables chez Lemay, une firme d’architecture. « Ce concept est assez large et peut aller de l’implication des citoyens jusqu’aux lampadaires intelligents, en passant par la transparence, lance-t-il. Mais au final, je dirais qu’il s’agit surtout d’une approche intégrée qui permet à la ville d’être durable, résiliente et citoyenne. » Comme pour le campus MIL, le bâtiment devient donc un morceau de cet ensemble, par exemple en émettant le moins de gaz à effet de serre possible. « L’objectif, c’est de créer des milieux de vie durable et, s’il y a de l’intelligence qui s’y greffe, c’est tant mieux. Mais ce n’est pas un but en soi. »

Pour bâtir des quartiers intelligents, c’est-à-dire axés sur le bien-être des citoyens et de la planète, il faut toutefois s’appuyer sur des données. « On ne peut pas contrôler ce qu’on ne mesure pas, estime Loïc Angot. Je crois beaucoup aux indicateurs. Ainsi, grâce aux « big datas », on pourra mieux comprendre la fréquentation des routes, des pistes cyclables, du mobilier urbain, des bornes électriques et jauger avec précision la performance énergétique des bâtiments, cite-t-il en exemple. Certaines villes travaillent également sur un relevé d’arbres, qui sont géolocalisés sur une carte. Cet outil permettra de savoir quelles sont les zones les mieux loties, comment se répartissent les variétés sur leur territoire, etc. » Des informations qui s’avèrent cruciales pour planifier des mesures de verdissement efficaces.

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Loïc Angot, directeur stratégies durables chez Lemay.
© Lemay

Applications multiples

Cette collecte de données peut également avoir une influence sur la conception de quartiers, de développements immobiliers et de bâtiments. Par exemple, grâce à des concepts comme le BIM (Building Information Modeling) et même le CIM (City Information Modeling), on peut mesurer en un coup d’oeil l’effet des différents éléments comme le vent, la neige, la pluie ou le soleil sur les futures constructions, indique Loïc Angot. « Ces outils nous permettent de prendre de meilleures décisions. Ainsi, si on réalise sur les plans qu’une place publique est trop à l’ombre, on peut modifier les bâtiments autour. »

Annie Daniel va encore plus loin. Associée et gestionnaire chez Kiva Design et architecture, cette spécialiste de la gestion immobilière a créé un laboratoire d’intelligence artificielle au sein de sa firme. « Nous travaillons actuellement avec le Nihon Development Group sur un algorithme qui va cartographier les terrains du grand Montréal par rapport aux ventes qui ont eu lieu au cours des dernières années. Cette application nous permettra d’évaluer avec précision la valeur de terrain selon son occupation, si on y construit des appartements haut de gamme plutôt qu’un bâtiment commercial. Cet outil combinera données en temps réel et intelligence artificielle pour aider les promoteurs à faire les meilleurs choix », ajoute-t-elle.

Ces informations peuvent également influencer la conception d’ensembles immobiliers. Par exemple, alors qu’elle a travaillé sur le projet Royalmount alors qu’elle était à l’emploi de la firme Lemay, Annie Daniel aurait aimé pouvoir intégrer de la signalisation intelligente à ses plans, en se connectant directement sur la circulation. « Comme cela, quand notre salle de théâtre ou de cinéma se vide, on peut contrôler les feux pour laisser sortir les gens sans occasionner de bouchons. On pourrait même créer des bretelles d’accès qui sont propres au projet pour alléger le trafic ou tenter de comprendre le comportement des conducteurs, qui pourraient s’arrêter au Royalmount au lieu de rester pris dans la circulation. Un concept malheureusement encore impossible à réaliser pour le moment, faute de réseau internet assez puissant », indique-t-elle.

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Annie Daniel, associée et gestionnaire chez Kiva Design.
© Kiva Design

Des bâtiments qui se connectent

Autre facteur qui pourrait influencer les concepteurs immobiliers : les bâtiments peuvent également se connecter ensemble pour améliorer l’expérience des utilisateurs. Par exemple, les tours du centre-ville pourraient partager leurs informations pour offrir un système de stationnement branché, explique Annie Daniel. « Si c’est complet à la Place Ville-Marie, on pourrait vous diriger vers l’édifice Manuvie ou encore vers un parcomètre. Éventuellement, avec l’implantation de la 5G, on pourrait développer des applications pour savoir où sont les places disponibles à travers Montréal et même les réserver en ligne. »

Autre exemple : celui de boucle énergétique, où les bâtiments se connectent autour d’un système de chauffage. « Si un édifice rejette beaucoup de chaleur parce qu’il a une salle de serveurs, par exemple, on pourrait utiliser ce surplus pour chauffer ses voisins et créer ainsi des quartiers plus efficaces », illustre Loïc Angot. « On pourrait aussi penser à des immeubles refuges en cas d’événements comme une panne électrique », souligne François Bédard, président et fondateur de Plan B Développement, conseils stratégiques en innovation. Il suffirait d’installer, comme dans le bureau montréalais de Lemay, panneaux solaires et dispositifs de réserve d’énergie. Dans la même veine, il serait possible de brancher les bâtiments directement sur les données météorologiques et d’adapter température, ventilation et teinte des fenêtres en fonction de ces éléments, ajoute pour sa part Annie Daniel.

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© Louis Vizet

Conservation de données

Toutefois, pour que les édifices jouent leur rôle au sein de la ville intelligente, il faudrait d’abord s’assurer de conserver les informations qui les concernent. Ce qui est loin d’être toujours le cas, constate Carolyne Filion, gérante Innovation – R et D et projets spéciaux chez Pomerleau. « Actuellement, en construction, on génère une tonne de données, mais c’est plutôt rare qu’elles soient transmises ensuite aux gestionnaires des bâtiments », explique-t-elle.

Par exemple, l’entreprise travaille avec des « jumeaux numériques ». Ainsi, chaque projet est recréé virtuellement dans une version 3D où sont intégrées les informations techniques sur l’immeuble, mais également sur ses équipements, leur entretien, leur durée, etc. Des renseignements qui permettent aussi de connaître avec précision l’empreinte carbone des matériaux ou les émissions en Co2 de l’édifice, ajoute Carolyne Filion. « Souvent, le jumeau numérique s’arrête à la livraison du bâtiment alors que ce serait très utile, notamment pour tout ce qui touche le développement durable, de le conserver. Nous poussons donc pour que ces données soient reprises dans la phase d’exploitation. »

Car pour que les immeubles puissent devenir des acteurs de la municipalité intelligente, ils devront se connecter avec leur environnement et alimenter un système intégré de données. « Éventuellement, on pourrait concevoir une tour non seulement en fonction du terrain sur lequel elle s’érigera, mais en tenant compte de tout ce qui l’entoure, que ce soit son quadrilatère, son quartier ou même la ville », soutient la spécialiste de l’innovation.

Et il ne s’agit là que quelques exemples, puisque ces concepts n’en sont qu’à leurs balbutiements, estime François Bédard. « Nous sommes un peu comme au début d’internet, alors que c’était le début d’un monde nouveau et connecté. Et il est difficile de prédire comment tout ceci se déploiera. » Mais une chose est certaine, plusieurs administrations municipales tentent actuellement d’améliorer leurs infrastructures pour s’adapter à cette réalité. « On parle même de data-ducs, plutôt que d’aqueducs, qui permettront d’alimenter les bâtiments intelligents et la connectivité des municipalités. »

L’avènement de la 5G promet aussi des avancées à ce chapitre. Reste toutefois plusieurs questions à l’éthique et la confidentialité à éclaircir, estiment toutes les sources interviewées pour cet article. Par exemple, la Chine a poussé très loin ces concepts, mais au détriment des droits des citoyens, relate Annie Daniel. C’est pourquoi il faut trouver la juste mesure. « Et surtout, la technologie ne devrait jamais être un but en soi, mais être utilisée pour répondre aux besoins des humains », rappelle Loïc Angot. Une condition sine qua non pour réussir cette transition numérique au profit de tous.