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Mise à niveau de nos bâtiments existants au Québec : un investissement stratégique dans l’avenir

Catherine Guay Catherine Guay
Catherine Guay
Chroniqueuse innovation et développement durable

La conscience environnementale continue de croître, et en 2025 ça ne fait pas exception. Les matériaux durables, les pratiques de construction écologiques et efficaces et d’emblée, la mise à niveau de nos bâtiments existants sont au cœur des préoccupations de l’industrie.

Les bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels (CI) représentaient, en 2022, 32 % de l’énergie finale du Québec (14 % pour le CI, 18 % pour le résidentiel) et, représentaient 10 % des émissions de GES du Québec. La nouvelle construction ne représente qu’environ 2 % du cadre bâti chaque année. Chaque nouveau bâtiment s’ajoute donc à la consommation énergétique globale et à l’empreinte carbone.

Pourquoi rendre nos bâtiments plus efficaces au Québec ?

Nous avons posé quelques questions à un expert sur le sujet. Fellipe Falluh, P.Eng, LEED AP est président et fondateur de l’entreprise Retrofit Construction, une entreprise de construction spécialisée dans les rénovations énergétiques profondes et vice-président de Bâtiment Passif Québec.

« Le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit. »
Carl Elefante

« Investir dans l’optimisation de l’existant est donc la meilleure approche pour atteindre nos objectifs climatiques », mentionne M. Falluh.

De beaux exemples de projets réalisés sont ceux de la Sucrerie à Sainte-Agathe et la résidence Charron à Pointe-Saint-Charles.

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Sucrerie Sainte-Agathe

Le projet en chiffres

  • Type de projet : Résidentiel, rétrofit énergétique profond, développement
  • Superficie totale : 2 850 pi²
  • Réduction de la consommation énergétique : 75 %
  • Durée des travaux : 1 an
  • Année d’achèvement : 2024
  • Coût total : 700 000 $
  • Coût supplémentaire pour une performance élevée : 70 000 $
  • Certification : En attente, Certifié Net Zero

Résidence Charron

Le projet en chiffres

  • Type de projet : Multilogements, rétrofit énergétique profond, développement
  • Superficie totale : 3 000 pi²
  • Réduction de la consommation énergétique : 65 %
  • Durée des travaux : 2 ans
  • Année d’achèvement : 2023
  • Coût total : 650 000 $ (20 K surcoûts vs Code du bâtiment), 5 % surcoûts/coûts (rénos)
  • Subventions reçues : 18 000 $
  • Certification : Certifié Net Zero Ready
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Ordre d’importance des travaux et stratégies pour assurer une viabilité des projets

Assurer la viabilité des projets de rénovation nécessite une approche globale qui couvre plusieurs aspects, allant de la planification à l’exécution.

La mise à niveau des bâtiments existants implique un ensemble de stratégies et d’étapes qui dépendent en grande partie du type de bâtiment, de son état actuel, de son utilisation et certaines exigences. Il y a différentes approches possibles. Elle peut soit être effectuée de l’intérieur du bâtiment, soit de l’extérieur du bâtiment ou voire une combinaison des deux.

Tout d’abord, chaque projet nécessite une évaluation approfondie, c’est-à-dire une inspection complète afin d’identifier non seulement les bâtiments propices à la rénovation écoénergétique mais également quelles sont les stratégies les plus adaptées à ceux-ci. Cela inclut l’évaluation de la structure, de l’enveloppe, des systèmes électriques, des équipements de plomberie et de chauffage, etc.

Dans cette évaluation, nous faisons référence à l’audit énergétique. Ce dernier fournit des informations précieuses pour planifier une rénovation énergétique et qui sert à évaluer la performance énergétique d’un bâtiment en identifiant les points gaspillage énergétique dans le but de réduire la consommation d’énergie. Il permet de mieux comprendre la façon dont un bâtiment utilise l’énergie, tels que le chauffage, la climatisation, l’éclairage, etc. et de proposer des solutions et recommandations pour optimiser cette consommation.

Cette étape primordiale permettra d’identifier les problèmes potentiels existants. Par la suite, vient l’analyse des besoins. Il faut définir précisément les objectifs du projet. Par exemple, viser une réduction des coûts énergétiques ou encore une modernisation de certains équipements.

L’objectif est d’atteindre un équilibre optimal entre la performance énergétique (provenant de l’audit énergétique), les coûts et la faisabilité technique dans le bâtiment.

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« Les matériaux durables et à faible empreinte de carbone devraient d’abord et avant tout être mis au premier plan dans nos bâtiments au Québec », précise Fellipe Falluh.

Pourquoi ? Tout d’abord, parce que nous utilisons majoritairement l’hydro-électricité. Cette source d’énergie propre a un impact très faible sur le carbone opérationnel (1) et joue un rôle fondamental dans la réduction de l’empreinte, grâce à sa nature propre, renouvelable et sa capacité à réduire la dépendance aux énergies fossiles.

Le combat réel est contre les émissions de carbone et si on veut une réduction rapide des émissions, on doit s’attaquer au carbone intrinsèque (2) qui est celui qui est émis maintenant dans les matériaux de construction.

« Sur 60 ans, le carbone intrinsèque représente en moyenne 50 % de l’empreinte carbone totale des bâtiments commerciaux et institutionnels construits au Québec et alimentés par une énergie faible en carbone », affirme Ben Amor, ingénieur, professeur et directeur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie durable et en écoconception à l’Université de Sherbrooke. Il tire ces chiffres d’un calcul qu’il a effectué à partir de plusieurs articles scientifiques portant sur des analyses du cycle de vie (ACV).

Selon l’Ordre des architectes du Québec (OAQ), avec l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments, la part du carbone opérationnel (1) dans leur empreinte est vouée à diminuer, faisant grimper celle du carbone intrinsèque (2). C’est particulièrement vrai au Québec, où la principale source d’énergie, l’hydroélectricité, émet relativement peu de carbone.

Définitions :
1) Le carbone opérationnel représente la quantité d’émissions de gaz à effets de serre (GES) libérées pendant l’utilisation d’un bâtiment.
2) Le carbone intrinsèque est défini comme les émissions de gaz à effet de serre (GES) libérées pendant l’extraction, le transport, la fabrication, la construction, la démolition et l’élimination d’un matériau ou d’un produit donné.

Dans un esprit de carboneutralité, il est essentiel de considérer l’impact environnemental global des matériaux dans la construction, tout en cherchant des alternatives plus durables et des pratiques de production plus écologiques.

La fabrication des matériaux de construction génère des quantités substantielles d’émissions de gaz à effet de serre, tel que le béton ayant une grande empreinte carbone. En revanche, on peut penser à l’utilisation de matériaux comme le bois qui contribue à réduire ces émissions.

Maintenant que nous comprenons l’impact du carbone intrinsèque, décortiquons en ordre d’importance les travaux de mise à niveau d’un bâtiment existant :

Comme première étape, on travaille l’amélioration de l’enveloppe.
Cette dernière représente l’une des stratégies les plus efficaces pour atteindre une performance énergétique durable Lorsqu’on parle de l’enveloppe, il y a aussi un ordre à respecter. Tout d’abord, on pense à l’étanchéité, par la suite, aux fenêtres performantes (à double ou triple vitrage avec des cadres bien isolés) et finalement vient l’isolation, qui permet de réduire les pertes de chaleur en hiver et de maintenir une température confortable.

Ensuite, il vient l’optimisation des systèmes mécaniques, qui inclut les systèmes de CVAC et les systèmes de chauffage d’eau domestiques. Ce sont ces équipements qui représentent les deux plus gros consommateurs énergétiques. À la suite des interventions sur l’enveloppe, la dimension de ces systèmes peut ainsi être réduite et finalement être plus efficace.

Finalement, il ne faut pas oublier une étape cruciale, soit le suivi de la performance énergétique. Cela inclut de s’assurer que les équipements soient bien installés et de la mise en marche de ceux-ci. Cela assure également que les équipements demeurent efficaces à long terme. Finalement, suivre la consommation énergétique du bâtiment pour s’assurer que les objectifs de durabilité sont atteints est aussi un élément primordial pour assurer l’efficacité des changements effectués.

Les avantages

La mise à niveau des bâtiments existants au Québec afin de les rendre plus efficaces, notamment en matière d’énergie, comporte plusieurs avantages, tant pour le fournisseur d’énergie, pour les occupants du bâtiment ainsi que la société en général.
Parmi ceux-ci, on pense à :

  • La réduction de la consommation énergétique
  • La réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)
  • L‘amélioration du confort et de la santé des occupants
  • Des économies financières à long terme
  • De soutien à l’économie verte
  • L‘augmentation de la valeur immobilière
  • L‘augmentation de la durabilité et la résilience du bâtiment.

En novembre 2023, le ministre de l’Environnement (MELCCFP) présente le projet de loi 41 – Loi sur la performance environnementale des bâtiments et modifiant diverses dispositions en matière de transition énergétique. L’objectif de cette réforme est d’améliorer la performance énergétique des bâtiments au Québec, tout en contribuant à la lutte contre les changements climatiques, notamment en fixant des normes minimales de performance. Les cotes énergétiques des bâtiments auront des avantages indéniables tant pour les aspects environnemental et social qu’économique, tel que la valeur immobilière.

Le futur des rénovations : vers des mises à niveau de masse

Avec le grand bassin de bâtiment existants au Québec, nous devons trouver une façon d’effectuer et d’accélérer la mise à niveau de masse dans cette industrie pleine de potentiel.

D’ailleurs, certaines initiatives et certains projets au Canada en ce sens ont été réalisés ou sont en cours actuellement. Voici deux exemples pertinents :

Selon, l’initiative de recherche transdisciplinaire Reconstruct, à l’échelle mondiale, les bâtiments comptent pour 40 % des émissions de carbone. On estime que 80 % des bâtiments au Canada qui serviront en 2050 existent déjà.

Cette initiative est une collaboration entre des chercheurs universitaires et des laboratoires de recherche qui travaillent avec des partenaires gouvernementaux, industriels et communautaires afin de développer et de mettre en œuvre des solutions pour le déploiement massif de rénovations écoénergétiques en profondeur (RÉP) au Québec et au Canada.

Toujours selon eux, il est largement reconnu que les RÉP constituent une stratégie viable et essentielle pour aider le Canada à atteindre ses objectifs en matière d’émissions de GES; des fonds importants sont alloués actuellement afin d’accélérer leur déploiement à grande échelle.

Les RÉP sont définis comme des améliorations qui réduisent la consommation d’énergie d’un bâtiment de 50 à 70 %.

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Il y a aussi la coopérative d’habitation Sundance (The Sundance Housing). Complétée en 2024, elle est située à Edmonton, en Alberta et elle est un chef de file en matière de logement abordable, de vie communautaire et de responsabilité environnementale depuis plus de 40 ans. Aujourd’hui, Sundance dirige le plus grand projet de rénovation énergétique en profondeur jamais entrepris au Canada. Les priorités dans ce projet se réfèrent à la réduction de la consommation énergétique, de l’atteinte du net zéro émission, de l’augmentation du confort thermique, de la réduction des émissions de GES et de réparer et remplacer l’extérieur du bâtiment.

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Cette rénovation a permis de réduire de 70 à 80 % les besoins énergétiques des 59 logements d’origine de Sundance Housing et d’éliminer le besoin de conduites de gaz. La coopérative a installé des panneaux solaires qui produisent plus de 75 % de la demande énergétique restante. Le reste est acheté auprès de sources renouvelables hors site.

Les incitatifs financiers

Les mécanismes incitatifs sont des éléments clés pour les projets et les entreprises dans la réalisation de projets. Dans le cas de mise à niveau des bâtiments, ces éléments sont indéniables afin de rendre l’attraction de l’investissement, de la réduction des coûts initiaux et d’apporter un encouragement à la l’innovation et la durabilité. Pensons à ceux-ci :

En résumé, les incitatifs financiers servent de leviers face aux engagements financiers, encouragent l’innovation et la durabilité. Ils peuvent ainsi jouer un rôle clé dans la réussite d’un projet, en particulier dans des secteurs à fort potentiel de croissance en valeur.

Saviez-vous que ?
Selon la Banque de développement du Canada (BDC), en moyenne, les PME qui ont rénové leurs bâtiments pour réduire leur consommation d’énergie ont mis 23 mois pour récupérer leur investissement.

Sur son site Web, la Banque du Canada a mis à votre disposition une feuille de route pour la rénovation d’un bâtiment.

Cet article a été rédigé en collaboration avec :

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Crédits photos : Retrofit Construction