L’industrie de la construction accuse un important retard relatif à l’intégration des technologies dans la réalisation des projets. L’implantation du numérique est indispensable à sa mise à niveau, la transformation ayant été adoptée il y a plus de 20 ans dans la majorité des grandes sphères de l’activité économique mondiale. La transition vers l’usage et l’adoption du BIM dans la réalisation des projets privés et publics au Québec, constituera la première étape d’une nouvelle ère.
L’intégration technologique, lorsqu’elle est bien apprivoisée par les utilisateurs, optimise les processus de production. Quelque soit le métier ou la fonction d’entreprise, l’intégration des technologies ou du numérique favorise la rapidité d’exécution et procure une certaine agilité, estime Joseph Faye, directeur des Services corporatifs de l’Association de la construction du Québec. « On le constate dans tous les domaines d’automatisation des procédés. Nous n’avons qu’à penser à la façon dont s’est modernisé l’industrie du bois, ou encore, à l’impression 3D qui fait une entrée en matière prometteuse en construction. »
« Elle permet d’ériger des prototypes d’ouvrages d’art, dont un pont piétonnier en acier signé MX3D surplombant un des innombrables canaux d’Amsterdam. On le voit aussi pour des maisons construites en béton en une journée par un robot imprimante. Vous trouverez des réalisations concrètes à Austin (Texas), Nantes (France) et Moscou notamment. Bienvenue dans le 21e siècle. »
« La qualité spectaculaire de précision de la robotisation observée dans ces exemples nous démontre comment des tâches complexes peuvent être simplifiées, facilitées et rapidement exécutées. L’automatisation et la robotisation peuvent être mis à profit dans l’exécution des projets de construction, spécialement dans un contexte où l’industrie est éprouvée par la pénurie de main-d’oeuvre. À cet égard, la technologie de modélisation, soit le BIM pour Building Information Modeling, qui a fait naître la maquette numérique a considérablement changé la vie des projets de construction. »
« Ce mode virtuel de représentation de bâtiment ou d’ouvrage d’art, qui regroupe toutes les données d’une édification, permet à toutes les parties prenantes d’un projet de construction de collaborer grâce à un partage accru d’informations, de la conception à la construction, sans oublier la gestion du bâtiment une fois occupé », fait valoir Joseph Faye.
Le BIM est un outil et un processus de plus en plus utilisé au sein des métiers du bâtiment, toutes professions confondues. Et pour cause, cette méthodologie s’impose comme le modèle de conception des bâtiments en voie de se démocratiser au sein de tous les projets de construction. Quand tous les représentants de spécialité se réunissent autour d’une même table virtuelle pour concevoir un projet, on réalise des gains. Cela permet de consacrer plus de temps à la conception et moins à l’exécution », analyse-t-il.
« L’intégration technologique, lorsqu’elle est bien apprivoisée par les utilisateurs, optimise les processus de production. »
Joseph Faye, directeur des Services corporatifs de l’ACQ.
© Photographes Commercial
Faire des gains
« Actuellement, les modes de réalisation de projet n’encouragent pas la réalisation intégrée. Pourtant, l’adoption de modes de réalisation plus collaboratifs comme le Processus de conception intégré (PCI) apporterait des gains substantiels pour toutes les parties impliquées dans la réalisation d’un projet. Le mariage entre l’application des principes de conception intégrée et l’usage du BIM constitue sans aucun doute un atout pour l’industrie. »
« La technologie a sa place sur les chantiers de construction. Les systèmes de partage d’information en temps réel lors de l’exécution des travaux sur le site de construction aident également à corriger rapidement un éventuel défaut d’assemblage dès qu’il est constaté par un contremaître ou un superviseur sur un chantier. À l’aide d’une simple photo prise sur téléphone intelligent, l’anomalie est immédiatement communiquée via une plateforme centralisée de partage d’information numérique du site. »
La notification est ainsi directement transmise aux personnes concernées. Un suivi, toujours en temps réel, est aussitôt engagé avec les responsables de la réparation jusqu’à la confirmation du travail terminé.
« Ces fonctions numériques épargnent des pas et des tracas sur un chantier. Elles s’ajoutent à la modélisation pour transformer des casse-tête de recueils d’informations auprès des dizaines d’entrepreneurs spécialisés, dispersés sur d’autres chantiers, pour immédiatement faire connaître des modifications à un plan en cours de projet, ou solutionner sur le champ un devis technique. On perçoit cette évolution dans l’industrie malgré la lenteur de son adoption par toutes les parties. »
« Le potentiel de l’intégration technologique dans la construction est de plus en plus reconnu, mais beaucoup reste à faire pour promouvoir son déploiement contrairement à d’autres secteurs d’activités, comme le domaine manufacturier, où ces pratiques concluantes sont depuis longtemps implantées. Malgré les défis relatifs à la transition numérique et technologique dans l’industrie, nous constatons depuis une décennie, et plus particulièrement depuis les trois dernières années, un vif intérêt de la part des acteurs publics et privés à accroître la performance de l’industrie grâce à l’adoption du numérique », reconnaît Joseph Faye.
Feuille de route
Mais la dynamique va bientôt changer. Le plus important donneur d’ouvrage de l’industrie de la construction, le gouvernement du Québec, a signalé aux entrepreneurs son engouement pour le virage technologique. La Société québécoise des infrastructures empruntera donc cette voie pour la réalisation de ses projets futurs. Une analyse préparée par l’organisme démontre l’ampleur des gains financiers pouvant être obtenus grâce à cette nouvelle synergie d’interactivité. Le mode intégré de production et de partage de données numériques deviendra sous peu une norme d’accès aux contrats publics. « Le BIM en sera la clé de voûte », dit-il.
En effet, le gouvernement du Québec a récemment présenté à l’ACQ une première ébauche de la feuille de route guidant l’adoption de cette nouvelle pratique à être implantée dans l’industrie des projets publics. Déjà, le MTQ comme plusieurs ministères et de grandes municipalités du Québec, dont la métropole et la Capitale Nationale, de grands donneurs d’ouvrage, montrent le pas.
Les entrepreneurs en construction qui désirent soumissionner à des appels d’offres publics, particulièrement pour des chantiers de 50 millions de dollars et plus dans un premier temps, n’auront d’autres choix que de souscrire au BIM s’ils veulent prendre part à l’activité des contrats publics. La même politique entrera en vigueur pour les projets gouvernementaux de 5 M$ et plus d’ici 2024.
Joseph Faye espère que ces objectifs accélèreront l’adhésion des entrepreneurs généraux et spécialisés. Il précise l’importance que la transition vers le numérique s’effectue de manière graduelle. « Les entrepreneurs devront planifier leur virage numérique, faire des investissements en solutions numériques et former leur personnel de façon appropriée. »
Mise en œuvre
C’est l’ingénieur Guy Paquin, directeur général des Stratégies et des projets spéciaux à la Société québécoise des infrastructures (SQI), un organisme public, qui assure la gestion du projet de feuille de route gouvernementale BIM. L’élaboration et le déploiement de cette feuille de route est une action conjointe de six grands donneurs d’ouvrage publics, engageant ainsi clairement le virage BIM dans l’industrie. Ce projet fait partie du plan d’action pour le secteur de la construction dévoilé le 21 mars 2021 par le gouvernement du Québec. Le programme vise à soutenir le virage numérique des entreprises et à moderniser les infrastructures technologiques des donneurs d’ouvrage.
« Cette feuille de route gouvernementale pour le déploiement du BIM dans les projets d’infrastructure publique est une des mesures utilisées pour accroître la productivité dans l’industrie de la construction. L’augmentation de la productivité dans ce secteur d’activité constitue un enjeu partout dans le monde, c’est pourquoi il est impératif d’agir pour favoriser le virage numérique au Québec. Le Gouvernement s’engage ainsi à donner l’exemple, en implantant le BIM dans ses projets d’infrastructure et appels d’offres, le tout selon un calendrier d’adoption à établir pour chaque organisme public », précise Guy Paquin.
Cette initiative a vu le jour avec la collaboration de la SQI et du ministère des Transport du Québec. En effet, les projets concernés par cette feuille de route gouvernementale BIM ne visent pas uniquement les infrastructures de bâtiments, mais toutes infrastructures publiques, y incluant les ouvrages d’art et de génie civil. Cette démarche regroupe à ce jour six grands donneurs d’ouvrage. On compte dans cette première vague outre le MTQ et la SQI qui pilotent le dossier, la Société d’habitation du Québec, les villes de Montréal et de Québec, et Hydro-Québec. Le principal objectif de la feuille de route est d’établir, en collaboration avec l’industrie, la cadence de l’implantation du BIM dans les projets d’infrastructures publiques et d’annoncer à l’industrie de la construction que les donneurs d’ouvrage publics empruntent résolument la voie du virage technologique.
- Pour les exercices 2020-2021 à 2022-2023, le gouvernement consacrera les sommes suivantes au virage numérique du secteur de la construction :
- 25,3 M$ pour soutenir le virage numérique des entreprises du secteur de la construction;
- 9,7 M$ pour l’accélération de la modernisation des infrastructures et des processus technologiques des donneurs d’ouvrage publics;
- 3 M$ pour la préparation et la réalisation d’une feuille de route gouvernementale intégrant le BIM1.
Principaux défis
Maxime Dallaire, responsable du développement expérimental et de la transformation numérique chez Groupe Humaco, une entreprise regroupant des experts de l’optimisation de procédés, salue l’innovation en construction et la visée d’intégration des technologies comme le BIM, l’impression 3D d’outillage sur mesure et la réalité augmentée pour la formation.
« Là où le bât blesse, c’est que la technologie existe déjà. Elle est utilisée dans plusieurs domaines et à plusieurs endroits dans le monde. »
« Notre problème réside dans le fait que les grandes arrivées technologiques dans le secteur de la construction sont depuis longtemps implantées partout, mais pas dans notre industrie. À titre indicatif, la robotisation est omniprésente dans le monde manufacturier, processus d’ingénierie de fabrication de produits. Elle dessert des chaînes complètes de procédés automatisés », plaide-t-il.
« Notre industrie vit présentement un important choc technologique et générationnel. Étant une industrie reconnue conservatrice, le retard technologique qu’elle accumule depuis des années est devenu problématique. Le changement accéléré et draconien des méthodes et outils de travail devient de plus en plus obligatoire pour assurer la viabilité des entreprises à moyen terme. Le virage numérique devient essentiel. Et qui dit virage numérique dit nouvelles compétences multidisciplinaires. Elles font appel à l’évolution et à la diversité de l’expertise. »
« Il faudra importer ces emplois. Mieux encore, établir une vision d’industrie et s’assurer que la stratégie d’organisation des entreprises de construction suit rigoureusement cette direction. On ne peut faire adopter l’infonuagique à quiconque persiste à utiliser l’imprimé. Par exemple si le personnel de chantiers ne voit pas l’utilité de consulter un plan numérisé sur tablette, c’est la globalité du changement qui est entravé. »
« Le changement accéléré et draconien des méthodes et outils de travail devient de plus en plus obligatoire pour assurer la viabilité des entreprises à moyen terme. Le virage numérique devient essentiel. »
Maxime Dallaire, responsable du développement expérimental et de la transformation numérique chez Groupe Humaco.
© Groupe Humaco
La voie du ROI
Pour rendre la conversion possible, il faut cesser de parler uniquement de budgets d’acquisition de ressources et d’équipements, des expressions qui peuvent anéantir les efforts de changements. En lieu et place parlons de retour sur investissement (ROI). Exposer le rendement que procure l’innovation permet d’assurer l’optimisation de la productivité que fournit avec le temps le virage numérique. L’innovation n’est pas dispendieuse, l’urgence et le statu quo le sont, conclut l’ingénieur en R-D Maxime Dallaire.
1 Référence :
Virage numérique dans l’industrie de la construction – Le gouvernement se dote d’une solide feuille de route