L’objectif de la modernisation de la loi R-20 est de se doter d’une industrie plus productive, efficiente et attractive afin de pouvoir répondre à la demande de plus en plus élevée en infrastructures tout en palliant au besoin criant de travailleurs sur les chantiers.
La complexité de sa réglementation qui n’a subi aucune modification significative depuis plus de 30 ans a généré plusieurs barrières et ne répond plus au contexte socioéconomique d’aujourd’hui. En effet, l’étude réalisée par la firme AppEco dévoile que la productivité dans le secteur de la construction au Québec en 2021 accusait un retard de 13 % avec ses voisins ontariens. Les résultats obtenus exposent de multiples facteurs en cause, tels que le cloisonnement des métiers, les restrictions à la mobilité de la main-d’œuvre ainsi que les défis reliés à formation des travailleurs.

L’efficience dans l’organisation du travail pour accroître la productivité
Le ministre du Travail, Jean Boulet, annonçait en mai dernier que la réforme de l’industrie de la construction passerait par un décloisonnement des métiers dans un souci d’efficacité organisationnelle. Dans cette vague de changement, l’industrie de la construction au Québec a été largement comparée avec les autres provinces canadiennes, dont nos voisins ontariens. En fait, l’industrie au Québec, telle qu’on l’a toujours connue, comprend 24 métiers distincts alors que l’Ontario n’en a que 7.
Un règlement statique
Accroître les connaissances et diversifier les tâches des salariés dans l’industrie seront bénéfiques pour tous et permettront une meilleure efficience dans l’organisation du travail sur les chantiers. Pour ce faire, des changements s’imposent. Or, l’industrie évolue, les techniques de travail sont plus raffinées, de nouveaux outillages font leurs apparitions sur le marché chaque année, mais la réglementation est restée figée en 1975. En effet, le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d’œuvre de l’industrie de la construction n’a pas subi de modifications depuis les 50 dernières années.
Après autant d’années sans changements, il est évident qu’un fossé s’est creusé entre le règlement et la réalité des chantiers. La segmentation des tâches, le manque d’agilité et de dynamisme entre l’exercice des 24 métiers et occupations amènent un ralentissement dans l’organisation du travail, causant un manque d’efficience sur les chantiers de construction. Concrètement, cette situation engendre des coûts en temps et en argent pour l’ensemble des Québécois et Québécoises. D’autre part, selon le dernier sondage de la firme AppEco auprès des entrepreneurs, un assouplissement dans les métiers permettrait d’économiser 10 % des heures travaillées.
L’ACQ à l’action
Désirant continuer de collaborer avec les différentes instances politiques, les partenaires de l’industrie et toutes autres organisations dans la modernisation du secteur de la construction, l’ACQ a jugé qu’il était primordial d’effectuer des consultations auprès des employeurs. En peu de temps, l’équipe des relations de travail de l’ACQ a mobilisé ses membres afin d’obtenir leur avis quant à l’ajout de polyvalence dans les définitions de métiers, ce qui permettrait une plus grande marge de manœuvre dans l’exercice des métiers et du même coup, assurerait d’adopter un concept qui saura s’adapter au dynamisme de l’industrie au fil des années.
C’est plus d’une trentaine de consultations entre employeurs, mais aussi entre associations spécialisées qui se sont déroulées entre juin et juillet derniers confirmant que les entrepreneurs veulent des modifications réglementaires qui sauront suivre l’évolution de l’industrie et éviter de reproduire les mêmes erreurs du passé en adoptant un règlement statique qui relève d’une autre époque. D’ailleurs, l’ACQ salue et remercie les employeurs et les associations spécialisées d’avoir répondu en si grand nombre et continuera de porter le message reçu lors de ces consultations.
Par la suite, les associations patronales et syndicales se sont rencontrées dans le cadre des sous-comités professionnels afin d’exprimer les opinions de leurs membres respectifs, le tout chapeauté par la Commission de la construction du Québec (CCQ). À noter qu’à tout moment dans le processus de consultation, évidemment, le souci de formation et de santé et sécurité quant à l’amélioration de l’efficience dans l’organisation du travail ont été soulevés.

Lever les barrières à la mobilité des travailleurs
Un tel système visant à restreindre la mobilité des travailleurs en accordant une priorité régionale en fonction de leur domicile est unique en Amérique du Nord et son impact sur la productivité est incontestable. Si ce régime bénéficiait d’une certaine légitimité lors de son introduction dans la réglementation dans les années 1970 en raison du contexte économique difficile et des taux de chômage historiquement hauts, il a mal vieilli et n’est tout simplement plus d’actualité aujourd’hui.
Rappelons que les heures travaillées sont passées de 68,1 millions d’heures en 1997 à 210,2 millions d’heures en 20221. L’industrie roule à plein régime et la pénurie de main-d’œuvre ne fait qu’exercer une pression supplémentaire sur l’économie du Québec.
La gestion de chantier
Alors que la validité constitutionnelle de ces clauses est contestée devant les tribunaux, certains travailleurs n’ont présentement pas la possibilité de travailler dans la région de leur choix. Ceux-ci se retrouvent limités à exercer leur métier dans leur région de domicile et les employeurs ne peuvent les embaucher sous peine d’amendes ou de griefs.
Ce manque de flexibilité génère de nombreuses problématiques sur l’organisation du travail et plus encore dans une région où il y a un manque criant de main-d’oeuvre disponible. Cette rigidité dans l’allocation des ressources peut, par conséquent, occasionner des retards dans la livraison du chantier et des coûts supplémentaires.
À titre d’exemple, un salarié domicilié dans la région de Sherbrooke, soit la région des Cantons-de-l’Est, ne peut pas travailler à Valcourt (40 km de Sherbrooke), car Valcourt est situé dans la région de Montréal. Cependant, un salarié domicilié à Mont-Tremblant pourrait très bien travailler à Valcourt à plus de 150 km de chez lui, car sa résidence est située dans la région de Montréal.
Pour rajouter à cet illogisme, selon les ententes conclues avec les différentes provinces, un travailleur ontarien peut travailler partout au Québec. Dès lors, il y a lieu de se demander si ce système à deux vitesses permet de rendre l’industrie plus attrayante pour la jeune relève du Québec ?
La croissance économique
Le statu quo n’est plus une option. Avec plus de 50 % des heures qui sont effectuées dans les secteurs institutionnel et commercial, c’est l’ensemble de la société qui profitera d’une productivité accrue par la réalisation d’un plus grand nombre de projets ayant un impact considérable sur la population, telles la rénovation des écoles ou encore la construction de nouveaux hôpitaux, CHSLD, etc.
Tel que le mentionne M. Marcel Boyer, professeur émérite en économie2 : « La réglementation québécoise limitant la mobilité des travailleurs de la construction est aujourd’hui un frein au développement des régions et du Québec tout entier, vu l’importance du secteur de la construction dans l’économie du Québec. »

La formation professionnelle au cœur de la rétention des travailleurs
Dans un contexte où le gouvernement du Québec souhaite réformer l’industrie de la construction afin de la rendre plus productive et attirante pour la relève, il est indispensable d’entreprendre une révision approfondie de la formation professionnelle dans les métiers de la construction. En effet, les jeunes de 15 à 24 ans sont de moins en moins nombreux sur le marché du travail et se désintéressent des programmes de DEP en construction.
Conséquemment, en 2022, seulement 42 % des certificats de compétences pour des métiers dont les titulaires étaient diplômés ont été émis par la CCQ, soit 5 962 sur un total de 13 405. Qui plus est, selon le plus récent sondage de la CCQ, le plus grand obstacle soulevé par les employeurs est la compétence de la main-d’œuvre dans une proportion de 53 %, tout juste suivi par les difficultés d’embauches (50 %)3.
Les différents axes de travail
Face à ces constats, il est impératif de mettre en place des actions concrètes afin de valoriser notre industrie et d’attirer les jeunes à s’inscrire aux programmes liés aux métiers de la construction. Tout d’abord, l’Alternance travail-études (ATE) demeure une alliée incontestable et permet aux étudiants de mettre rapidement en pratique les apprentissages enseignés en classe tout en recevant une rémunération. Du côté des employeurs, ils peuvent bénéficier de main-d’oeuvre supplémentaire lors de périodes de forts achalandages. De plus, les établissements scolaires peuvent également mieux comprendre les nouvelles méthodes de travail et utiliser des exemples concrets vécus sur le marché du travail.
Convaincus de ses nombreux bénéfices, les employeurs expriment leur volonté d’être des partenaires des CFP dans l’intégration de l’ATE dans les DEP construction. Dès lors, la réussite de ce modèle qui a été éprouvé dans plusieurs autres industries passe par une promotion d’une plus grande envergure.
Dans un deuxième temps, il y a lieu de repenser l’offre de formation qui est nettement insuffisante tout en tenant compte à la fois des besoins régionaux, mais également des besoins de l’industrie à moyen terme. Ainsi donc, diversifier et accroître l’offre de formation tout en repensant les modèles d’apprentissage est une opportunité pour valoriser l’industrie aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre. Les annonces gouvernementales en matière d’ajout de formations accélérées vont justement dans ce sens, où la priorité est de trouver des moyens innovateurs pour former davantage de travailleurs.
Finalement, certains programmes de formation sont désuets et leurs révisions peuvent parfois s’échelonner sur plusieurs années. Cela va à contre-courant de l’objectif visant une meilleure adéquation entre la formation offerte et les réalités de la pratique des métiers.
Avec les nombreux défis de main-d’œuvre qui persistent, une harmonisation plus rapide de la formation à la pratique augmenterait considérablement la motivation des jeunes de la relève tout en favorisant leur rétention.
L’ACQ entend continuer de collaborer avec les différentes instances politiques, partenaires de l’industrie et toutes autres organisations dans la modernisation du secteur de la construction. Soyez assurés qu’elle sera aux premières loges lors du dépôt du projet de loi dans les semaines à venir afin de s’assurer qu’il répond aux enjeux soulevés par les entrepreneurs et qu’il permet un meilleur arrimage avec la réalité vécue sur les chantiers de construction en optimisant davantage sa productivité.
1 CCQ, Statistiques annuelles, tableau A2.
2 Marcel Boyer, Ph.D., O.C., MSRC – Analyse économique relativement à la mobilité des salariés de la construction dans les secteurs institutionnel, commercial et industriel – 29 MARS 2018, p. 64.
3 CCQ, Sondage sur l’anticipation de l’activité et des difficultés de recrutement des employeurs dans l’industrie de la construction, printemps 2023.
Cet article a été écrit en collaboration avec Mély-Xiu Raymond, conseillère principale en relations du travail.