Le 27 octobre 2020, le gouvernement a déposé le projet de loi no 59 visant la réforme du régime de la santé et de la sécurité du travail. Ce projet de loi était attendu depuis longtemps puisqu’il devait corriger un régime désuet qui, au fil du temps, n’avait subi aucune modification depuis les 40 dernières années. Rappelons que ce projet de loi vise la modification des deux lois principales encadrant la santé-sécurité au Québec : la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et que le 6 octobre 2021 entraient en vigueur les premières dispositions de ce nouveau régime.
Volet réparation
Par : Audrey Massicotte, chef de service, gestion des lésions professionnelles et Isabelle Cyr, conseillère sénior en santé et sécurité du travail, direction de la Santé, Sécurité et Mutuelles de prévention
Nous y avons vu une opportunité pour revoir des enjeux importants et l’espoir d’un rééquilibre entre les devoirs des employeurs et des travailleurs. Depuis son entrée en vigueur en 1985, aucune modification n’y avait été apportée et force est de constater que nous sommes plutôt devant une évolution lente du régime. Toutefois, certaines nouveautés sont nées de cette modernisation.
Parmi les objectifs du projet de loi 59, celui-ci prévoit l’évolution du régime afin qu’il s’adapte à la réalité des milieux de travail. La section relative aux maladies professionnelles incluses dans la loi avant la modernisation est retirée et intégrée à même un nouveau Règlement sur les maladies professionnelles. Cela aura pour effet, entre autres de permettre la modification et l’ajout de certaines maladies à même le règlement sans devoir passer par un processus législatif complexe. C’est notamment le cas en ce qui concerne les nouvelles maladies, dont les lésions psychologiques incluant le trouble de stress post-traumatique et les nouvelles maladies oncologiques.
Ajout de comités
Nous verrons naître le Comité scientifique sur les maladies professionnelles. Ce dernier a notamment pour mandat de recenser et d’analyser les recherches et études en matière de maladies professionnelles et d’établir les relations causales entre les maladies, les risques particuliers et les contaminants. Ce sera aussi à la suite des recommandations de ce comité que la Commission utilisera son pouvoir de modifier le Règlement et ainsi elle ajoutera de nouvelles maladies. Pour ce qui est des nouvelles lésions oncologiques, le Comité sur les maladies oncologiques aura un mandat similaire au Comité scientifique sur les maladies professionnelles. Toutefois, il agira davantage dans la reconnaissance, l’identification et la détermination du lien entre la maladie et les caractéristiques ou risques particuliers du travail.
Retour au travail
L’objectif principal des nouvelles dispositions s’oriente vers le maintien du lien d’emploi et un retour prompt et durable chez l’employeur. À cela s’ajoute également un devoir d’accommodement, devoir qui incombera à l’ensemble des acteurs (employeur, travailleur, CNESST, syndicat, etc.) relativement au dossier de lésion professionnelle.
Le droit de l’employeur de réintégrer le travailleur accidenté dans un poste en assignation temporaire est maintenu. Cependant, il y a un ombrage à cet outil essentiel de la gestion de ses lésions professionnelles : le processus encadrant le retour au travail en assignation temporaire est plus rigide. On exige à l’employeur non seulement d’obtenir l’autorisation du médecin pour réintégrer un travailleur, mais aussi que l’autorisation soit consignée sur un formulaire préétabli par la Commission. L’obligation revient à l’employeur alors que l’assignation temporaire est souvent tributaire de la collaboration du travailleur et de son médecin. Certains médecins refusent de remplir le formulaire et indiquent le retour au travail directement sur le rapport médical. Il sera donc primordial pour l’employeur de maintenir et de renforcer ces bonnes pratiques. Assurer la remise du formulaire prescrit pour chacune des visites médicales, effectuer un suivi assidu auprès du travailleur et même l’impliquer dans une démarche de collaboration.
De nouvelles mesures sont ajoutées afin de favoriser la réintégration avant la consolidation de la lésion. La Commission pourra offrir au travailleur des mesures de réadaptation qui pourraient favoriser sa guérison et sa réadaptation dès la survenance de la lésion. Les aides techniques comme les gants chauffants, les adaptations d’outils seront attribuées au travailleur dès qu’elles seront jugées utiles à son retour en emploi, et ce même si les séquelles sont temporaires. La Commission a maintenant le pouvoir d’être proactive et de prévoir un plan de retour progressif au travail. Cette possibilité de réadaptation avant guérison pourra avoir un effet très positif en réduisant la chronicité des lésions et en diminuant le temps de guérison. Chose certaine, la pratique sera déterminante quant à l’application de ces nouvelles méthodes et nous resterons ouverts, à l’affût, et collaborerons avec la CNESST afin que ces nouvelles mesures puissent permettre un retour rapide de nos travailleurs en emploi.
Une fois les séquelles permanentes connues, le travailleur bénéficie de mesures favorisant sa réintégration en emploi. Avant la modernisation, l’employeur pouvait avoir à collaborer à cette démarche, mais dorénavant l’employeur doit offrir une collaboration active à la recherche de solutions permettant le retour au travail. Indépendamment de la collaboration de l’employeur, la Commission pourra conclure à une capacité à occuper un emploi convenable chez l’employeur. À défaut de réintégrer le travailleur à la suite d’une décision de capacité, la Commission pourra émettre une sanction administrative et pécuniaire pouvant aller jusqu’à l’équivalent d’une année d’indemnités.
Obligations et délais
Les nouvelles dispositions intègrent la notion d’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur reconnu par la jurisprudence et prévue par la Charte des droits et libertés de la personne. Ce devoir entraîne l’obligation de l’employeur de participer au processus de réadaptation après guérison et de réintégrer le travailleur, même si le droit de retour au travail est échu. Il s’agit d’un fardeau important pour l’employeur puisque celui-ci sera présumé être en mesure de réintégrer le travailleur et à défaut, il lui reviendra de démontrer que la réintégration du travailleur représente une contrainte excessive pour l’organisation.
Les délais administratifs sont considérables et entraînent des coûts importants. La revue des dispositions relatives aux contestations pourra réduire certains délais actuels de traitement. Le Bureau d’évaluation médicale, l’organisme indépendant qui a pour fonction d’agir à titre d’arbitre médical lors de désaccord entre le médecin mandaté par l’employeur, a maintenant l’obligation de se prononcer relativement aux séquelles s’il consolide la lésion. Aussi, lorsque le membre du Bureau d’évaluation médicale sera saisi afin de se prononcer sur les traitements, s’il conclut qu’ils ne sont plus nécessaires, il pourra se prononcer relativement à la consolidation de la lésion.
Le délai pour produire une contestation à la Direction de la révision administrative (DRA) passera de 45 jours à 60 jours pour contester auprès du Tribunal administratif du travail (TAT). Certaines contestations pourront être logées, dans un délai de 60 jours, directement auprès du TAT uniquement pour les sujets relatifs au Bureau d’évaluation médicale (BEM), au Comité sur les maladies oncologiques, au Comité sur les maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) et au financement. Notez qu’il ne sera pas possible d’avoir une même contestation à deux paliers différents.
En ce qui concerne les demandes de partages de coûts, concernant l’obération injuste et la notion de handicap préexistant, aucun changement n’a été apporté à la forme actuelle.
En terminant, force est de constater que nous verrons une évolution certaine des concepts énoncés précédemment en fonction de l’application des pouvoirs octroyés à la CNEEST et de l’arrivée de nouveaux règlements, lesquels viendront préciser et encadrer plusieurs notions. Malgré le défi que la modernisation représente, il n’en demeure pas moins qu’une participation active de l’employeur dans la gestion de la santé et sécurité reste la clé du succès.
Volet prévention
Par : Alain Lahaie, chef de service, prévention des lésions professionnelles et Chantal Morin, conseillère support-conseil en santé et sécurité du travail, direction de la Santé, Sécurité et Mutuelles de prévention
Parmi les objectifs en prévention, le projet de loi 59 prévoit l’évolution du régime afin d’adapter les mécanismes de participation des travailleurs de façon plus active à la prévention.
Au fil des prochains paragraphes, nous nous arrêterons sur les principaux éléments des deux secteurs visés soit :
Chantiers de construction
- Le représentant en santé et en sécurité (RSS)
- Le coordonnateur en santé et en sécurité (CSS)
- Le comité de chantier
- Le programme de prévention pour les chantiers de construction
Établissements
- L’agent de liaison
- Le plan d’action
- Le comité de santé et sécurité pour les établissements
- Le représentant en santé et en sécurité (RSS)
Petits chantiers
Pour les chantiers qui occuperont entre 10 et 99 travailleurs au moins un représentant en santé et en sécurité doit être désigné, dès le début des travaux, à la majorité des travailleurs de la construction présents sur le chantier de construction.
Libération du RSS à temps partiel par jour
- De 10 à 24 travailleurs : 1 heure;
- De 25 à 49 travailleurs : 3 heures;
- De 50 à 74 travailleurs : 4 heures;
- De 75 à 99 travailleurs : 6 heures.
Plus grands chantiers
Pour les chantiers de plus de 100 travailleurs ou dont le coût des travaux dépasse 12 millions $, le nombre minimal de représentants en santé et en sécurité est, selon le nombre de travailleurs présents sur le chantier de construction.
Nombre de RSS à temps plein
- De 100 à 199 travailleurs : 1 représentant;
- De 200 à 599 travailleurs : 2 représentants;
- De 600 à 899 travailleurs : 3 représentants;
- De 900 à 1 199 travailleurs : 4 représentants;
- De 1 200 travailleurs et plus : 5 représentants.
Fonctions, formation et actions à prendre
Le RSS aura pour fonctions de faire l’inspection des lieux de travail, de recevoir copie des avis d’accidents et d’enquêter sur les événements, d’identifier les situations qui peuvent être source de danger, de faire les recommandations qu’il juge opportunes, d’assister les travailleurs à l’exercice des droits qu’ils leur sont reconnus, d’accompagner l’inspecteur à l’occasion des visites d’inspection, d’intervenir dans les cas où le travailleur exerce son droit de refus, de porter plainte à la Commission.
Pour la formation du RSS à temps partiel, il est prévu que le RSS doit obtenir une attestation de formation théorique, d’une durée minimale de trois heures, délivrée par la CNESST ou par un organisme reconnu par elle. Le RSS à temps plein doit obtenir une attestation de formation théorique d’une durée minimale de 40 heures délivrée par la CNESST ou par un organisme reconnu par elle. À noter que les coûts liés à l’exécution des fonctions du RSS sont assumés par le maître d’oeuvre (MO).
Le coordonnateur en santé et sécurité (CSS) quant à lui, interviendra sur les chantiers qui occuperont simultanément au moins 100 travailleurs de la construction à un moment des travaux ou dont le coût total des travaux excédera 12 000 000 $, le MO doit, dès le début des travaux, désigner un ou plusieurs CSS. Ce dernier est un cadre sous la responsabilité du MO affecté à plein temps sur un chantier de construction. Il suivra en nombre dans la même proportion que le RSS à temps plein selon le nombre de travailleurs présents sur le chantier. Le CSS doit obtenir une attestation de formation théorique d’une durée minimale de 240 heures délivrée par la Commission ou par un organisme reconnu par elle.
Le CSS a pour fonctions de participer à l’élaboration et à la mise à jour du programme de prévention mis en application sur le chantier de construction, de surveiller la sécurité des travailleurs, la mise en place et le fonctionnement des mécanismes de coordination des activités, d’identifier les situations qui peuvent être source de danger, de faire l’inspection des lieux de travail, de s’assurer que tout travailleur connaît les risques liés à son travail, de recevoir copie des avis d’accidents et d’enquêter sur les événements et d’accompagner l’inspecteur à l’occasion.
Lorsqu’il sera prévu que les activités sur un chantier de construction occuperont simultanément au moins 20 travailleurs de la construction à un moment des travaux, le MO doit former, dès le début des travaux, un comité de chantier. Le membre d’un comité de chantier doit obtenir une attestation de formation théorique d’une durée minimale d’une heure délivrée par la CNESST ou par un organisme reconnu par elle.
Lorsqu’il est prévu que les activités sur un chantier de construction occuperont simultanément au moins 10 travailleurs de la construction, à un moment des travaux, le MO doit, avant le début des travaux, faire en sorte que soit élaboré un programme de prévention. Cette élaboration doit être faite conjointement avec les employeurs.
Le programme de prévention relatif à un chantier de construction a pour objectif d’éliminer à la source même les dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs de la construction. Il doit être conforme aux règlements applicables au chantier de construction et contenir les éléments suivants : l’identification et l’analyse des risques; les mesures et les priorités d’action permettant d’éliminer ou, à défaut, de contrôler les risques identifiés en privilégiant la hiérarchie des mesures de prévention, les mesures de surveillance, d’évaluation, d’entretien et de suivi permettant de s’assurer que les risques identifiés sont éliminés ou contrôlés; l’identification des moyens et des équipements de protection individuelle; les programmes de formation et d’information en matière de santé et de sécurité du travail; l’établissement et la mise à jour d’une liste de matières dangereuses utilisées sur le chantier de construction et le maintien d’un service adéquat de premiers soins pour répondre aux urgences.
Entrée en vigueur
Toutes les dispositions que nous avons énumérées pour le secteur de la construction entreront en vigueur le 1er janvier 2023 sauf :
« Seules les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, telles qu’elles se lisaient avant leur modification ou leur abrogation par la présente loi, continuent de s’appliquer à l’égard des chantiers de construction pour lesquels la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a reçu, avant le 1er janvier 2023, l’avis d’ouverture du chantier prévu à l’article 197 de la LSST. »
Seules les dispositions relatives aux attestations de formation pour les RSS, CSS et comité de chantier entreront en vigueur le 1er janvier 2024.
Pour les établissements, les mécanismes de prévention entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2025. Toutefois, il est prévu que certains mécanismes entrent en vigueur le 6 avril 2022.
Les établissements ayant 20 travailleurs et plus doivent consigner par écrit l’identification et l’analyse des risques pouvant toucher la santé des travailleuses et travailleurs ainsi que de ceux pouvant toucher leur sécurité, mettre en place un comité de santé et de sécurité et désigner au moins un représentant en santé et en sécurité.
Les établissements ayant moins de 20 travailleurs doivent consigner par écrit l’identification des risques pouvant toucher la santé des travailleuses et travailleurs ainsi que de ceux pouvant toucher leur sécurité et désigner un agent de liaison en santé et en sécurité.
En conclusion, le succès de l’intégration des mécanismes de participation des travailleurs à la prévention en chantier et en établissement dépendra du niveau de prise en charge de l’employeur en matière de gestion de la prévention.