© Droxel
L’expansion de l’intelligence artificielle est manifeste et exponentielle. Elle touche à tous les secteurs de notre vie. Dans l’industrie de la construction, elle tarde cependant à s’implanter au pays. Enjeux et défis de l’innovation.
Annie Daniel, associée chez Kiva Design et Architecture, est également présidente de Kiva Technologies. C’est un laboratoire d’intelligence artificielle qui concocte des solutions adaptées à toutes les sphères d’activités. Du drone au robot extérieur qui évalue le progrès du travail sur un chantier, au développement et à l’intégration des technologies d’immotique qui cible la direction automatisée d’un site.
Dans le bâtiment, ces applications englobent la gestion des stationnements, le contrôle des accès et la sécurité des installations en s’étendant à la régie des composants électromécaniques d’une bâtisse. Le premier volet de commandes d’intelligence artificielle, et le plus couramment vu et utilisé dans les tours de bureaux, concerne le déploiement de consoles automatisées d’accueil des visiteurs. Ce dispositif électronique convivial installé au rez-de-chaussée des édifices de bureaux permet de savoir à distance si la personne que l’on attend est arrivée pour l’autoriser à monter.
Un second pan d’interaction, lié principalement à la microgestion cette fois, est destiné aux occupants friands de domotique dans une même tour de bureaux. C’est un environnement d’applications non partagé avec les autres occupants. Ce volet s’adresse à des espaces locatifs privés, désignés par un locataire. Au sein d’une tour intelligente, c’est-à-dire dans un environnement qui interagit déjà de manière autonome avec les systèmes d’intelligence artificielle en place, la connectivité des composantes dévolues à un local précis pourra facilement s’arrimer aux équipements d’ensemble du bâtiment.
Ce lien créera un espace unique centré sur les besoins uniques d’un client en particulier. « On pense entre autres à un laboratoire informatique qui peut avoir des demandes d’air climatisé beaucoup plus poussées qu’un locataire qui possède un bureau de comptables par exemple. On peut également se représenter un local regroupant près de 200 personnes, notamment un centre d’appels, dont les exigences de ventilation et climatisation diffèrent largement en termes de normes de recyclage de l’air », explique Annie Daniel.
Intégration technologique
Une grande variété d’applications technologiques peut se greffer à ces systèmes. Certains locataires vont ainsi arrimer un module intelligent de réceptionniste virtuel à l’équipement pour desservir leur bureau. D’autres vont préférer une appli numérique sécurisée de reconnaissance faciale pour permettre aux employés d’avoir directement accès à des espaces ciblés. Dans le plus simple des cas, on pourra offrir une carte magnétique d’ouverture des portes, comme on le voit couramment dans plusieurs immeubles.
Pour plus de sécurité, il est également possible d’employer une mixité de dispositifs, comme le recours à un logiciel logé dans un téléphone cellulaire d’employé, concordant avec un système biométrique servant à authentifier l’oeil ou la paume de la main pour déverrouiller un accès. « Ces solutions existent déjà. Nous pouvons les bâtir en fonction de critères personnellement établis par un client avec l’aide d’un laboratoire d’intelligence artificielle, ou proposer des plateformes existantes répondant à des attentes généralement courantes dans l’industrie », poursuit Mme Daniel.
Développement effréné
Ces systèmes d’intelligence artificielle conçus pour les nouveaux édifices, ou adaptés aux anciens immeubles, fournissent aux grands propriétaires immobiliers des outils efficaces de gestion, notamment au chapitre de la réduction de la consommation d’énergie. Des algorithmes qui prennent en charge la régulation de la ventilation et de la température ambiante, qui règlent automatiquement le degré de luminescence de l’éclairage et qui veillent à faire un usage plus responsable de l’eau. À cet égard, les grandes villes américaines et plus spécifiquement européennes ont une nette avance sur nous. Le Canada tout comme le Québec tirent de l’arrière sur le plan de l’intégration de la fonction numérique dans ses grands bâtiments.
Certes les traumatismes que les grands propriétaires et locataires fonciers, au même titre que les occupants des tours, ont subi aux États-Unis et dans des immeubles du vieux continent au cours des deux dernières décennies, expliquent la fermeté de l’engagement. Les mesures de contrôle automatisées renforcent le sentiment de sécurité de toutes les personnes qui fréquentent ces aires de vie. Mais d’autres considérations valorisent l’investissement dans l’intelligence artificielle. La réduction de l’impressionnant coût de la facture énergétique nourrit cette pérennité d’implantation.
Compétition planétaire
C’est pour toutes ces raisons que la technologie, et l’intelligence artificielle qui sous-tend son développement, progresse à un rythme effréné dans le bâtiment d’aujourd’hui. « Les architectes qui ont conçu les plans et devis de tours de bureaux avant leur mise en chantier, il y a à peine cinq années, constatent que l’évolution des infrastructures d’intelligence artificielle va trop vite, que les procédés deviennent rapidement désuets, que la R et D désarçonne tout le monde », souligne Annie Daniel.
À titre indicatif, les fonctionnalités de la technologie de précision de reconnaissance faciale, des dispositifs servant à assurer la sécurité des individus et des immeubles, encaissent des transformations vertigineuses régulièrement. Qu’à cela ne tienne, les plateformes de gestion numérique peuvent être facilement et en tout temps mises à niveau, particulièrement si l’on fait preuve de constance d’investissement. C’est le prix à payer pour demeurer à l’affût de la dernière tendance et faire des gains d’efficacité.
Or, c’est ici que le bât blesse chez les grands entrepreneurs immobiliers, estime Annie Daniel. Des administrateurs de grands parcs immobiliers craignent ces coûts récurrents. Cette situation freine directement l’essor de la domotique avancée dans le marché du bâtiment commercial et institutionnel au Québec et au Canada. Elle désavantage notre positionnement sur une scène internationale à l’encoche nettement supérieure en termes de modernisation d’équipements et d’efficience de rendement.
Algorithmes d’avant-garde
Les applications de l’intelligence artificielle surpassent ainsi les fondements de la sécurité physique des bâtiments et du confort des occupants. Carl Jutras, propriétaire et fondateur d’Habitations Jutras, gestionnaire de projets de chantiers immobiliers locatifs et résidentiels, en témoigne. Reconnaissant que le secteur de la construction accuse un certain retard dans l’informatisation de spécialité, il est un des rares entrepreneurs à investir dans des produits issus de startups d’intelligence artificielle innovantes qui aiguisent l’appétit mondial.
Sa compagnie investit en outre dans des logiciels extrêmement évolués d’aide à la vente, de prospection de clientèles et de gestion de projets. « Nous misons sur des algorithmes avant-gardistes de développement de marché, un atout négligé par les concurrents de l’industrie. Cette facette sous-exploitée fournit à l’entreprise une longueur d’avance indiscutable. La révolution permet notamment d’analyser des processus de vente et de quantifier les probabilités qu’un interlocuteur utilise véritablement nos services. C’est un système qui nous aide à trouver plus rapidement, et sans gaspillage d’efforts, des acheteurs confirmés ou des locateurs potentiels approuvés pour chacune de nos mises en chantier. »
« Ces logiciels décryptent mieux que le cerveau humain les données d’une communication. Ils aiguillent l’interactivité avec le client. Le procédé étudie le vocabulaire d’un échange téléphonique aussi bien que la syntaxe dans un courriel, tout en prenant compte des délais d’intervention de l’interlocuteur. L’opération qui s’effectue à la vitesse de la lumière contribue à dresser le profil et l’intention parfois inavouée de la personne avec qui on discute. Sans équivoque, l’intelligence artificielle aide à éclairer l’approche ou, si vous préférez, à déterminer avec justesse la suite à donner à une démarche entreprise par notre équipe de vente. Les résultats sont probants, le volume de clôture de transactions qui en découle en témoigne. Mais il faut d’abord investir », dira Carl Jutras.
Qu’en est-il du milieu de la construction ?
© Droxel
C’est précisément pour cette question d’investissement que l’intelligence artificielle dans sa vision animée de robotique sur les chantiers reste utopique. Bien que le phénomène puisse riposter au constat de pénurie de main-d’oeuvre observée dans les métiers de la construction, il convient d’affirmer que la portée de l’investissement des patrons serait colossale. Ce déploiement exigerait aussi des entrepreneurs l’embauche d’un personnel spécialisé, dont des opérateurs et des employés de soutien étrangers à la construction, appelés à former des tandems travailleur/machine, dans une phase primaire d’implantation, un concept cependant moins évolué que les attentes projetées par l’industrie.
Cet avis est partagé par François Simard, cofondateur et directeur général de la compagnie Omnirobotic, un développeur québécois de plateformes d’intelligence artificielle pour les entreprises manufacturières. Cette société apprend à des machines à devenir intelligentes. « Nous créons des procédés technologiques qui aident des robots à voir, planifier et exécuter des tâches avec plus de régularité, de rapidité et de précision qu’un ouvrier d’usine, sur des objets qu’ils n’ont jamais vus auparavant. Or, ce sont principalement des robots à six axes, comme ceux présents dans l’industrie de la production et de l’assemblage automobile. En somme, des robots montés sur pivot se déplaçant autour d’un produit. On pourrait également les imaginer mobiles au sein d’autres applications, placés sur un rail notamment pour convenir à des plans d’élévations verticales et horizontales. Mais cette dernière solution n’a pas été exigée à ce jour par des clients. »
« Nous avons cependant fabriqué pour l’industrie de la construction, un peintre de substrats automatisé pour structures d’acier. On nous a demandé également un robot vaporisateur d’enduits ignifuges pour structures métalliques d’immeubles préfabriqués. Ces technologies existent déjà, dit François Simard. Elles peuvent facilement être robotisées à l’aide de notre plateforme. Ces robots qui fonctionnent à l’abri des intempéries sont pour l’instant des machines fixes, rivées à des planchers d’usines clientes. »
Travail inlassable
Le robot a certes un avantage sur l’être humain, car il effectue avec constance un travail soigné, peu importe l’heure du jour ou de la nuit. Il pourrait tout aussi bien transporter, poser et visser du placoplâtre que tirer des joints. Et, pourquoi pas, devenir maçon. « Mais il faut développer la technologie pour permettre à un robot d’apprendre ces comportements, à identifier la présence d’un colombage sur lequel appuyer et visser un panneau de gypse par exemple et faire en sorte que ces automates soient mobiles ou facilement déplaçables sur des chantiers. » Encore faudrait-il qu’un intérêt émane de l’industrie de la construction pour que les chercheurs d’universités y travaillent avec acharnement, à l’instar d’Omnirobotic.
Quelques exemples de technologies à appliquer sur vos chantiers
Malgré le fait qu’ils soient encore rares sur les chantiers, certains robots et certaines technologies sont déjà disponibles et prêts à faciliter la tâche des travailleurs et des entrepreneurs.
Des robots qui grimpent à la verticale !
© ICM
International Climbing Machines (ICM), une entreprise située à Ithaca dans l’état de New York, fabrique de petits robots télécommandés conçus pour évoluer sur pratiquement toutes les surfaces verticales, arrondies ou inversées afin d’accomplir des tâches difficiles qui, sinon, pourraient mettre les êtres humains en danger.
Grâce à un joint de roulement breveté, les robots d’International Climbing Machines défient apparemment la gravité en escaladant murs et plafonds et en franchissant des obstacles tels que têtes de boulons, soudures et plaques sur des surfaces inégales ou fortement profilées sans perdre leur adhérence. Malgré leur petite taille et leur poids modeste (20 kg ou moins), les robots peuvent supporter une lourde charge utile (jusqu’à 23 kg), y compris des équipements interchangeables tels que caméras, jauges,équipements de contrôle par ultrasons, systèmes pénétrants radar, applicateurs de peinture / revêtement / adhésif, lasers, brosses, outils de coupe, abrasifs ou agents de projection.
Ces robots sont parfaitement adaptés pour traverser des surfaces difficiles ou dangereuses pour les humains, telles que ponts et ponts autoroutiers, réservoirs et tours, navires et avions, éoliennes, barrages et usines / raffineries. En conséquence, ils empêchent les humains de travailler dans des espaces restreints ou à des hauteurs dangereuses, ou d’être exposés à des toxines environnementales. Par exemple, ils peuvent inspecter ou réparer de manière non destructive les aubes d’éoliennes sans avoir à retirer les aubes de leurs tours (gauche et centre).
Pour garantir des performances élevées à faible masse, une partie importante des composants structurels des robots est fabriquée en composite renforcé de fibres de carbone à rigidité et résistance élevées, produit par DragonPlate ™.
Spot-R Clip de Triax
Cette entreprise de Norwalk au Connecticut propose un appareil portable qui détecte les chutes sur le chantier, en identifiant qui, où et la distance de chute, améliore le temps de réponse aux blessures jusqu’à 91 %. En activant l’alerte bouton-poussoir au bas du clip, les travailleurs peuvent signaler les dangers du chantier ou signaler la détresse aux superviseurs désignés de n’importe où sur place. Et dans les situations qui nécessitent une évacuation, le personnel autorisé peut déclencher des alarmes d’urgence émises par l’appareil de chaque travailleur. Le clip est connecté à un tableau de bord via un réseau permettant la collecte et la transmission en temps réel des données d’activité. Le réseau Spot-r n’a pas besoin d’une couverture WiFi ou GPS pour fonctionner, un avantage clé par rapport à d’autres solutions qui maximise la visibilité sur place et assure la vie privée des travailleurs hors site.
Un robot poseur de plaques de plâtre
© AIST
L’Advanced Institute of Industrial Technology (AIST) située à Tokyo au Japon a quant à elle fabriqué un prototype de robot humanoïde, HRP-5P, destiné à effectuer un travail lourd ou un travail dans des environnements dangereux.
Ce robot de 182 cm et 101 kg est capable de transporter environ 13 kilogrammes de charge utile et il a été conçu pour fonctionner de manière autonome grâce à ses capteurs qui lui permettent de se déplacer dans son environnement sans heurter les obstacles qui se dressent sur son passage.
Afin de démontrer ses talents, ses concepteurs lui ont fait saisir, placer et visser des panneaux de plâtre sur un mur. HRP-5P fait-il partie de la solution à la pénurie de main-d’oeuvre dans l’industrie ? À suivre.
© page d’accueil : ICM