Cruelles ou non, l'entreprise doit payer ses amendes

Cruelles ou non, l'entreprise doit payer ses amendes
Catherine Blanchard, avocate
Catherine Blanchard, avocate
Chroniqueur Juridique

Depuis quelques années, plusieurs entrepreneurs en construction se sont vu imposer des amendes de plusieurs milliers de dollars à la suite d’infractions à Loi sur la santé et la sécurité du travail ou la Loi sur le bâtiment, notamment. Pour certains, ces amendes ont eu un impact majeur sur les finances de l’entreprise.

Dans une décision d’octobre 2020, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la portée de la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités garantie à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) et plus particulièrement sur l’impact de cette protection sur les personnes morales dans le contexte de l’imposition d’une amende.

L’arrêt tranche et la Cour suprême conclut que les personnes morales ne peuvent bénéficier du droit garanti à cet article à l’encontre des traitements ou peines cruels et inusités.

En 2016, la compagnie 9147-0732 Québec inc. est déclarée coupable d’avoir contrevenu à l’article 46 de la Loi sur le bâtiment. Suivant cette Loi, la compagnie était alors passible d’une amende minimale obligatoire qui s’élevait à 30 843 $.

La compagnie a contesté la constitutionnalité de l’amende minimale obligatoire prévue à la Loi sur le bâtiment en plaidant qu’elle contrevenait à l’article 12 de la Charte, plaidant notamment qu’elle pouvait rendre précaire sa santé financière.

La Cour du Québec et la Cour supérieure ont rejeté l’argument et ont statué que les personnes morales ne peuvent bénéficier de la protection prévue à l’article 12 de la Charte. Les juges ont successivement conclu que l’article a pour objectif la protection de la dignité humaine, une notion liée aux personnes physiques. 

La Cour d’appel a accueilli l’appel en infirmant la décision et a conclu que l’article 12 de la Charte s’appliquait aux personnes morales. Les juges de la Cour d’appel ont ainsi conclu que le fait que la notion soit normalement liée aux personnes physiques ne constitue pas un « obstacle insurmontable empêchant d’étendre la protection qu’offre l’article 12 à une personne morale ou une organisation ».

À leur tour, les juges de la Cour suprême ont plutôt suivi le courant initial voulant que la protection donnée à l’article 12 ne soit pas applicable aux personnes morales, notamment puisque la jurisprudence antérieure traite abondamment de la notion de dignité humaine.

En référant au mot « cruel » contenu à l’article 12, la Cour suprême conclut par ailleurs qu’il s’agit d’un mot s’appliquant à des humains, plutôt « qu’à des objets inanimés ou à des entités juridiques telles les personnes morales ».

Le fait qu’une personne physique puisse subir le contrecoup d’une peine imposée à une personne morale n’est également pas suffisant pour que l’article 12 de la Charte puisse trouver application.

En somme, cette décision représente la dernière étape dans cette série judiciaire. Force est de constater qu’en l’absence d’arguments juridiques innovateurs permettant de renverser la vapeur, les entreprises devront assumer le contrecoup de l’imposition de telles amendes.

Notez qu’il est possible pour une compagnie de passer une entente de paiement avec le Bureau des infractions et amendes après avoir été déclarée coupable d’une infraction pénale. Le paiement de l’amende peut alors s’échelonner sur 24 mois si les circonstances le justifient.

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