Mettre en demeure au préalable : à ne pas négliger

Mettre en demeure au préalable : à ne pas négliger
Olivier Alepins, avocat
Olivier Alepins, avocat
Chroniqueur Juridique

En début d’année 2022, la Cour supérieure a confirmé un principe déjà bien établi dans notre droit québécois, à savoir la nécessité de mettre en demeure son cocontractant avant de corriger les travaux mal exécutés par ce dernier et de le poursuivre en dommages1.

En effet, la Coopérative de solidarité en habitation Carpe Diem (« Coop ») s’est fait rappeler ce principe à ses dépens, voyant sa réclamation rejetée en totalité face à l’entreprise C.F.G. Construction Inc. (« CFG »).

Le projet dont il est question consiste en 2 volets, à savoir la démolition de l’église Sainte-Bernadette-Soubirous située dans le secteur Lauzon à Lévis, puis la construction d’un ensemble d’habitations, propriété de la Coop.

CFG est l’entrepreneur retenu afin de s’occuper de la portion démolition de l’immeuble existant, complétant ses opérations de broyage et de concassage de béton et de maçonnerie vers la fin du mois de mars 2018. De cette façon, il était prévu d’enchaîner avec la construction du nouveau bâtiment, mandat qui fut confié par la Coop à l’entreprise Béland et Lapointe. Cette dernière a donc envoyé dès les premiers jours d’avril 2018 son sous-traitant en excavation, lequel a été surpris de constater bon nombre de matériaux indésirables enfouis dans le sol : barres d’armature, briques, terracotta, morceaux de bois, tuyaux de fonte. En vertu des documents contractuels, la Coop considère que ces éléments n’auraient pas dû s’y retrouver à la suite de la fin des travaux de CFG quelques jours plus tôt.

De son côté, CFG ne considère pas avoir été fautive dans son exécution, notamment puisqu’elle a respecté les Lignes directrices d’Environnement Québec concernant les matières résiduelles provenant de travaux de construction et de démolition, qui prévoient un plafond de 1 % d’impuretés.

Cet argument soulevé par CFG n’a pas convaincu la Cour, cette dernière indiquant qu’on ne peut pas éviter de respecter des exigences contractuelles claires en se basant sur ces Lignes directrices. C’est ainsi qu’à la suite d’une analyse approfondie, le Tribunal en est venu à la conclusion que CFG n’a pas correctement exécuté ses travaux, eu égard aux exigences prévues aux documents contractuels.

Néanmoins, le Tribunal a été ensuite amené à se pencher sur l’autre question principale de ce litige : CFG a-t-elle été mise en demeure ?

Vers le 31 mars, CFG croyait avoir terminé ses travaux lorsqu’elle a quitté le chantier, surtout qu’elle venait de corriger sur-le-champ des déficiences mineures  identifiées quelques jours plus tôt.

Ainsi, bien que le constat des manquements importants de CFG ait eu lieu le 3 avril par l’entrepreneur en excavation, ce n’est que le 10 avril que CFG en a été informée. Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, il apparaît clair qu’il n’a jamais été dans l’intention de la Coop d’offrir à CFG la possibilité de corriger son exécution fautive. En effet, la possibilité de démobiliser l’entrepreneur général maintenant présent au chantier pour la construction du nouveau bâtiment n’a pas été considérée. La liste des déficiences envoyées à CFG le 10 avril indiquant que les travaux correctifs seraient exécutés par ce nouvel entrepreneur aux frais de CFG ne lui donnait pas l’option de corriger elle-même les problèmes.

De l’avis de la Cour, CFG n’était pas dans une situation où elle pouvait être considérée en demeure de plein de droit. Par exemple, l’argument de l’urgence a été rejeté, tout comme celui de la perte de confiance envers son cocontractant. Le juge ne s’est également pas rangé à l’argument selon lequel CFG aurait clairement manifesté son désir de ne pas corriger son exécution, cette dernière ne s’étant contentée que de signifier son désaccord avec les déficiences soulevées par les professionnels.

Le recours de la Coop qui réclamait 496 650,28 $ a donc été rejeté pour cette raison et de plus, elle a tout de même dû rembourser à CFG le solde qui demeurait impayé de 82 373,97 $ pour ses travaux.

Par conséquent
Il est à retenir que bien que la Cour ait clairement considéré que CFG a été fautive dans l’exécution de son mandat, elle ne peut être tenue de rembourser les frais engendrés pour corriger les manquements, car elle n’a pas été dûment mise en demeure au préalable et n’a pas eu l’occasion d’y remédier elle-même.

1 CFG Construction inc. c. Coopérative de solidarité en habitation Carpe Diem, 2022 QCCS 146.

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