Juridique

L’évolution du concept de « maître d’œuvre » d’un chantier de construction

Robert Delorme Robert Delorme
Robert Delorme, avocat
Chroniqueur juridique

Le concept de maître d’œuvre, tout comme un chantier de construction, progresse selon le développement des décisions des tribunaux. On peut tenter de simplifier l’identification du maître d’œuvre, mais c’est le tribunal qui le fera au moment de traiter un litige.

Le chantier de construction

Au départ, il faut déterminer si les travaux impliquent la création d’un seul ou de plusieurs chantiers de construction.

Le tribunal examinera trois critères : la finalité, le lieu et la durée (quoi, où, quand ?).

Les modifications apportées à la loi n’ont pas modifié ces critères.

Le maître d’œuvre

Ensuite, il s’agit d’identifier le maître d’œuvre.

D’une part, la loi1 fournit la définition suivante :
« Le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux. »

D’autre part, les tribunaux2 réfèrent généralement aux critères suivants :

  • Au départ, on présume que le propriétaire est le maître d’œuvre;
  • On doit pouvoir déterminer le maître d’œuvre dès le début des travaux;
  • On analyse les contrats pour voir s’ils contiennent des indices quant à la maîtrise d’œuvre;
  • On recherche qui (propriétaire ou entrepreneur) assume la prise en charge concrète et réelle de l’exécution de l’ensemble des travaux; et
  • L’approbation, le contrôle ou la surveillance des travaux sont moins importants que la prise en charge de l’exécution des travaux.

Les tribunaux3 ont précisé certains principes importants :

  • Les responsabilités imposées par la loi (LSST ou autres) n’empêchent pas les parties à un contrat (propriétaire et entrepreneur) de conclure une entente précisant qui assumera les obligations d’un maître d’œuvre;
  • Malgré une telle entente, le tribunal recherchera la personne qui, dans les faits, exerce le contrôle concret de la réalisation des travaux à l’égard du chantier particulier;
  • Par exemple, si la clause d’un contrat que prévoit le propriétaire se réserve la faculté d’exécuter une partie des travaux, le propriétaire ne serait qualifié de maître d’œuvre que si les travaux sont essentiels à la finalité de l’œuvre et s’il est prévisible que la clause sera exercée;
  • Par exemple, le propriétaire ne sera pas désigné maître d’œuvre simplement parce que le contrat prévoit qu’il se réserve un pouvoir général d’approbation, de surveillance ou de contrôle; il faudrait que ce pouvoir englobe la vérification de la conformité aux plans et devis; si c’est l’entrepreneur qui vérifie cette conformité, alors c’est l’entrepreneur qui serait désigné maître d’œuvre;
  • Si le propriétaire délègue à un entrepreneur la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux réalisés sur un chantier de construction, l’entrepreneur pourrait être identifié comme étant le maître d’œuvre, sous réserve des dispositions législatives applicables4;
  • Même si le propriétaire délègue à un entrepreneur la responsabilité de l’exécution de l’ensemble des travaux réalisés sur un chantier de construction, le propriétaire doit, en tant qu’employeur, assurer le respect de la réglementation et, en cas d’infraction, il pourra tenter d’être exonéré en démontrant qu’il a manifesté une diligence raisonnable en prenant toutes les mesures visant des éléments sous son contrôle5.

Bref, les clauses d’un contrat peuvent aider un tribunal à déterminer la maîtrise d’œuvre, mais rien n’empêche (pas même un contrat) un tribunal d’analyser la réalité concrète du chantier pour trancher cette question.

1) Article 1 de la Loi sur la santé et de la sécurité du travail.2) Voir les motifs du juge Dalphond au paragraphe 16 de la décision CSST c. Hydro-Québec, 2011 QCCA 1314.3) Consortium MR Canada ltée c. Corporation d’hébergement du Québec 2007 QCCA 1288; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Hydro-Québec 2011 QCCA 1314; Excavation de Chicoutimi inc. c. Municipalité de Longue-Rive 2022 QCCA 1711.4) Article 1373 du Code civil du Québec; l’exécution de cette clause ne doit pas être impossible, prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.5) R. c. Ville de Grand Sudbury, 2023 CSC 28.