Le milieu de la construction connaît, depuis les dernières années, une augmentation des cas de harcèlement psychologique. Lorsque l’employeur manque à ses obligations légales, les répercussions peuvent être multiples. Tour d’horizon.
Le salarié victime d’une telle situation pourrait déposer un grief et demander la tenue d’un arbitrage de grief, à l’issue duquel l’employeur reconnu responsable devrait débourser plusieurs dizaines de milliers de dollars en dommages en faveur de ce salarié.
Le salarié pourrait également devoir s’absenter du travail et produire une réclamation auprès de la CNESST pour lésion psychologique. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre sans précédent, se priver des services d’un salarié génère son propre lot de conséquences indirectes.
La Loi sur les normes du travail prévoit que le salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement. C’est l’employeur qui est responsable de prendre les moyens raisonnables pour prévenir les situations de harcèlement et, lorsque portée à sa connaissance, mettre en place les mesures pour en faire cesser toute manifestation. Pour l’entrepreneur en construction, cette obligation s’étend également à tous les acteurs, sous-traitants ou maître d’œuvre avec lesquels ses salariés seraient appelés à travailler sur les différents chantiers.1
La Loi définit le harcèlement psychologique comme étant une conduite vexatoire qui se manifeste par des comportements, paroles,actes ou gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés par le salarié, qui porte atteinte à sa dignité ou à son intégrité psychologique ou physique et qui entraîne pour lui un milieu de travail néfaste. Des insultes, des moqueries à répétition, de l’assignation à des tâches dégradantes, des situations d’isolement sont toutes des illustrations de situations de harcèlement psychologique.
Une seule conduite jugée suffisamment grave pourrait également constituer du harcèlement.
Devant le Tribunal, le salarié devra démontrer que la situation vécue dans son milieu de travail constitue du harcèlement. Le Tribunal devra adopter une approche objective et éviter de se référer aux perceptions subjectives du salarié pour parvenir à ses conclusions. Il devra donc évaluer la situation en se demandant si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle est l’objet de harcèlement.
Les milieux de travail en construction sont toutefois très distincts des milieux de travail traditionnels et, parfois, plus perméables à des conduites autrement jugées vexatoires.
En définissant la civilité entre collègues de travail, les auteurs Claude D’Aoust, Sylvain Saint-Jean et Gilles Trudeau notaient en 1986 les différences relationnelles selon les milieux de travail : « Un salarié doit coopérer avec ses collègues de travail, il doit être poli avec eux, bref, il doit s’efforcer de maintenir des relations harmonieuses avec eux. Le milieu de travail comme tel doit aussi être pris en considération. […] Comme l’écrivait un arbitre, un hôpital est différent d’un chantier de construction par rapport à la civilité exigée des salariés entre eux. »2
Les tribunaux reconnaissent ainsi qu’ : « [il] n’est pas nécessaire d’être un expert en la matière pour comprendre que le tirage de pipe ou blagues se manifeste différemment entre des employés de bureau et des travailleurs sur un chantier de construction ».3
Des altercations verbales plus corsées pourraient également être considérées comme faisant partie du « cadre normal auquel peut s’attendre un travailleur sur un chantier de construction ».4
Est-ce donc dire que les salariés en construction doivent être plus tolérants ? Les tribunaux posent des limites et nous rappellent que « l’expression de cette culture a des limites et ce, peu importe le milieu de travail, en ce qu’elle doit respecter les lois d’ordre public comme celles qui interdisent le harcèlement psychologique ou encore qui protègent la santé et sécurité des travailleurs. »
Ainsi, « même s’il est connu qu’il faille posséder une carapace plus épaisse lorsqu’on travaille dans le secteur de la construction, il faut aussi reconnaître qu’un comportement qui sabote le climat de travail et provoque ainsi une réduction de l’efficacité des salariés en les rendant craintifs ne peut être toléré. »5
En bref, l’entrepreneur en construction doit être vigilant et attentif à l’évolution sociale et jurisprudentielle en matière de harcèlement psychologique et s’assurer d’offrir un milieu de travail sain à ses salariés.
1 British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, para. 17.
2 Bouchard c Aryzta, 2019 CanLII 44293 (QC SAT).
3 Fraternité des policiers et policières de Montréal c SPVM (Ville de Montréal), 2019 CanLII 47837 (QC SAT).
4 Goderre et Constructions PG, 2019 QCTAT 4648 (CanLII).
5 Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Hôpital Louis-H.-Lafontaine (CSN) et Institut universitaire en santé mentale de Montréal, 2014 CanLII 63532 (QC SAT).