Le paiement sous toutes ses formes

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Vous avez signé un contrat avec un client et malgré des clauses contractuelles claires et des délais de paiement précis, ceux-ci tardent à venir. Quels sont vos recours pour recevoir les sommes qui vous sont dues ?

Le recouvrement à l'amiable

Il existe différentes façons de réclamer les sommes impayées. Le Code de procédure civile accorde une grande importance aux modes privés de règlement des différends tels que la médiation, l’arbitrage et la négociation. Il est donc recommandé d’entamer un dialogue ouvert en communiquant d’abord directement avec votre client pour connaître les raisons de son retard. Assurez-vous également d’avoir une politique claire de paiement et de recouvrement au sein de votre entreprise.

  1. Faites signer un contrat ou un bon de commande complet prévoyant notamment le délai de paiement et les conséquences d’un retard;
  2. Procédez à une facturation immédiate;
  3. Encouragez les modes de paiement faciles à retracer (tels que le paiement par carte de crédit, le transfert électronique, PayPal ou autres);
  4. Organisez votre système de perception;
  5. Effectuez des suivis ponctuels avec le client par téléphone ou en personne;
  6. Suspendez la commande et établissez un échéancier, si la situation le requiert;
  7. Réévaluez votre relation commerciale avec le client.

La mise en demeure est considérée comme une procédure de recouvrement à l’amiable. Elle s’avère toutefois nécessaire préalablement à un recours devant les tribunaux pour deux principales raisons : aviser l’autre partie de ce que l’on attend d’elle et lui permettre de s’exécuter ou de remédier au défaut allégué, ce qui a pour effet de minimiser les dommages découlant de la situation qui donne lieu à la mise en demeure.

La négociation et la médiation

La négociation est à la base de tous les modes de prévention et de règlement des différends. Elle repose sur la communication et la discussion volontaire entre deux ou plusieurs personnes pour régler des différends. Vous pouvez négocier vous-même avec une personne avec qui vous avez un différend ou être représenté, par exemple, par un négociateur professionnel ou un avocat.

Il n'existe aucune règle formelle ou de processus obligatoires à suivre lorsque vous négociez. Toutefois, nos tribunaux ont réitéré à maintes reprises l’importance que revêt la bonne foi dans la conduite d’une négociation efficace. Il importe donc de bien documenter son dossier, dans le cas où une partie ferait entrave à cette obligation phare de notre système juridique. Ainsi, vous déterminez vous-même les règles de négociation et les modalités de votre entente avec l’autre personne. Une fois signée, une entente produit les mêmes effets qu’un contrat.1

Quant à la médiation, elle vous permet de participer activement à la recherche de solutions pour régler votre différend avec l'aide d’une personne neutre, un médiateur. Le médiateur vous aide à communiquer vos besoins et vos intérêts afin que vous en arriviez à une entente satisfaisante pour chaque partie. À l’instar de la négociation, la médiation peut donc se faire en amont de potentielles poursuites judiciaires2.

L'arbitrage

L’arbitrage est un autre un moyen de faire valoir ses droits de manière plus expéditive que par la voie des tribunaux judiciaires. Son utilisation est souvent associée à des réclamations dont les montants sont très importants ou encore lorsque des problématiques techniques complexes sont au coeur des litiges. Pourtant, plusieurs fournisseurs utilisent les clauses d’arbitrage dans leurs contrats afin de régler rapidement et à peu de frais des litiges simples de recouvrement de créances.

Il s’agit de clauses habituellement prévues au contrat des parties, par lesquelles ces dernières s’engagent à soumettre un différend né ou éventuel à la décision d’un ou de plusieurs arbitres, à l’exclusion des tribunaux de droit commun. Il faut garder à l’esprit que le recours à l’arbitrage est facultatif et qu’il est préférable que les parties y adhèrent dès la signature du contrat.

Les parties peuvent convenir des règles de procédure qui leur conviennent, à même le contrat. Celles-ci détermineront, par le biais de la convention d’arbitrage, les pouvoirs de l’arbitre. Le coût de l’arbitrage est aux frais des parties.

Le recouvrement devant les tribunaux civils

Si les autres méthodes de règlement ne fonctionnent pas, il est possible, pour peu que cette avenue n’ait pas été exclue par le recours à l’arbitrage, d’effectuer une réclamation devant la Division des petites créances de la Cour du Québec. Cette Cour entend des causes où une somme d’argent est en litige ainsi que d’autres causes visant l’annulation ou la résiliation d’un contrat, lorsque la valeur du contrat et la somme réclamée n’excèdent pas 15 000 $. Il s’agit d’un tribunal où les gens se représentent eux-mêmes, sans avocat et pour lequel les règles de procédure sont plus simples que celles des autres tribunaux. Pour plusieurs fournisseurs de biens et de services, elle peut s’avérer un outil très intéressant.

Contrairement à une personne physique, une entreprise doit obligatoirement être représentée par un avocat devant les tribunaux civils québécois, à l’exception de la division des petites créances. Le dossier sera entendu par la Cour du Québec si la somme en litige n’excède pas 85 000 $. Autrement, ce sera la Cour supérieure qui aura juridiction pour les litiges plus onéreux ou pour certaines demandes particulières.

L'hypothèque légale

La créance des personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble peut donner lieu à une hypothèque légale. L’hypothèque légale garantit la plus-value donnée à l’immeuble par les travaux, services ou matériaux fournis ou préparés pour ces travaux. Les montants couverts par l’hypothèque légale sont donc limités à cette plus-value.

Une dénonciation est requise lorsqu’une partie n’a pas directement contracté avec le propriétaire. C’est souvent le cas, par exemple, pour les sous-traitants et les fournisseurs. L’objectif est de dénoncer l’existence de son contrat au propriétaire afin que celui-ci puisse retenir des sommes d’argent suffisantes pour couvrir l’exercice potentiel de l’hypothèque légale.

L’hypothèque légale est limitée aux travaux, matériaux et services qui suivent la dénonciation écrite du contrat au propriétaire. Il est donc fortement recommandé de dénoncer le contrat au propriétaire avant le début des travaux, par exemple, dès le contrat octroyé. À défaut de faire cette dénonciation écrite, le droit à l’hypothèque légale sera éteint ou sera limité à la valeur des travaux, matériaux ou services postérieurs à la dénonciation écrite du contrat au propriétaire.

Le cautionnement

À quoi sert le cautionnement ? Il a pour but d’assurer au client/donneur d’ouvrage la réalisation et l’exécution des obligations des entrepreneurs et/ou des sous-traitants ainsi que, sous certaines conditions, le paiement des sous-traitants et fournisseurs. Ces cautionnements sont exigés par le donneur d’ouvrage au moment de l’octroi du contrat. Ils sont fournis par l’entrepreneur général ou le sous-traitant, lorsque requis par l’entrepreneur général, par l’entremise de leur compagnie de cautionnement.

En matière de protection de créance, les trois principaux sont le cautionnement de soumission, le cautionnement pour gages, main-d’oeuvre et matériaux et celui d’exécution. Le cautionnement de soumission sert à garantir la  signature d’un éventuel contrat d’entreprise. Ainsi, la compagnie de caution s’engage à compenser financièrement le client, par exemple,si l’entrepreneur fait défaut de signer le contrat suivant sa soumission. Quant au cautionnement pour gages, main-d’oeuvre et matériaux, il vise à garantir le paiement des ouvriers, des fournisseurs de matériaux et des sous-entrepreneurs ayant contracté avec l’entrepreneur général. Par ce cautionnement, la caution garantit au créancier, normalement le donneur d’ouvrage, que toutes les créances dues seront acquittées. Il s’agit donc d’une stipulation pour autrui, prise par l’entrepreneur général, en faveur des ouvriers, fournisseurs et sous-traitants. En ce qui a trait au cautionnement d’exécution, l’obligation de la caution peut se limiter à l’accomplissement des travaux de construction prévus au contrat ou encore elle peut s’engager pour l’ensemble des obligations prévues au contrat de l’entrepreneur.

Autres méthodes de paiement

Quittance

En échange de son paiement, l’entrepreneur général pourra exiger une quittance partielle en cours de travaux dans le cas de paiements progressifs ou une quittance finale à la fin des travaux. Il est d’ailleurs courant que ce soit exigé de la part des donneurs d’ouvrage afin de libérer les retenues exercées sur certaines sommes d’argent.

Clauses de paiement sur paiement

Les clauses dites de paiement sur paiement sont fréquemment utilisées dans les rapports contractuels entre entrepreneurs généraux et entrepreneurs spécialisés. L’objectif derrière une telle clause est de protéger l’entrepreneur général en cas de défaut de paiement du donneur d’ouvrage.

Ainsi, l’entrepreneur général insèrera souvent au contrat le liant avec un sous-traitant, une clause suivant laquelle il ne sera tenu de payer ce dernier qu’au moment où il recevra lui-même le paiement du donneur d’ouvrage.

Bien que ce type de clause représente un lourd fardeau pour les entrepreneurs spécialisés, lesquels se trouvent à financer le projet jusqu’au paiement par le donneur d’ouvrage, les tribunaux ont reconnu la validité de ce type de clause3.

Projet pilote paiement rapide, une bonne nouvelle pour les entrepreneurs
En juillet 2018, par un arrêté ministériel, le Conseil du trésor a lancéun projet pilote qui permettrait de faciliter le paiement aux entrepreneurs et sous-entrepreneurs et d’agir efficacement contre les retards de paiement. Les projets pilotes visent essentiellement à expérimenter deux éléments principaux, soit un calendrier de paiements précis et obligatoire pour le donneur d’ouvrage, l’entrepreneur général ainsi que tous les sous-traitants et un mécanisme de recours à un intervenant- expert, qui pourra trancher un différend dans un délai rapide afin de ne pas retarder les travaux. À l’heure actuelle, une cinquantaine de projets pilotes ont lieu ou ont déjà été achevés dans l’industrie de la construction québécoise et le bilan s’avère positif.

Construction Richelieu

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© Construction Richelieu

Julie Duchesne est copropriétaire et comptable chez Construction Richelieu, une entreprise qui offre différents services liés au domaine de la construction. Que ce soit en services de construction et rénovation de bâtiment, en gestion et estimation de projets ou pour un projet clé-en-main, l’équipe déploie son expertise dans un grand nombre de domaines. Selon Julie Duchesne, le seul moyen de se faire payer, c’est d’être patient !

« Un des problèmes avec les contrats publics, ce n’est pas de se faire payer par les organismes publics, mais tout le cheminement à faire bien avant, explique Julie Duchesne. Quand tu réalises un gros projet, il peut y avoir 6 ou 7 intervenants, sinon plus, qui doivent valider une demande de paiement avant qu’elle ne soit complétée et acheminée au client. Malheureusement, la loi est silencieuse concernant les délais de traitement des demandes de paiements de la part des professionnels. Ceux-ci, architectes, ingénieurs, etc. sont plus souvent préoccupés par l’avancement des travaux que par les tâches administratives et c’est normal. Le truc que j’ai découvert, c’est de trouver une personne-ressource à la comptabilité de l’organisme public et de traiter avec elle. De développer une relation privilégiée avec cette ressource.

Bien sûr, il y a des recours possibles, mais souvent, il s’agit de petits montants, donc on s’entend à l’amiable plutôt que de faire appel à quelqu’un de l’extérieur, car trop dispendieux. Il faut que tous les intervenants comprennent que l’entrepreneur général fait partie de l’équipe et que nous travaillons ensemble au succès d’un projet. Ainsi, au lieu de le considérer comme celui qui harcèle pour se faire payer, les intervenants considéreront l’entrepreneur comme un maillon essentiel à la chaîne. Et, plus tôt ce dernier sera payé à chaque étape, mieux le projet se portera.

Présentement, avec les nombreux investissements dans les infrastructures, on va se retrouver avec de nouveaux intervenants qui n’ont pas beaucoup d’expérience et il faudra s’atteler à la tâche dès le début du projet pour éviter le plus possible les retards dans les paiements. De plus, avec ces nouveaux investissements majeurs, il y aura certainement des entrepreneurs généraux qui seront intéressés à soumissionner sur ces projets pour une première fois. Il faut qu’ils soient conscients des étapes à franchir avant le paiement. Les organismes publics paient dans un délai raisonnable lorsque tous les intervenants ont fait leur bout, donc que les avenants sont signés par tous. Ils ne doivent pas s’attendre à ce que leur facture soit payée dans un délai de 30 jours après son émission. »

S’il n’y a pas de recettes miracles pour accélérer le traitement des paiements, Mme Duchesne souligne que ses 15 années d’expérience l’aident grandement à garder le fort !

1 Ministère de la Justice du Québec : www.justice.gouv.qc.ca/vos-differends/modes-de-prevention-et-de-reglement-des-differends-prd/la-negociation/
2 Ministère de la Justice du Québec : www.justice.gouv.qc.ca/vos-differends/modes-de-prevention-et-de-reglement-des-differends-prd/la-mediation/
3 Miller Thomson : www.millerthomson.com/fr/publications-fr/communiqueset-dernieres-nouvelles/a-propos-juridique-construction-fr/fevrier-2016-fr/
clause-de-paiement-sur-paiement-obligation/

Source :
Guide des meilleures pratiques en matière de recouvrement des créances, Direction des affaires juridiques et gouvernementales, ACQ, 2017.

 Cet article a été écrit en collaboration avec Olivier Alepins, avocat à la Direction des affaires juridiques de l'ACQ.

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